Mohamed-Seghir Hamrouchi, officier de la wilaya II historique : «Personne ne nous a offert la victoire»

19/03/2022 mis à jour: 00:24
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Mohamed-Seghir Hamrouchi (deuxième de droite) en train de fêter la victoire avec des camarades. Photo prise le 19 mars 1962 au maquis de Ouled Djamaa, massif de Collo

Au lendemain de la proclamation du cessez-le-feu, Mohamed-Seghir Hamrouchi est affecté comme responsable des renseignements et liaisons à Constantine, où il va retrouver Kaddour Boumeddous, un ancien camarade de classe. La ville qui faisait partie de la zone 2 (El Milia), selon le découpage issu du Congrès de la Soummam, avait été promue comme zone 5 par le commandant de la wilaya II historique, Salah Boubnider, dit Sawt el Arab. 

Après quelques jours de flottement, Hamrouchi arrive à Constantine en avril 1962, avec pour missions de réactiver des réseaux de renseignements, animer des réunions avec les militants et les comités de zone, établir le contact avec la population et répercuter les instructions sur les comités de secteurs. 

Les moudjahidine avaient aussi comme instruction de rester méfiants, se souvient Hamrouchi, et tenir la force locale à l’œil, tout en œuvrant à la préparation du référendum d’autodétermination, prévu le 2 juillet.

Agé à peine de 24 ans, le jeune officier Hamrouchi cumule déjà quatre années au maquis de Collo, et deux années parmi les cellules du Fida à Constantine. Une éternité dans l’enfer de la guerre et la privation, mais aussi beaucoup d’expérience acquise dans la plus complète des formations auprès des meilleurs des hommes. Malgré la retenue, le soulagement et le bonheur d’une indépendance toute proche étaient au rendez-vous. Aux côtés d’un officier français, Hamrouchi sillonnait à bord d’un camion les rues de Constantine, en cette fin du printemps 1962, pour informer et inviter la population à participer massivement au référendum. Il ne fallait rien laisser au hasard.

Mais la joie de la fin de la guerre et d’une Algérie enfin indépendante était entachée de la peur de l’inconnu vers lequel se dirigeait la direction du FLN. «Des informations nous ont été communiquées par la direction de la Wilaya II au sujet de dissensions au sommet dont on ne nous a pas donné des détails. Mais la position de la Wilaya était celle du respect des institutions de la Révolution et de la légalité», raconte-t-il.

Le syndrome de l’extérieur

A Constantine, les infiltrations de la part des éléments de l’armée des frontières n’ont pas tardé à se faire sentir, explique encore notre interlocuteur. D’autant que certains ralliés à l’état-major sont d’anciens cadres de la Wilaya II, à l’image de Abderrazak Bouhara, Ali Mendjeli, Rabah Beloucif et Larbi Berredjem, dit Larbi El Mili. C’est d’ailleurs ce dernier qui marchera sur Constantine pour arracher le pouvoir au GPRA et aux combattants de l’intérieur, dont certains, comme les frères Hamrouchi, seront emprisonnés, et parfois, hélas, exécutés, comme Djouad Tahar. 

A 84 ans, Mohamed-Seghir Hamrouchi garde une mémoire prodigieuse qui lui permet de témoigner en relatant avec force détails ses années passées dans le maquis de la Wilaya II historique, en tant que secrétaire de zone. Son instruction qu’il avait mise hier au service de la Révolution et ensuite au service de l’Etat en tant que wali, lui sert encore pour discerner avec le recul nécessaire, des bons et des mauvais choix de la Révolution triomphante, et disserter sur la problématique du pouvoir algérien. 

Sa fierté est inaltérable vis-à-vis de ce qui a été accompli par les révolutionnaires, mais cependant, la fête de la Victoire a fait l’objet de beaucoup de triturations, regrette-t-il. «Certains prétendent que de Gaulle nous a offert la victoire. D’autres, que les maquis ont été asséchés, que les éléments de l’ALN s’entretuaient, pour en conclure que nous avons été vaincus militairement, et que nous avons vaincu politiquement. J’ai vécu le maquis toute une année avant, pendant et après les opérations Challe. Et rien de tout ça n’est vrai. Personne ne nous a offert la victoire.»

La confiscation du pouvoir par l’armée des frontières n’est pas une vue de l’esprit pour cet acteur de la Révolution qui en parle avec amertume. Les infiltrés ont commencé à distiller des contrevérités parmi les populations et à créer le doute sur la réalité de la guerre, explique Hamrouchi. «Ils disaient que l’ALN de l’intérieur n’existait plus, qu’elle a été laminée par les Français, et qu’il ne restait que les gens du 19 mars (les gens ayant rejoint la Révolution après la victoire. Les faux moudjahidine, ndlr).» C’est une question épineuse sur laquelle Mohamed-Seghir Hamrouchi insiste pour parler. Une question qui, probablement, n’a pas été soldée, et demeure déterminante dans la marche de l’Algérie. «Quand ce sont des Français ou des harkis qui prétendent avoir gagné militairement et perdu politiquement et diplomatiquement, je m’en fous. Mais quand ça vient des nôtres, surtout l’EM et ses prolongements établis en Tunisie, c’est ce que j’appelle le syndrome de l’extérieur.»

