Mohamed Allal, commissaire du Festival d'Annaba du film méditerranéen : «Le festival veut donner l'occasion à des producteurs internationaux de mieux connaître l'Algérie»

18/04/2024 mis à jour: 14:12
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Mohamed Allal, commissaire du festival

Le 4e Festival d'Annaba du film méditerranéen aura lieu du 24 au 30 avril avec la participation de 18 pays. Trois compétitions sont prévues pour les longs et courts métrages ainsi que les documentaires avec 46 films, la plupart projetés en avant-première algérienne au niveau du théâtre régional Azzeddine Medjoubi et la cinémathèque. Les films primés auront La Gazelle d'or. L'Italie est le pays invité d'honneur du festival qui reprend après quatre ans d'arrêt. 

La 4e édition devait se tenir en novembre 2023 mais a été reportée en raison de la situation dramatique à Ghaza. Le cinéma palestinien est à l'honneur avec le programme Viva Palestine marqué par la projection de sept courts métrages et l'organisation d'un débat. 

Un forum international sur l'industrie du cinéma est également au programme ainsi qu'une rencontre sur «les 130 ans du cinéma italien». «La perle de la Méditerranée» est une section dédiée aux cinéastes femmes avec la projection, entre autres, d'Anatomie d'une chute de Justine Triet (France, Palme d'or à Cannes en 2023) et Les filles d'Olfa de Kaouther Ben Hania (Tunisie). Mohamed Allal, commissaire du festival, détaille le programme de cette manifestation culturelle inscrite sous le slogan, «Nouvelle vision».


Propos recueillis par  Fayçal Métaoui

 


L'Italie est le pays invité d'honneur du 4e Festival d'Annaba du film méditerranéen. Pourquoi ce choix ?

C'est un choix important parce que l'Italie a une longue histoire en matière de cinéma. Elle a produit beaucoup de cinéastes, à l'image de Federico Fellini, de Marcello Mastroianni, de Dino Risi et d'autres. L'Italie a apporté le néoréalisme au cinéma (mouvement né au milieu des années 1940 en opposition au cinéma déco). Aujourd'hui, le cinéma italien a une touche particulière. Au-delà de cela, les relations politiques, économiques et culturelles entre l'Algérie et l'Italie sont fortes. L'Italie est un Etat incontournable en région méditerranéenne. Le ministère de la Culture et des Arts a accueilli favorablement notre proposition pour qu'on puisse bénéficier de l'expérience italienne en matière du cinéma.


Comment ?

D'abord en discutant et en analysant sur cette grande expérience. A ce propos, nous avons prévu d'organiser une conférence sur «les 130 ans du cinéma italien à travers le regard des critiques». Elle sera animée par des critiques et des spécialistes. Il s'agit d’Oscar Iarussi et Massimo Lechi (Italie) ainsi que Jess Cumming (Canada). Nous pensons qu'il faut plaider pour le renforcement de la coproduction cinématographique entre l'Algérie et l'Italie. L'Italie est d'ailleurs le deuxième pays, après la France à avoir développé des films en coproduction avec l'Algérie depuis les années 1960. L'Algérie et l'Italie ont coproduit ensemble une douzaine de films. Nous ne connaissons que La bataille d'Alger (réalisé en 1966 par Gillo Pontecorvo). Il existe d'autres films à explorer et à redécouvrir. Ce passé glorieux doit être revivifié, lu et compris. Il s'agit aussi de rendre un hommage à Domenico Procacci qui est l'un des plus importants producteurs italiens actuellement (à 64 ans, Domenico Procacci a produit près de 90 films depuis 1987).


Il est d'ailleurs le producteur du long métrage Vers un avenir radieux de Nanni Moretti, présenté lors du Festival de Cannes en 2023...

