On se garde de convoquer l’époque où des artistes peintres trimballaient leur chevalet pour immortaliser des scènes de vie, comme le faisait Eugène Fromentin dans le mythique espace carrefour de Sidi M’hamed Cherif, sinon on se désole de la situation des métiers d’art qui semblent en plus faire recette : la plupart des artisans ont, depuis belle lurette, mis la clé sous le paillasson, faute de relève et de matériaux, conjugué à l’apathie des responsables qui, pourtant, ont la charge d’encourager et de mettre à leur disposition les outils de travail, comme la matière première.
Car, faut-il le rappeler, outre la rareté de la matière première et des intrants sur le marché, leur prix dépasse tout entendement, affirment, à l’unisson, les orfèvres qui se comptent sur les doigts d’une seule main. «Et comment veut-on faire venir le touriste s’il n’y a rien à lui offrir comme souvenir ?» s’interroge sur un ton péremptoire l’artisan ébéniste, Khaled Mahiout, qui élit ses quartiers en amont de la rue de La Casbah, au-dessus de Aïn M’zaouqa. A peine trois ou quatre artisans font de la résistance et égayent un tant soit peu le propret parcours, fréquenté par quelques groupes de touristes en quête d’objets souvenirs.
En dépit de la conjoncture qui, faut-il dire, est loin d’être favorable vu le boom de l’inflation, ils font contre mauvaise fortune bon cœur en perpétuant avec les moyens du bord très timides le legs ancestral. Le céramiste-artiste Tarek Triki, qui cumule une trentaine d’années d’expérience dans cet art, occupe un petit local où il exerce son métier qui est davantage artistique qu’artisanal. Il expose ses objets dont le travail ne laisse pas insensible le visiteur.
Utilisant plusieurs supports, comme le verre ou le carreau, les motifs floraux et les fresques qu’il décline, empruntent à l’art de la petite facture.
Des carreaux de céramique qu’il enjolive aux luminaires finement décorés en passant par l’art plastique qu’est la fresque sur toile, la collection d’objets que déploie l’artisan-artiste sur son éventaire renseigne sur son fin doigté. Il nous dévoile aussi sa belle collection de toiles à l’huile présentant la nature morte avec cette inclination rembranesque. «On essaie de ne pas baisser les bras et proposer toujours quelque chose au visiteur dans cette médina qui nous est très chère», tient à souligner le céramiste d’art, tout en regrettant «le manque criant des intrants, comme l’argile blanche ou les carreaux dopés de kaolin, les oxydes, les émaux, les pigments, etc.
On aurait souhaité qu’un des organismes d’Etat importe la matière première et les inputs dont on a besoin avec des prix qui soient à notre portée et nous permettre, par conséquent, d’étoffer le marché local de nos produits artisanaux, mais parfois, on est assujettis à faire dans les calculs d’apothicaire».
Le céramiste regrette, par ailleurs, de ne pas disposer d’un local conséquent et de moyens pour pouvoir accéder à la demande des jeunes qui le sollicitent pour être formés dans cet art. Pourquoi, suggère-t-il, ne pas penser à mettre certains palais restaurés comme Dar El Cadi ou Dar Essouf à la disposition de ces artisans qui pourront exercer leur métier et former en même temps des jeunes désireux de se frotter à cet art en herbe ? Et un autre artisan, qui s’attelle à travailler le cuivre à repousser, de fulminer : «Le prix de la matière première qu’est le cuivre s’envole, il est très cher, ce qui freine du coup la production de l’art traditionnel.»
A un lancer de pierre de ces artisans, l’artisane Bahia Rouibi évolue dans son cagibi, sis ex-rue Marmol, à pas feutrés. On y pénètre dans son petit univers alors qu’elle est arc-boutée à décorer des pichets, vases et autres objets en argile qu’elle commande de chez son potier attitré. De très belles pièces de céramique joliment ouvragées sont rangées sur les étagères de son réduit que caresse une lumière tamisée. Notre décoratrice, pleine d’entrain et de vigueur, ne se laisse pas, elle non plus, décourager par les aléas du marché. La dame abonde dans le même sens que ses binômes d’artisans.
«On a du mal à faire face aux prix démentiels proposés par l’importateur, mais on n’a pas le choix, on doit faire avec», souligne-t-elle, en ajoutant plus loin : «J’appelle de tous mes vœux les responsables de la chose culturelle et artistique de nous aider en mettant à notre disposition les matériaux et autres produits dont on a besoin pour continuer à exercer et faire découvrir ce pan de patrimoine aux touristes.» «N’est-ce pas que notre métier reste à plus d’un titre une incontournable vitrine du tourisme ?» rappelle-t-elle en guise de conclusion.