Manque de spécialistes dans certaines zones enclavées : La solidarité pour lutter contre le désert médical

16/05/2023 mis à jour: 17:30
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Il y a un manque criant de médecins spécialistes dans certaines localités du sud du pays - Photo : D. R.

Bou Saâda : De notre envoyée spéciale

 

D'habitude, lorsqu'on parle de manque de médecins spécialistes dans le sud du pays ou ce qui est appelé aujourd'hui les zones d'ombre, l'on pense directement au secteur public. Or, la rareté du personnel médical concerne également le secteur privé.

La daïra de Ben Srour, située à 60 km de la commune de Bou Saâda et à environ 113 km de M'sila, chef-lieu de wilaya, est une ville historique et un site archéologique qui compte des milliers de gravures préhistoriques datant de 7000 ans avant Jésus-Christ. Cette daïra, qui regroupe plus de sept communes, n'est pas désignée zones d'ombre. Toutefois, elle n’en est pas loin. Ici, pour certains citoyens de cette région du Sud, se soigner reste un «luxe» et un parcours du combattant.

Ben Srour, une région enclavée à vocation agricole, dispose d'un seul Etablissement public hospitalier (EPH). Ouverte en 2015, cette structure souffre jusqu’à aujourd'hui d'un déficit en médecins spécialistes. Même le privé a déserté cette localité. D'habitude, lorsqu'on parle de manque de médecins spécialistes dans le sud du pays ou ce qui est appelé aujourd'hui les zones d'ombre, l'on pense directement au secteur public. Or, la rareté du personnel médical concerne également le secteur privé. Pas de diabétologues, ni de gynécologues, ni de néphrologues, ni de cardiologues et encore moins d'urologues.

Le seul urologue privé qui couvre toute la région est installé à Bou Saâda. Ce qui est loin d'être suffisant pour une population dont le nombre de personnes souffrant d'une maladie liée à cette spécialité est important. C’est d’ailleurs le problème soulevé par les membres de l’association Idrak, lors d’une campagne de sensibilisation, de dépistage et de consultation organisée par les laboratoires Frater Razès au profit de la population de cette région et celle de Bou Saâda et ce, avec l’accord et le soutien des pouvoirs publics. Une opération de solidarité assurée par 11 spécialistes en urologie venant de différentes villes du pays.

Pas moins de 450 personnes ont bénéficié d’un diagnostic et d’un traitement gratuit. Certains patients ayant connu des complications de leur pathologie, souvent par manque de suivi médical, ont été orientées vers des structures médicales en dehors de leurs wilayas respectives. Cette opération s’est déroulée le premier jour au niveau de l’Etablissement hospitalier public de Ben Srour, dans lequel pas moins de 250 patients étaient inscrits sur ses listes. Le deuxième jour, elle s'est déroulée au niveau de l’Etablissement hospitalier public (EPH Bou Saâda) où près de 200 patients étaient inscrits sur la liste d’examen.

Le président de l’association Idrak, Zakaria Ben Saadoune, a confié à des représentants de la presse qui ont accompagné durant le week-end passé la caravane, que ces initiatives sont importantes et très bénéfiques et assurent un grand soutien aux patients, notamment dans les régions qui manquent de médecins spécialistes, en citant justement l’exemple des médecins spécialisés en urologie. Et d’affirmer que la wilaya de M’sila compte seulement deux urologues, sans parler, dit-il, du manque flagrant de médecins spécialistes comme la cardiologie, l’ophtalmologie et la gynécologie ainsi que d’autres spécialités. Il confirme que la rareté des médecins spécialistes concerne autant le secteur public que le privé.

Ce vendredi 12 mai 2023, l'hôpital de Ben Srour étaient bondé de monde. Beaucoup de personnes âgées, de femmes et d’enfants ont fait le déplacement pour profiter de la présence de médecins spécialistes. L'inquiétude mêlée au désarroi se lit sur le visage de cette population de l'intérieur du pays. «Nous ne sommes pas étonnés de voir ce nombre important de malades venus consulter et de surcroît un vendredi. Les citoyens attendent avec impatience ce genre d'occasion», glisse un praticien exerçant à l'EPH de Ben Srour et de préciser que les malades atteints d'une pathologie urologique ne sont pas suivis.

L’aide précieuse des médecins bénévoles

«Démunis, ils ne peuvent pas se permettre d'aller à Bou Saâda, Batna, Biskra ou à Alger pour une consultation. Et en l'absence de dépistage, le malade traîne, ce qui provoque de graves conséquences. Cela devient plus difficile à soigner», déplore-t-il. Le président de l’association a affirmé que cette caravane a été initiée par les membres de l’association en coordination avec les laboratoires Frater Razès et les autorités locales qui ont assuré toutes les facilités possibles pour ce genre d'opération.

Et d'ajouter que cette action a été réalisée avec la participation d’étudiants en médecine de diverses wilayas et spécialités membres de l’association. «L'association Idrak est très active et elle est composée essentiellement de médecins issus de la région. Nous faisons parfois du porte-à-porte pour dispenser des consultations gratuites à des enfants qui, faute de moyens, risquent de perdre la vue, ce qui est effrayant», note Zakaria Ben Saadoune. Parfois, dit-il, par manque de moyens financiers et souvent pour un problème de distance, les patients abandonnent les soins ou le suivi médical.

Unanimement, les médecins et les membres de l'association disent que ces régions n’attirent nullement les professionnels de la santé et même les jeunes diplômés ne sont pas très intéressés, ni motivés pour aller travailler dans les zones reculées. Les spécialistes, que ce soit dans le secteur privé ou public, préfèrent les endroits attractifs, notamment les grandes villes et les grands centres qui disposent de plusieurs structures de santé, des laboratoires d’analyses, des centres d’imagerie médicale et une population importante affiliée à la sécurité sociale.

