Mina Debbah. 82 ans, première hôtesse de l’air algérienne en 1962 : La doyenne qui a ouvert la voie des airs

06/06/2023 mis à jour: 01:02
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«Nous aurons le destin que nous aurons mérité.» (Albert Einstein)


Après-midi champêtre et convivial à Bouchaoui, où l’Association des personnels navigants commerciaux a eu la bonne idée de battre le rappel des anciens de la boîte, Air Algérie en l’occurrence, pour un hommage appuyé aux victimes de crashs subis par la compagnie depuis l’Indépendance. 

En présence des familles concernées. On a dénombré une vingtaine de décès lors des huit crashs qui ont endeuillé la compagnie nationale. Au cours de ces retrouvailles, dont les organisateurs, Moghrani Ahcene et Kamel Chikaoui, sont les principaux initiateurs, beaucoup d’émotion, de la nostalgie et des souvenirs inoubliables. 

Parmi les dizaines de présents, pour la plupart des retraité(es) bien conservés, le vétéran Nadir Bouzelifa (80 ans), bien entouré, mais la palme est revenue sans conteste à la doyenne Mina Debbah, 82 ans, entourée affectueusement de ses pairs, très sollicitée, parce qu’elle a été la première, après l’Indépendance, à embrasser ce dur et passionnant métier pour ensuite le transmettre en suscitant des vocations et en formant des dizaines d’émules. Pourtant, au départ, ce n’était guère sa trajectoire, puisqu’elle avait jeté son dévolu sur l’étude de la langue anglaise et la psychologie. Le destin et une annonce de recrutement d’Air Algérie, éventée par son beau-père, ont tout changé. 

Oublié le passage à la villa Mahrez et la formation d’assistante sociale, qu’elle a pratiquée, en premier, avec dévouement et abnégation ? Pas vraiment oublié, car plus qu’un métier, assistante sociale, pour elle, a été considéré comme un sacerdoce, un acte attentionné envers les autres, une marque de dévouement et de sacrifice. «On a fait plusieurs stages à l’hôpital. J’étais parmi les plus en vue. 

Cela m’a servi pour le futur. Quand je leur ai annoncé mon départ, mes collègues n’avaient pas cru leurs oreilles, ayant mal accepté ma décision. J’ai essayé de les rassurer par un éventuel retour après mon contrat de 3 ans, mais c’était pathétique pour les deux parties». En dernier ressort, c’était son choix et nul ne pouvait l’en dissuader.


UN CHOIX RÉFLÉCHI ET ASSUMÉ

Comment s’appelait cette force qui habitait Mina ? La foi, la vitalité, la conviction de croire à un idéal, puisqu’elle a accepté d’adhérer à un destin qui allait être le sien, et que la vie lui proposait à bras ouverts. De sa voix flexible, elle dit de jolies phrases, bien balancées, en une langue admirablement pure. J’allais oublier de dire qu’avant d’entamer nos discussions, elle m’a interpellé sur sa passion pour le jeu des mots croisés, qu’elle affectionne particulièrement, en faisant le reproche à notre journal, de donner parfois des définitions assez pédantes et d’autres entachées d’erreurs. 

Fermée cette parenthèse, Mina nous sortira les clefs de son ascension professionnelle et les vertiges des hauteurs qu’elle a fini par dompter. Elle se rappellera de l’angoisse du jour de l’examen, la tenue stricte de rigueur, le respect des parents à ne pas contrarier et des traditions à préserver. «J’étais là à l’état brut face à un encadrement entièrement français. J’étais bien habillée regardant avec curiosité les autres concurrentes françaises bien maquillées. 

Les épreuves, face aux instances, étaient diverses, Après l’oral, on marchait devant le jury, comme dans les défilés de mode, sauf que les mannequins, elles, étaient déjà recrutées. Les examinateurs épiaient le moindre geste et le comportement le plus anodin. On nous questionnait en français avec parfois des notions d’anglais.

 Heureusement que j’avais un faible pour cette langue que je maîtrisais. Après, on nous demandait de rédiger des souvenirs de voyage. Je n’en avais pas à vrai dire, mais comme j’étais une férue de lecture, j’ai découvert le monde entier dans les livres. J’ai choisi de parler de l’Espagne, de ses taureaux, de ses toreros et de ses castagnettes. Ma rédaction, je l’ai puisée dans mes souvenirs de lecture, mais pas de mon vécu», avoue-t-elle, les yeux pleins de fierté. «J’ai obtenu la meilleure note et on m’a tout de suite demandé de faire mon passeport. 

Après, je suis allée à Paris à l’Ecole des pilotes et des secouristes de l’air, où j’ai suivi une formation pendant près de six mois. On avait cours toute la journée et on ne sortait presque jamais, de sorte qu’on n’a pas connu Paris en touriste. D’ailleurs, comment aurait-on pu le faire avec un programme ultra chargé ?  Il y avait parmi les matières obligatoires à passer, l’examen de natation qui consistait à nager 50m en moins de 2 minutes. Le problème, c’est que je ne savais pas nager. On nous avait ramené un moniteur maître-nageur censé nous apprendre les rudiments de la nage. 

Il nous faisait asseoir sur le rebord de la piscine et nous laissait ainsi le regarder, lui qui criait en bombant le torse dans l’eau : «Faites comme moi !», sous le regard de sa petite amie, spectatrice comme nous. Nous restions sans voix alors que le certificat de sauvetage et de secouriste était nécessaire pour l’obtention du diplôme. Heureusement qu’à Alger, nous allions aux Groupes laïques, où Zizou Lerari nous avait bien appris la nage. 