   (Mohamed-Seghir Hamrouchi )

«On en tuait aussi»    

Quand de Gaulle arrive au pouvoir à la fin de 1958, ce n’était pas pour débarrasser la France de l’Algérie, mais bien pour mater la Révolution. Pour Hamrouchi, «de Gaulle n’aimait pas certes les pieds-noirs, mais il détestait plus le FLN. Il ne voulait pas l’indépendance de l’Algérie, et toutes les politiques qu’il a tenté d’appliquer étaient contre l’indépendance. N’était-ce pas l’objectif de la ‘‘Paix des braves’’, du ‘‘Plan de Constantine’’, etc. ? Et il a tout fait pour négocier en position de force, c’est pour cette raison qu’il a mis le paquet militairement en lançant l’opération Challe avec des moyens jamais investis auparavant».

L’opération Challe commence le 6 février 1959 dans la région de Saïda. Le pays est très vaste, et les Français sont contraints d’opérer par zone. Quand ils arrivent en plein été dans le Nord constantinois, l’opération prend le nom de «Pierres précieuses», précise Hamrouchi. «Emeraude» pour la zone 3 de la Wilaya II, où il combattait. La puissance de feu de l’ennemi fait mal aux moudjahidine, mais ils résistent héroïquement et adaptent leur stratégie, d’autant que le mode opératoire de l’armée française est décrypté. «Nous n’avons jamais souffert la guerre comme cette année, c’était l’enfer. Mais de là à dire que les Français avaient mis fin à la Révolution, ce n’est pas vrai, sauf pour ceux qui confondent entre une guerre de Libération et une guerre classique entre deux armées conventionnelles», s’indigne notre témoin.

La Wilaya II se réorganise face à la nouvelle situation en déplaçant le poste de commandement, et en répartissant les unités combattantes en petits groupes de 4 à 5 éléments qui se rassemblaient pour les opérations. En tant que secrétaire qui avait pour mission de tout consigner, Hamrouchi affirme que la résistance n’a pas plié et que le «mythe guerrier» n’est que le ferment d’un révisionnisme rampant, reprenant une réponse adressée à Mohamed Harbi, dans une contribution publiée par la presse. «Ils nous ont fait mal certes, c’était très dangereux et beaucoup de moudjahidine tombaient. Mais on en tuait aussi. L’esprit de sacrifice aidait beaucoup, ça leur faisait peur parce qu’ils savaient qu’aucun de nous ne se rendrait.»

Défaite française

Pour chaque opération, l’armée française envoyait d’abord les avions mouchards, suivis des bombardiers avant de lancer des milliers de soldats dans des ratissages qui duraient jusqu’à quatre jours. En face, les combattants algériens se retiraient entre les mailles et à la fin des opérations quand les soldats français sont esquintés par la fatigue, ils mettaient en place des embuscades là où ils décelaient le point faible de l’ennemi. «On rassemblait les petits groupes pour constituer des sections d’environ 70 hommes. On frappait et on récupérait les armes, sachant qu’on n’en recevait plus des frontières à cause de la ligne Morris», raconte notre témoin.

De Gaulle fera deux fois la tournée des popotes pour encourager ses troupes et demander des comptes aux officiers. Mais de toute évidence, les résultats de l’opération Challe ne correspondaient pas à ses ambitions. Le 26 décembre 1959, il adresse une lettre à ses collaborateurs où il avoue «qu’il est tout simplement fou de croire que notre domination forcée ait quelque avenir que ce soit». Il ne reconnaît pas encore la force de la Révolution ni l’enlisement de son pays dans ces sables mouvants qu’était devenue l’Algérie, mais il ne tardera pas à s’en rendre compte.

Pour Mohamed-Seghir Hamrouchi, les victoires de la diplomatie algérienne et l’aboutissement des négociations d’Evian n’auraient pas été possibles sans la pression appliquée sur les champs de bataille par les combattants de l’ALN de l’intérieur et jusqu’à la veille du cessez-le-feu, n’en déplaise aux révisionnistes du cessez-le-feu. 

Le roman national a évacué cet «été de la discorde» et raconte (heureusement) aussi bien la détermination politique que l’acharnement militaire de la France coloniale contre l’idée d’une Algérie indépendante. Hamrouchi et nombre de ses camarades gardent cependant les traces indélébiles du dénigrement dont ils ont fait l’objet de la part de leurs propres frères de lutte.

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