Pour le Dr Bendiaf Mohamed Mourad, urologue membre de l'Association algérienne d'urologie et faisant partie de la caravane, la seule préoccupation des malades auscultés est d'être traités et guérir. «N'étant pas nombreux, les urologues préfèrent s'installer dans les villes où les moyens de diagnostic sont fréquents. Pour qu'un urologue s'installe dans de tels endroits, il faut qu'il y ait un pool de médecins spécialistes tout autour comme un orthopédiste, un gynécologue et vice-versa. Si on offre les moyens et les conditions aux médecins, ils viendront s'installer dans ces régions reculées», explique le Dr Bendiaf.

Les personnes consultées ont, selon Dr Bendiaf, des problèmes urinaires. Des médicaments, y compris des vitamines, leur ont été distribués. «Dans les grandes villes, le diagnostic se fait précocement. Or ici, la plupart des malades sont des personnes âgées. Ils vivent dans les zones rurales et ne peuvent pas accéder au médecin en raison de difficultés financières. Mais lorsque nous leur offrons les moyens, ils viennent consulter. Ce n'est plus une maladie taboue», glisse-t-il.

Ces campagnes de sensibilisation sont une aubaine pour ces populations. A l'hôpital Rezig de Bou Saâda, les médecins étaient, par contre, confrontés à de vraies pathologies urinaires à leur tête des tumeurs de vessie. Mais là, les praticiens sont choqués de voir des malades arrivés à l'insuffisance rénale en raison d'un adénome de la prostate.

«Ceci est grave», s'insurgent-ils. D'ailleurs, tous les médecins spécialistes qui ont consulté les patients et les citoyens de cette région ont découvert de nombreuses maladies des voies urinaires, au premier rang desquelles l’hyperplasie bénigne de la prostate et les calculs dans la vessie et les reins. Affirmant que certains sont à un stade avancé de la maladie, voire aux stades des complications, notamment des cancers de la prostate. Pourtant, cela aurait pu être évité si le diagnostic et la prise en charge ainsi que le suivi médical étaient assurés à temps.

Pour le docteur Boudiaf, «il est insensé et triste de voir ces cas en 2023».  «Le système du service civil n'est pas efficace du moment que les médecins, une fois leur service terminé, repartent chez eux. Il faut sensibiliser les pouvoirs publics à ce manque de spécialistes à l'intérieur du pays. Il faut tirer la sonnette d'alarme parce que la situation est dramatique et il faut aussi multiplier ce genre d'initiative au profit de ces populations pour que ça soit répétitif dans le temps et l'année», suggère-t-il.

L’espoir est permis, car le gouvernement a décidé de prendre en charge le dossier. L'autre patient qui a retenu l'attention des médecins est un malade opéré à Bordj Badji Mokhtar et qui traîne une tumeur de la vessie sans qu'il le sache. «Il s'est fait opérer il y a deux ans et, depuis, il n'a jamais consulté. En plus de l'absence de spécialistes, du manque de moyens, il y a également l'insouciance», déplore Dr Belarbi maître-assistant au service de la néphro-chirurgie du CHU de Beni Messous.

D'ailleurs, plusieurs cas similaires ont été détectés. Pour les spécialistes, les cas précocement dépistés ont plus de chances d'être guéris sans trop de complications. Ils ne sont pas soumis également à des traitements lourds, d'où, disent-ils, toute l'importance de cette caravane qui vise les régions enclavées du pays, et qui se poursuivra toute l'année. A l'hôpital de Bou Saâda, il n'y avait pas uniquement des personnes âgées mais aussi des femmes et beaucoup d'enfants âgés de 6 à 14 ans. Les motifs de consultation les plus importants sont les infections urinaires répétitives, chose qui n'est pas normale chez un enfant. Certes, l'infection urinaire n'est pas une maladie grave.

Campagnes de sensibilisation

Mais selon Dr Belarbi, elle peut toujours provoquer des complications. Il est donc important de consulter un médecin sans trop tarder si un enfant présente des symptômes. «Les parents et les médecins doivent s'inquiéter lorsqu'un enfant souffre d'une infection urinaire. Ils doivent consulter car on suspecte une malformation il faut donc diagnostiquer rapidement pour éviter les problèmes rénaux». Et la plupart des enfants consultés présentent, dit-il, des malformations congénitales, ou une énurésie nocturne. «Ce n'est pas une maladie organique mais plutôt une maladie liée à cette tranche d'âge. Une pathologie transitoire qui rentre dans l'ordre avec le temps, avec une prise en charge médicale et l'implication des parents à travers des mesures hygiéno-diététiques», selon Dr Belarbi. Quelles sont les facteurs incriminés dans la tumeur de la vessie ?

Unanimement, les médecins spécialistes évoquent en premier lieu le tabac et surtout la cigarette de la nuit. Fumer se révèle être également un facteur important favorisant l’incontinence urinaire. La majorité des malades qui présentent un cancer de la vessie sont des fumeurs.

Dr Boudiaf explique qu'auparavant, «rares étaient les femmes qui présentaient des tumeurs de la vessie, mais actuellement elles sont très nombreuses. La femme fume autant que l'homme et les services d'urologie sont inondés de tumeur de la vessie. Aujourd'hui, on sensibilise le malade». L'autre facteur de risque est, entre autres, la consommation de café et de viandes rouges : «Lorsque la viande est mal cuite ou cuite à des degrés très élevés, elle représente un risque d'HBP. Donc pour lutter contre cette maladie, un régime alimentaire méditerranéen, c’est-à-dire pauvre en viande rouge animal et riche en protéine d'origine végétale notamment les légumineuses, s'impose», préconise Dr Amel Derouiche, médecin nutritionniste. 

 

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