D’abord, il usait d’une fine pédagogie et nous tutoyait. Le premier jour, il nous faisait monter sur un tremplin haut de 2 mètres, et nous, en bas, on regardait apeurées. Il nous avait mis dans le bain tout de suite, c’est le cas de le dire. C’était un supplice, mais un exercice obligé. A un moment, on a sauté, les yeux fermés. Je crois que c’était la meilleure méthode. Pour lui, c’était une manière de nous mettre en confiance et de prendre confiance en nous, même s’il nous tendait la perche à l’instar des enfants avec la planche, on a évolué et on a pu passer notre examen sans encombres.
 

TOUT DE SUITE DANS LE BAIN

On a commencé à travailler en novembre 1962. J’étais la première hôtesse algérienne, parmi les Européennes, qui étaient encore là. A l’époque, c’était encore le temps des DC3, pas celui des Caravelles. Ma première fiche de paye ? 500 DA. Pour gagner 4000 DA, il fallait faire 100 heures de vol. 

Dans ces avions pas encore modernes, tout le monde fumait. L’air rentrait, mais ne sortait plus, en raison des issues rudimentaires. On était des fumeurs passifs, on absorbait la fumée, malgré nous. Une véritable horreur. Un jour, le vol sur Paris a dû rebrousser chemin depuis Palma, l’air devenant irrespirable à bord, au point d’obliger les pilotes à se doter de masques.

 Les voyageurs et le personnel de bord étaient abandonnés à leur sort. Souvent assis sans se lever, une dure épreuve qu’on a malgré tout surmonter, par notre amour du métier qu’on a choisi en toute conscience. C’est vous dire que ce n’est pas toujours l’image idyllique que les gens se font de notre profession. Le risque est omniprésent à bord. L’hôtesse n’est pas seulement la belle fille qui se pomponne et qui donne à manger aux voyageurs. Elle endosse aussi quand ça se passe mal. Elle ne doit en aucun cas paniquer lors des turbulences ou face à un danger imminent sinon elle transmet sa peur aux passagers et c’est tout l’avion qui tremble ! C’est la catastrophe ! L’hôtesse ou le steward a une responsabilité importante dans la prise en charge des grands malades à bord, des crises et des aléas qui y surviennent et auxquels il faut rapidement faire face avec doigté et efficacité
 

PLUS QU’UN MÉTIER, UN SACERDOCE 

Au fur et à mesure de notre carrière, il y avait pour nous plus de responsabilités. On était devenues des chefs de cabines, très rapidement, avec un encadrement français destiné à partir à brève échéance. Une fois, on nous a ramenés la sœur de l’avocat français de Ben Bella, quand il était détenu en France. 

Cette nouvelle recrue travaillait à UTA, qui avait fait faillite. Un jour, on est venu me dire que le vol du soir sur Paris sur DC4, où j’étais programmée, a été attribué à cette Française. Comme je ne me suis pas laissée faire, elle m’a proposé des avantages, disant qu’elle avait besoin d’aller rendre visite à ses parents dans la capitale française. 

Comme je suis restée ferme dans mes positions, elle a abdiqué malgré le soutien dont elle se prévalait. Côté discipline, avant, quand le chef de cabine donnait une instruction, ça râlait un peu chez les hôtesses, mais on exécutait. Maintenant, je pense que cela ne se fait que rarement, alors que la nonchalance, c’est très mauvais, pour la sécurité à bord. On oublie les grands risques de ce métier. Heureusement que, depuis, les choses ont beaucoup évolué, même sur le plan des droits. 

Avant, il nous arrivait de ne pas jouir de répit, mobilisable à tout moment. En revenant d’un long courrier, harassés, on vous sommait de repartir sur-le-champ sur un autre vol, sans rechigner ni demander des explications. Aujourd’hui, la réglementation a évolué et les droits mieux protégés. A la fin de la cérémonie de recueillement à la mémoire de leurs collègues disparus, on a pu déceler ici et là les vertus de solidarité, de convivialité qui marquent les liens qui unissent ces hommes et ces femmes qui ont choisi la même destinée. 

Mina, elle, était comblée de tant d’honneur et de reconnaissance. Simple, pudique, elle ne semblait agitée par aucun remous de vanité ou d’énervement joyeux, soulignant encore une fois qu’elle n’est pas femme à s’embourber dans le confort de la notoriété. 
 

Par Hamid Tahri 

 

 

CRASHS SUBIS PAR AIR  ALGERIE (PNC)

11 mars 1967 DCH Tamanrasset : Senoussi Amar 
24 juillet 1969 Caravelle Hassi, Atmane, Oulmane Hamid Meriem Embarek

30 mai 1981, Falcon Bamako : Mammeri Abdelmoumen
2 mai 1982, Falcon Téhéran :  Chibane Fatiha 
1994 : Nemdil, Abdellaoui El Hachmi
6 mars 2003   B737 TAM  Benaouicha Boualem, Yousfi Fatima
Raïssi Sid Ahmed, Djeddi Sihem, Kaced Khalida, Sediki Razika
14 août 2006 Piacenza : Abdou Mohamed, Bederina Mohamed Tayeb, Keddad Mustapha 
24 juillet 2014 Bamako : Debaïli Lotfi, Merbah Omar
 

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