Me Nasr-Eddine Lezzar, avocat d’affaires et ancien membre de la Cour internationale d’arbitrage : «Asmidal devrait davantage communiquer sur le contrat litigieux»

10/06/2023 mis à jour: 03:16
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Photo : D. R.
  • Le Groupe industriel algérien Asmidal a perdu, encore une fois, un arbitrage international contre un partenaire espagnol. Il s’agit de Grupo Villar Mir, actionnaire à hauteur de 49% dans un complexe de fertilisants, Fertial, situé dans la wilaya de Annaba.  Quelles sont vos impressions ?

Le communiqué laconique d’Asmidal a, au moins, le mérite d’exister car il n’est pas dans l’habitude des entreprises, notamment publiques, de communiquer sur leurs contentieux, de surcroît internationaux. Tout d’abord  Asmidal «se félicite», ce qui dénote une satisfaction et une reconnaissance du bien-fondé de la sentence. Le tribunal a rejeté bon nombre de réclamations formulées par GVM. Asmidal dit «regretter que ce rejet ne soit que partiel». On en déduit que même les réclamations rejetées ont été partiellement admises.

En conclusion, à moins que nous ayons mal lu ou mal compris, il y a eu des demandes acceptées en totalité et celles rejetées partiellement donc acceptées partiellement. La position d’Asmidal peut être synthétisée en une satisfaction partielle et un regret partiel.

Cela laisserait déduire que la sentence est équilibrée. On s’interroge alors : Asmidal condamné et satisfait, intentera-t-il un recours ? Le rejet partiel des demandes est une situation tout à fait normale dans un arbitrage car les parties sont aussi bien outillées, l’une que l’autre, et trouvent toujours des fondements à leur demandes et des moyens de rejet des demandes adverses.

  • Le communiqué a évoqué d’éventuels recours. Quelles sont les voies et procédures dont dispose l’entreprise publique 
    algérienne ?

La partie succombante dans une  affaire d’arbitrage a deux  recours possibles : le premier est un recours en annulation contre la sentence arbitrale en elle même. Ce recours doit être intenté devant le tribunal étatique compétent du siège du tribunal arbitral, j’ignore quel est lieu du tribunal arbitral dans cette affaire. Le second recours possible est celui qui peut être exercé contre l’ordonnance  d’exequatur qui est un aval accordé par le tribunal du lieu de l’exécution de la sentence.

Il faut préciser que l’exequatur est accordé par ordonnance sur requête, c’est-à-dire une ordonnance signée par le président du tribunal, sans audition de la partie condamnée. C’est le président de la cour où sera exécutée la sentence. C’est par exemple celle du lieu ou peuvent être saisis les biens de la partie condamnée.

  • Ne pensez-vous pas qu’Asmidal n’a pas communiqué par obligation de confidentialité ?

En effet, à mon avis la confidentialité devrait être différemment perçue pour une entreprise publique et pour une entreprise privée. il faut préciser que dans cette affaire se trouvent impliqués des capitaux issus de malversations et d’opérations réalisées durant une période trouble (issaba). Nous revenons à la problématique de l’arbitrage et la corruption que nous avions traitée dans un passé récent.

En outre, la confidentialité s’applique à l’arbitrage en lui-même et non au contrat litigieux. Asmidal ne peut pas révéler les informations liées à l’arbitrage mais elle devrait davantage communiquer sur le contrat litigieux. L’opacité est toujours suspecte et la transparence un gage de crédibilité. L’entreprise espagnole est une entreprise privée libre de ne rien expliquer ou justifier, mais une entreprise publique se doit de communiquer sur les capitaux publics.

  • Il semble que l’Algérie perd beaucoup de procès en arbitrage. Qu'en pensez-vous ?

Cette assertion, souvent avancée, n’est pas vérifiée, mais je ne peux pas la contredire non plus. Je ne dispose pas de la preuve contraire. Cependant, ma modeste expérience me permet de soutenir qu’on perd une affaire devant la justice étatique ou l’arbitrage pour une des raisons suivantes :

1- Une ou plusieurs fautes commises durant l’exécution du contrat ou une exécution défaillante des obligations contractuelles.

2- Une mauvaise prise en charge de la défense durant le procès  judiciaire ou arbitral.

3-Une obstination de la partie fautive qui se cramponne et

s’arc-boute sur une position infondée et pousse l’autre partie vers le procès.

4- Les dysfonctionnements possibles des tribunaux arbitraux : subjectivité, partialité d’un ou de plusieurs membres du tribunal arbitral. 

M-Faouzi Gaidi

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