Mémoire vagabonde de Rachid Hammoudi : Les yeux se remplissent des images de l’enfance

23/11/2023 mis à jour: 02:45
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 En lisant les récits bien menés de Rachid Hammoudi, journaliste et scénariste, des auteurs de la littérature algérienne pointent leur nez. L’influence de deux auteurs, désormais classiques (Tahar Djaout, Rachid Mimouni) est évidente.

Peut-on quitter les territoires de l’enfance ? Que garde-t-on de ces années d’insouciance ? Est-il possible de guérir des douleurs de l’exil ? Journaliste et scénariste, Rachid Hammoudi nous propose dans Mémoire vagabonde (L’Odyssée) de suivre le cheminement de personnages, dont le quotidien, souvent terne, est celui de milliers si ce n’est de millions de compatriotes. Dans le premier récit, Tristus, célibataire endurci, nous raconte, quelque peu désinvolte, sa vie indigente, ses rencontres improbables et ses éternelles déceptions. 

«Je ne suis pas heureux.» C’est par ces mots que s’ouvre son récit de jeune paumé, obligé d’être «toujours sur ses gardes». «Mes parents m’ont assez répété que l’ennemi ne sait et ne cherche jamais ce que vous êtes. Il regarde ce que vous faites. Et Dieu sait si, depuis mon enfance, on m’a averti sur les méfaits d’ennemis, à la fois invisibles et irréductibles», lance-t-il comme pour expliquer ses hésitations à s’engager dans des relations sentimentales. Au fil du récit, bien mené, on se surprend à s’attacher à ce jeune. On voudrait même voir l’auteur raconter la suite de l’histoire. Le fera-t-il jour ? Tristus retrouvera-t-il un jour le sourire ? 

Le récit de Chérif, harraga sans chance, nous parle du mariage étrange d’un couple d’Algériens à Bamako. Le séjour malien a ouvert au jeune désabusé «une porte d’entrée au Paradis». A ses interlocuteurs, le Chérif, qui a fini par régulariser sa situation en France, ne cesse d’évoquer ses souvenirs qui «valent tous les papiers du monde». Dans le texte qui a donné son nom au recueil, l’auteur parle, avec des mots dépouillés, de la perte des repères dans une société prise dans les rets de l’histoire. Des passages du texte illustrent le désarroi existentiel des émigrés, qui «vont et viennent le long de routes oubliées où il suffit de mettre un pied pour que ressurgissent et prennent forme des visages oubliés». 

«Les yeux se remplissent des images de l’enfance et les gens sont seulement évoqués au détour d’anecdotes plaisantes. Les êtres et les choses sont comme revêtus d’un vernis qui s’écaillera au fil des jours. 
 

«La réalité agressive… »

La réalité agressive reprendra vite ses droits.» Observateur avisé de la société et de ses turpitudes, Rachid Hammoudi évoque la profession de journaliste qu’il  exerce depuis une trentaine d’années. «On devrait s’occuper d’un journal comme d’une classe. Il peut mourir et disparaître, mais les lieux de sa fabrication conserveront le souvenir des visages, des éclats de voix qui ont résonné dans ses couloirs. 

Comme une personne ou une famille, un journal devra préserver son histoire, en consigner les moments de gloire et d’illusion partagés», suggère le narrateur. Celui qui a écrit une biographie de Tahar Djaout, poète, romancier mais aussi journaliste passionné des pages culturelles de la période du parti unique (El Moudjahid, Algérie-Actualité), mais aussi de l’ouverture pluraliste contrariée (Ruptures) propose : «On devrait s’interdire de fabriquer des journaux derrière des portes anonymes. Il faut que les lieux où naît, grandit et meurt un journal soient une part d’histoire, un pan de mémoire qui peut pencher sans jamais s’écrouler.» On ne peut ne pas citer le passage tellement les mots bien sentis disent une réalité d’une presse qui subit de nos jours les coups de boutoir des réseaux sociaux et l’IA conquérants.  

En lisant les récits bien menés de Hammoudi, des auteurs classiques de la littérature algérienne ne manqueront pas de pointer leur nez. L’influence de deux écrivains (Tahar Djaout, Rachid Mimouni) est évidente. L’amorce du dernier écrit, «La mort ne fixe jamais de rendez-vous», nous rappelle les textes mimouniens du recueil, La Ceinture de l’ogresse (1990, Prix de la nouvelle de l’Académie française), où le fonctionnaire est acculé par une administration tatillonne. Dans le récit de Hammoudi, Ali, jeune employé de banque, vit une autre mésaventure qui rappelle à beaucoup les affres du terrorisme. 

Natif de Tigzirt, Rachid Hammoudi écrit un scénario remarqué sur la chanteuse kabyle Hnifa. Adapté au cinéma par Ramdane Iftini, il a été plusieurs fois récompensé. Journaliste, il a publié une biographie de Tahar Djaout (Tahar Djaout, Un talent cisaillé, L’Odyssée). 

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