Les violences faites aux femmes occupent l’opinion. Les services de sécurité communiquent, dans leurs bulletins quotidiens, sur des cas, souvent très graves. Des associations alertent périodiquement sur des cas de féminicides. Les spécialistes en sciences sociales organisent des séminaires sur ce phénomène.
Mais qu’en est-il de la littérature algérienne ? Les textes n’en font pas beaucoup cas. Nadjib Stambouli, auteur et journaliste au long cours, fait exception. Il raconte, dans son dernier roman, «Juste une gifle», publié aux éditions Koukou, la violence subie par une femme épanouie, Dila. Le bonheur conjugal fut court. Douni, le mari attentionné des débuts, change subitement. Tout a commencé par une gifle qui sonna la fin d’une idylle entre deux enseignants. «Un cri, pas une remontrance. Les traits de son visage se crispent. Il se met à me regarder méchamment, agressivement, violemment. Je ne vois pas la main se lever, mais je sens la gifle sur mon visage. Fureur dans les yeux, fureur dans le coup : il m’a giflé !», raconte groggy la narratrice.
Pour Dila, le «traumatisme» de ce geste brutal est physique, mais il est aussi moral. «Je me sens faible, petite, insignifiante», se décrit-elle, relevant que la «claque remplit sa fonction sociale» : «elle rabaisse et rappelle, brutale et bruyante, la force du dominant sur le dominé, du mâle sur la femelle soumise à plus puissant qu’elle». Commence pour l’épouse, dont les questionnements ne cessent pas, un combat. Contre un mari violent, mais aussi contre ses propres préjugés. Jusqu’au moment ultime : le divorce.
Dans sa vie conjugale brisée, la narratrice nous accorde quelques courts moments de répit. Comme ce «confort» que la narratrice trouve auprès de ses élèves. «Rien ne raccourcit les distances autant que le vœu de fuir un endroit. Qu’elle m’a semblé proche aujourd’hui mon école. Elle est pourtant tout aussi éloignée de notre maison, mon espace d’amour transformé depuis hier en celui de la gifle. Les étreintes nocturnes ont atténué la colère et estompé le réveil, comme un cauchemar persistant, l’impact de la lâcheté sur ma joue innocente est revenue, me replongeant dans le sentiment de honte et d’humiliation.»
L’hypocrisie de la « haute »
Dans un récit haletant, la narratrice nous prend au collet, nous étouffant presque. Le mot juste, Dila, dit la hantise des femmes violentées, l’hypocrisie sociale des gens de la «haute», et la complicité de presque tout le monde. Dans le dernier chapitre, l’auteur nous offre une leçon : la nécessité d’un travail collectif pour combattre la violence. «Dans les regards de ces opprimés, je puise une nouvelle conviction : la nécessité de conjuguer le «compter sur soi», avec l’action collective», note Dila, enfin libérée. Nadjib Stambouli choisit un sujet très sensible.
Il a su bien le traiter. Ceux qui s’intéressent au phénomène de la violence faite aux femmes seront joliment surpris par la justesse du propos, les tableaux offerts dans les vingt chapitres du roman renvoyant à des vies bien réelles. Le récit, disons-le sans ambages, nous réconcilie, dans son quatrième roman, avec les textes clairs, loin de cette littérature dite engagée (encagée ?) et de toutes ces fumeuses expérimentations stylistiques qui agacent plus d’un lecteur.
Portraitiste de talent-son recueil, «Ma piste aux étoiles», édité par Casbah, est à lire en toute urgence- l’auteur s’est intéressé dans ses fictions à des phénomènes sociaux, comme la corruption, l’art. Après des études en sciences économiques, Stambouli rejoint les rédactions algéroises. Son dada : la chronique culturelle.
Nadjib Stambouli, Juste une gifle,
éditions Koukou, prix : 1000 DA