Oui. Vers un avenir radieux sera projeté en avant-première algérienne en ouverture du Festival d'Annaba le soir du 24 avril. Ce film est un vrai tableau cinématographique. Il porte un hommage au cinéma authentique et critique le développement anarchronique du septième art au niveau mondial avec l'avènement des plateformes telles que Netflix. Nanni Moretti donne son point de vue sur cette situation contemporaine. Nous avons choisi ce long métrage pour l'ouverture du festival car il évoque le cinéma. Il est possible que Nanni Moretti adresse un message au festival à travers la vidéo.


Le festival rend aussi un hommage au producteur italien Domenico Procacci…


Le festival veut donner l'occasion à des producteurs internationaux tels que Domenico Procacci de mieux connaître l'Algérie, de se rapprocher de notre pays, peut être que cela leur donnera des idées pour développer des projets cinématographiques. Domenico Procacci restera en Algérie pendant une semaine et aura l'occasion de rencontrer des producteurs et des comédiens algériens. Nous souhaitons que ces rencontres soient fructueuses. Il faut noter qu'un autre producteur italien, Daniele Urciuolo, sera présent lors des Master class (il est connu notamment par la production du film Conversazioni con altre donne, Conversations avec d'autres femmes, sorti en 2023).


L'Italie est présente dans la compétition longs métrages avec deux films…


Il y a d'abord The other way (une autre voie) d'Alessandro Garilli et Io Capitano (Moi, capitaine) de Matteo Garrone. Actuellement, Matteo Garrone est parmi les plus illustres réalisateurs en Italie (il a notamment réalisé en 2008 Gomorra sur la mafia italienne, qui a obtenu le grand prix au festival de Cannes). Io Capitano a décroché le Lion d'argent du meilleur réalisateur à la Mostra de Venise en 2023. Le film aborde la question de la migration clandestine africaine vers l'Europe alors que The other way aborde la thématique de la guerre.


Parlez-nous de la section Viva Palestina dédidée au cinéma palestinien…

Nous nous sommes inspirés pour ce programme de la célèbre chanson suédoise Viva Palestine (écrite par Mohammed Abo Shammaleh). Nous avons sélectionné sept courts métrages, certains réalisés à Ghaza. Je cite The crossing (Le passage) de Ameen Nayfeh, Palestine 87 de Bilal Al Khatib, Bank of targets (Banque de cibles) de Rushdi Al Sarraj et Gaza vibrations de Rebah Nazzal. Chaque soir, un court métrage sera projeté avant la présentation du long métrage en compétition. Nous organisons aussi une conférence sur le cinéma palestinien sous le titre : Témoignage, résilience et impact. Elle sera animée par des réalisateurs et des comédiens palestiniens comme Najwa Najjar, Abdallah Al Khatib, Mohamed El Mughani, Kamel El Basha (prix du meilleur acteur lors du festival de Venise en 2017 pour son rôle dans le film libanais L’affaire 23 de Zied Douiri), Sameera Asir et Ali Suliman. Dans cet espace, le débat portera sur le cinéma palestinien actuel. Les cinéastes et comédiens évoqueront leurs douleurs, leurs problèmes, leurs aspirations, leurs rêves, leurs réalisations... Le cinéma palestinien est vivant.

 

Comment la sélection des films a été faite pour les compétitions au festival ?


Après la période d'enregistrement en 2023 pour l'édition qui devait avoir lieu en novembre de la même année avant d'être reportée à cause de la situation à Ghaza, nous avons reçu plus de 3500 films, des courts métrages pour la plupart. Nous avons reçu près de 300 films d'Iran, mais ce pays n'est pas méditerranéen. Nous avons reçu des films d'Afrique, de Chine, d'Inde... La plupart des courts métrages et des documentaires ont été sélectionnés après le visionnage des films enregistrés. La sélection a été quelque peu changée en raison du report du festival. Nous avons préféré prendre les films les plus récents et les plus importants en contactant les producteurs et les distributeurs. Nous avons pris en compte la nécessité d'avoir des œuvres diversifiées et de qualité. La condition était que ces films soient projetés pour la première fois en Algérie.


Qu'en est-il de la participation algérienne au festival ?


