Mise au point / Le cinema en otage sur la crise des otages

24/12/2023 mis à jour: 12:28
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Affiche du film 444 de Mourad Ouabbas avec Mohamed Seddik Benyahia, Chadli Bendjedid, Jimmy Carter et l’Ayatollah Khomeini. Seul survivant, l’Américain, 99 ans.

 Avec l’affaire des otages israéliens et palestiniens aux mains des négociateurs du Qatar, retour sur l’histoire des otages américains de Téhéran en 1979, véritable thriller avec ses rebondissements, personnages de l’ombre et intermédiaires, avec au centre, l’Algérie comme négociatrice, ce que peu de films sur le sujet n’ont évoqué. Heureusement, un documentaire algérien qui sort en janvier va laver l’affront.
 

 

Alger, novembre 1979, les salles de cinéma sont nombreuses et pleines, Boumediène est mort depuis un an, et Chadli est le nouveau président algérien, coiffant sur le poteau Abdelaziz Bouteflika qui prendra sa revanche bien plus tard. Mais ce dernier est encore conseiller à la Présidence qu’il quittera deux ans plus tard, suite à des soupçons de corruption. 

A la demande de l’ancien secrétaire d’Etat Henry Kissinger et du président de la Chase Manhattan Bank, David Rockefeller, les USA accueillent timidement le Shah d’Iran poussé à l’exil par la révolution iranienne le 29 octobre 1979 sous prétexte d’y être soigné. Le Shah, arrivé aux USA dans un avion si chargé en lingots d’or qu’il a failli ne pas décoller, est l’objet de poursuites, torture, corruption, dilapidations multiples, s’étant même fait livrer à l’époque de son règne tous ses dîners de Paris par avion Concorde. 

Le sentiment anti-américain s’intensifie en Iran, avec des manifestations dans les rues, d’autant que la CIA fait disparaître les machines de torture du Shah en Iran et brûlé tous ses documents compromettants de son ambassade à Téhéran. Des étudiants en colère donnent l’assaut et entrent dans l’ambassade US, ils feront 52 prisonniers, otages qui ne seront libérés que plus d’un an après, notamment grâce à la diplomatie algérienne qui a assuré les négociations entre les USA et l’Iran. 

Mohamed Seddik Benyahia, ministre des Affaires étrangères, sera tué par un missile irakien et s’écrasera avec son avion en Iran en 1982, avec lui une délégation du MAE de 8 cadres, un journaliste et les 4 membres d’équipage, Mohamed Salah Dembri est secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Réda Malek ambassadeur à Washington, ces deux derniers morts aussi, mais qui étaient aux avant-postes de la négociation entre l’Iran et les USA, deux ennemis mortels. Combien de films sur le sujet ?

En 2012, l’Américain Ben Afflek réalise pour Hollywood Argo, à ne pas confondre avec Argu (rêve), film de Omar Belkacemi, tourné en Turquie, il s’attarde sur les 6 otages échappés et dépeint la CIA comme des héros. En 2013, un film canadien produit par Larry Weinstein, Our man inTeheran, sort pour contester Argo, une partie des otages s’étant sauvés pour se réfugier à l’ambassade canadienne qui a joué un rôle important dans leur exfiltration vers les USA. 

En 2019, les Suisses, ayant aussi joué un rôle dans les négociations, apportent leur mise au point par le biais du réalisateur Daniel Wyss qui présente son film Ambassade pour souligner les efforts diplomatiques exceptionnels déployés par Erik Lang, le ministère suisse des Affaires étrangères et son ambassadeur à Téhéran, Erik Lang, tout comme ses collègues, dans la résolution du conflit avec l’aide de l’Algérie. L’Algérie en a-t-elle fait un film ?