L'Algérie est présente dans les trois compétitions. Frantz Fanon de Abdenour Zahzah sera en course pour la Gazelle d'or dans la catégorie longs métrages. Ce film a été présenté au 74e Festival international du film de Berlin Berlinale (dans le section Forum), en février 2024. Pour le documentaire, Zinet, le bonheur de Mohamed Latrech est en compétition au nom de l'Algérie. Et il y a deux courts métrages de Anis Djaad et Hamza Choutri en compétition aussi. Nous avons prévu aussi des projections spéciales pour le long métrage Ben M'hidi de Bachir Derrais et La famille de Merzak Allouache.


Il existe trois jurys pour les trois compétitions, longs et courts métrages et documentaires. Le cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan préside le jury du long métrage. Par le passé, il a déjà été membre ou présidé des jurys de plusieurs festivals comme ceux de Sarajevo, de Cannes, de Venise et de Shanghaï. Comment s'est fait le choix des membres du jury ?


Dès le départ, nous voulions que les jurys soient de stature internationale. Le jury long métrage est présidé effectivement par Nuri Bilge Ceylan. Un cinéaste qui n'est plus à présenter (trois grands prix au Festival de Cannes et une Palme d'or pour son long métrage Winter sleep en 2014). Le jury des documentaires est présidé par le réalisateur libanais Bahij Hojeij (qui a réalisé plusieurs documentaires sur Beyrouth à partir de 1988, après la guerre civile). L'américaine Justine Barda, membre de jury long métrage, dirige une plateforme (Telescope) où l'on peut trouver pas moins de 600 000 films. Justine Barda, qui est enseignante à l'université de Seattle, contribue à la programmation du célèbre festival de Toronto au Canada. Elle sera présente lors du forum sur l'industrie cinématographique. Le réalisateur russe Ivan Bolotnikov est membre du jury documentaires (il a notamment réalisé deux longs métrages de fiction Velga et Palmyra). Il y a aussi la présence de la critique ukrainienne Elena Rubashevska dans le jury documentaires (elle a été membre des jurys dans les festivals du Caire, de Moscou, de Stockholm, d'Amsterdam, de Carthage, etc). Côté algérien, la comédienne Rym Takoucht préside le jury du court métrage alors qu'Adila Bendimerad est membre de celui du long métrage. Il faut noter que certains invités du festival vont animer des rencontres avec le public et la presse comme Nuri Bilge Ceylan (le 25 avril) et la comédienne espagnole Itziar Ituno.


Vous organisez aussi pour la première fois «Annaba Film Industry»...


En Algérie, on a pris pour habitude dans les festivals de se contenter de projeter des films mis en compétition. La question de la production et du soutien aux films était ignorée. D'où notre proposition de contribuer en tant que festival à la production de courts métrages comme une première expérience. Une expérience qui pourrait être reproduite pour les longs métrages dans le futur. Nous avons retenus pour ce concours douze projets pour les sections «aide au développement d'un scénario» et «aide à la production», six pour chaque section.

Ce concours a été ouvert du 19 septembre au 15 octobre 2023. La commission qui était chargée de la sélection a reçu 80 propositions. Les projets retenus viennent d'Algérie, de Syrie, d'Egypte, de Palestine et de Tunisie. Nous allons constituer un jury qui va statuer sur ces projets. Aujourd'hui dans le monde, la philosophie des festivals a changé dans ce sens qu'ils participent désormais à la production des films surtout que les plateformes numériques produisent, elles aussi, des films et elles les diffusent. C'est une fenêtre que nous devons ouvrir en Algérie à travers nos festivals pour attirer les producteurs. Les producteurs sont en quête de créations, plus que d'hommages. Ils veulent des prix prestigieux avec une valeur financière importante. A titre d'exemple, la valeur du grand prix du festival d'Annaba équivaut à 10% de celle du festival d'El Gouna, en Egypte. Nos festivals doivent attirer plusieurs de créateurs, surtout parmi les jeunes, et les professionnels du cinéma. Nous avons pris beaucoup de retard ces dernières années à cause des reports et des annulations des festivals, de la faiblesse de la production et de la distribution des films. Le retour des festivals du cinéma doit se faire avec de nouvelles données, de nouvelles idées. D'où le lancement du programme «Annaba film industry». Un programme qui a de l'avenir.


Au programme du festival d'Annaba, un forum international sur l'industrie du cinéma. De quoi va débattre ce forum ?

L'Etat algérien entend aujourd'hui développer l'industrie cinématographique. Une réelle volonté politique existe. Pour aller dans ce sens, nous nous sommes dit qu'il fallait organiser un forum international qui rassemble des experts, des producteurs, bref, des professionnels du 7e art pour discuter de cette industrie cinématographique et des expériences d'autres pays. C'est un forum professionnel qui se tiendra durant une journée.


En plus du producteur italien Domenico Procacci, vous avez prévu d'autres hommages dont un sera rendu au cinéaste algérien Merzak Allouache…

Nous avons décidé d'accorder le trophée El Anab el dhabi (le Anab d'or) aux artistes pour l'ensemble de leurs carrières. Le Anab d'or, pour rappel, était l'appellation des prix accordés lors des précédentes éditions du festival y compris dans les années 1980. Reprendre le Anab d'or sous forme de trophées accordés à la faveur d'hommages est une manière d'assurer la continuité et de célébrer la valeur symbolique et historique de ce prix. Le Anab d'or ira cette année au réalisateur algérien Merzak Allouache qui cumule plus de cinquante ans d'expérience dans le domaine du cinéma. Un trophée sera aussi donné au scénariste algérien Tewfik Farès qui avait contribué à l'écriture d'au moins deux films de Mohamed Lakhdar Hamina Le vent des Aurès (1967) et Chronique des années de braise (1975) (Tewfik Farès a réalisé en 1969 le long métrage Les Hors-la-loi). Un prix spécial sera attribué à la comédienne Itziar Ituno, celle qui s'est distinguée dans la série populaire espagnole Casa De Papel (dans le rôle de Lisbonne). Elle sera présente lors de la cérémonie d'ouverture. J'estime que le public a le droit de voir et de rencontrer les stars qu'il aime. Le choix de Itziar Ituno n'est pas aléatoire. Cette artiste est connue pour son soutien aux causes palestinienne et sahraouie. Nous invitons aussi les artistes qui appuient les positions et la politique extérieure de l'Algérie.


Qu'en est-il des Master Class ?

Nous avons programmé des Master class professionnels avec notamment le compositeur Safy Boutella et le producteur italien Daniele Urciuolo. Nous voulons que des Algériens qui s'illustrent à l'étranger dans le domaine du cinéma viennent parler de leur expérience en Algérie surtout aux jeunes, d'où notre appel à Samy Lamouti, qui est établi au Canada et qui travaille avec les studios américains Marvel pour les effets spéciaux. La réalisatrice française Maïwenn, qui a des origines algériennes, sera présente aussi pour un master class sur la direction d'acteurs.  


Pour la clôture, le 30 avril, vous avez choisi un nouveau film syrien. Pourquoi ?

Le film syrien Yaoumayine (deux jours) de Bassil El Khatib sera projeté en avant-première mondiale. Douraid Laham, 90 ans, est présent dans ce film. Ces dernières années, il a été distribué dans au moins trois longs métrages, c'est pour dire qu'un comédien n'a pas d'âge ! La Syrie est un pays axial en matière de production cinématographique dans la région arabe. Des relations particulières lient l'Algérie à la Syrie. Depuis le début de la crise dans ce pays, l'Algérie n'a jamais fermé ses portes aux artistes syriens. Ils étaient toujours présents dans nos festivals. Aussi, Bassil Al Khatib a-t-il choisi pour que son nouveau film soit projeté en avant-première mondiale en Algérie. Il en est de même pour le long métrage syrien Temporary of darkness (obscurité temporaire) de Firas Mohamed qui est en compétition.


 

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