 Non, sauf si l’on tient compte de 444 jours qui ont fait plier l’Amérique du Franco-Algérien Ben Salama écrit avec Naoufel Brahimi El Mili et sorti en 2022, documentaire français produit par Arte. Heureusement, l’honneur n’est pas perdu, Mourad Ouabbas, scénariste de Belouizdad, biopic sur le héros de Belcourt, a fini son documentaire sur le rôle de la diplomatie algérienne dans la crise des otages US à Téhéran. Il est prêt, monté et sera diffusé en janvier 2024, soit le mois de 1981 où les otages américains arrivent enfin à Alger et sont réexpédiés dans leur pays. Bonne année.

L’Iran, pays sous embargo, produit encore aujourd’hui près de 100 films par an, contre 5 pour l’Algérie. Mais ce n’est pas le sujet, ou si, un peu, au lendemain de la diffusion de Argo, le film de Ben Affleck qui a décroché trois oscars, meilleur film, meilleur scénario et meilleur montage en 2013, la déclassification aux Etats-Unis en 2020 de nombreux documents secrets liés à cette prise d’otages arrive pour expliquer que rien de ce qui est montré dans ce film n’est arrivé. 
 

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Les Iraniens l’avaient senti déjà à l’époque, après la sortie de Argo, tous les cinéastes du pays ont critiqué ce film, à l’image de Abbas Kiarostami, le plus grand d’entre eux, et le gouvernement a annoncé un film en mise au point sur la crise des otages mais qui n’a jamais été fait aux dernières nouvelles. Ce qui est sûr, c’est que l’ambassade américaine de Téhéran a été fermée et transformée en musée par les Iraniens. 

Ce qui est sûr aussi, c’est que le cinéma, même inspiré de faits réels, reste du cinéma, comme en parlait Mark Twain, «la seule différence entre la réalité et la fiction, c’est que la fiction doit être crédible». Comme quoi, les débats autour de la véracité historique de La dernière reine ne sont pas uniquement algériens. Bref, 444, c’est le titre du documentaire de Mourad Ouabbas basé sur le nombre de jours passé par les otages américains en Iran. 

Du cinéma ? Non, du documentaire, et pour la petite histoire, à cette époque de 1981 où Chadli lancait le chantier de Riadh El Feth par les Canadiens, avec plusieurs salles de cinéma, l’Algérie était friande de cinéma, il restait encore près de 300 salles dans le pays comme le rappelle le livre Sauvons nos salles de cinéma de Nouredine Nouhal, éditions Aframed, 2019, qui raconte l’âge d’or de la production cinématographique algérienne des années 1970 et 1980. Justement, le 20 janvier 1981, le jour-même où les otages américains débarquent à Alger, le président Ronald Reagan entre en fonction, succédant à  Jimmy Carter, et toujours en janvier, mais 2023, au début de cette année, l’ambassadrice US en Algérie, Elizabeth Aubin, remettait une couche dans une vidéo publiée sur la page Facebook : «Le peuple américain sera reconnaissant à jamais pour l’Algérie qui a joué un rôle immense dans cette crise», lisant au passage une lettre de Jimmy Carter datée du 19 février 1981 et adressée à Réda Malek : «Grâce à vos efforts et de ceux de vos compatriotes, les 52 otages américains ont été libérés, le peuple américain vous adresse son respect et son admiration.»  

Du cinéma ? Ronald Reagan, lui-même acteur de cinéma devenu président, en profitera pour remercier aussi les Algériens à sa manière, leur offrant la série TV Dallas avant tout le monde, des films de Walt Disney, leur vendant des avions militaires Hercules C-130 alors interdits d’exportation. Nous sommes à la fin 2023, tout a changé ou presque, Boumediène, Chadli et Bouteflika sont morts, et le monde a les yeux braqués sur Ghaza où le massacre se joue sur fonds d’otages israéliens et palestiniens. 

Mais c’est le Qatar, petit pays assis sur une flaque de gaz devenu grand, qui se charge des négociations, tout en laissant fuiter l’idée que les dirigeants du Hamas résidant à Doha seront accueillis à Alger. Encore du cinéma ? Chawki Amari

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