Manipulation, campagne d'influence sur les réseaux et pression sur les médias : La communication, l’autre sale guerre contre Ghaza

01/11/2023 mis à jour: 03:47
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Près de 9 millions de dollars auraient été dépensés par Tel-Aviv pour financer une vaste campagne d'influence dans les médias

L'Agence France Presse (AFP) est au centre d'une polémique qui ne cesse d'enfler en France. Des élus de la droite et de l'extrême droite se scandalisent de constater que les dépêches et les contenus de  l'agence, financée largement par des fonds publics, ne reproduisent pas systématiquement l'appellation «Mouvement terroriste», lorsqu'il s'agit d'évoquer le Hamas palestinien. Banalisation du terrorisme, complaisance et compromission, sont autant de péchés dont se rendraient coupable les responsables éditoriaux et les journalistes de ce pourvoyeur de matière médiatique dans le contexte de la guerre qui fait rage dans la bande de Ghaza.  
 

Les proportions politiques prises par l'affaire ont nécessité une réponse de l'AFP dans laquelle ses médiateurs éthiques ont tenu à rappeler les principes présidant à la gestion éditoriale des contenus, d'autant que le média est accusé de partager la position politique du mouvement La France Insoumise du trublion Jean-Luc Mélenchon, se refusant lui-même à qualifier de terroriste, le mouvement Hamas.  

«Conformément à sa mission de rapporter les faits sans porter de jugement, l'AFP ne qualifie pas des mouvements, groupes ou individus de terroristes sans attribuer directement l'utilisation de ce mot ou sans utiliser des guillemets (…). Cette règle s'applique à toutes les couvertures journalistiques de l'Agence concernant les violences à motivation politique qui visent des civils.

 Les consignes rédactionnelles relatives à la couverture de la guerre entre Israël et le Hamas suivent cette politique rédactionnelle en vigueur depuis longtemps», écrit la rédaction en chef chargée des principes éthiques et rédactionnels au niveau de l'agence, le 28 octobre dernier. Dans la même mise au point, les rédacteurs assènent une vérité bonne à rappeler en ces temps de forcing propagandiste : «L'emploi du mot terroriste est extrêmement politisé et sensible. 

De nombreux gouvernements qualifient d'organisations terroristes les mouvements de résistance ou d'opposition dans leurs pays. De nombreux mouvements ou personnalités issus d'une résistance un temps qualifiée de terroriste ont été reconnus par la communauté internationale et sont devenus des acteurs centraux de la vie politique de leur pays. L'exemple le plus emblématique est sans doute Nelson Mandela.»  
 

Avant Hamas, Mandela… 

L'AFP est la deuxième institution d'audience mondiale à essuyer les violentes critiques de la galaxie politico-médiatique dans l'univers occidental. La vénérable British Broadcasting Corporation (BBC), s'est retrouvée elle-même au centre d'une tempête, à peu près pour les mêmes raisons. «Terrorisme est un mot chargé, que certains utilisent pour décrire un groupe qu'ils jugent moralement inacceptable. Le rôle de la BBC n'est pas de dire aux gens qui ils doivent soutenir et qui ils doivent condamner», répond, à son tour, John Simpson, rédacteur en chef chargé du service «International» au niveau de la chaîne. 

«Ce n'est pas à nous de déclarer un groupe comme ''terroriste'', mais seulement d'attribuer cette expression  quand les autres le font», a appuyé à son tour la directrice générale de la boîte, dans une note aux différents départements éditoriaux. Un principe jugé de «honteux» en l'occurrence par des membres du gouvernement britannique, qui dans la lignée des paradigmes américains et israéliens, statuent sans appel que le Hamas palestinien est un mouvement terroriste et point du tout un mouvement de résistance. Ces polémiques et procès faits à certains médias occidentaux montrent une des facettes de la guerre sur le terrain de la communication, parallèlement aux fracas des armes et des bombardements sur le terrain des opérations. 
 

Foyers de résistance éthiques

Si quelques foyers de résistance éthiques, comme on vient de le voir, tentent de tenir le coup devant les oukases des politiques et des gouvernements tous acquis aux thèses israéliennes, la règle est plutôt à l'alignement derrière les directions du vent que décide Tel-Aviv, notamment durant les deux premières semaines du conflit. Conflit, qui faut-il le noter, continue à être décliné sous le générique «guerre Hamas-Israël» sur toutes les chaînes de télévision, plateformes d'information et journaux occidentaux. Isoler l'action du mouvement Hamas, au pouvoir politiquement à Ghaza, avec un gouvernement et des institutions, depuis 2007, est un axe stratégique de communication imposé depuis le début du conflit par le commandement israélien et ses alliés : Détacher l'action du mouvement Hamas du substrat politique qui prévaut en Palestine, du contexte de la poursuite de la colonisation israélienne,  de sa politique répressive et expansive. 

Tout ce qui, tout compte fait, définit le mouvement de «résistance» ou de libération dans l'absolu, et peut le différencier du «mouvement terroriste». Ce forcing a été tellement puissant que le président français, Emmanuel Macron, a poussé le zèle jusqu'à proposer, il y a une semaine, la constitution d'une coalition internationale, comme celle qui a combattu Daech  (ou l'Etat islamique) pour anéantir le Hamas. Une proposition qui n'a d'ailleurs retenu l'attention sérieuse de personne, y compris en France. Guerre des mots et des concepts encore : le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a provoqué l'ire de Tel-Aviv il y a quelques jours en assumant de dire, lors d'un rassemblement public à Istanbul, que le Hamas n'était pas un mouvement terroriste mais bel et bien un mouvement de résistance dont l'action tire sa légitimité de la situation d'occupation. Israël, en riposte, a décidé de rappeler ses diplomates à Ankara. Dans les Etats arabes ayant «normalisé» leurs relations avec l'Etat hébreu, l'embarras est réel et peut être illustré par ces propos tenus lors d'une conférence de presse le 18 octobre dernier au Caire, par le président égyptien. Dans la même réponse à la question d'un journaliste, Abdel Fattah Al Sissi a employé  tantôt le concept de «résistance», tantôt celui  d' «actes terroristes», en évoquant les événements en cours.   
 

 

Des millions de dollars pour porter la propagande

Au-delà de la sémantique politique, le désaccord sur les concepts sont en train de faire le schisme dans les rangs arabes également. L'Algérie a dû ainsi élever des réserves officielles à l'issue de la déclaration adoptée par la réunion des ministres des Affaires étrangères arabes le 10 octobre dernier, pour le fait que le document met sur un pied d'égalité, la résistance palestinienne, jamais nommée comme telle dans les prises de position de l'organisation dans le conflit en cours, et les exactions des forces d'occupation israéliennes. 

De récentes enquêtes spécialisées ont révélé tout l'effort entrepris par les autorités israéliennes pour faire pencher rapidement la balance de l'opinion publique dans le monde au profit de ses objectifs militaire et politique. Près de 9 millions de dollars auraient ainsi été dépensés par Tel-Aviv, les trois dernières semaines, pour financer une vaste campagne d'influence sur les réseaux sociaux et ciblant notamment les trois pays leaders en Europe, que sont la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne. L'objectif est sans doute de conditionner les opinions publiques dans ces pays, connus pour abriter une forte communauté musulmane, notamment pour les deux premiers, et de les préparer à accepter les effroyables massacres de Tsahal à Ghaza.

 La campagne est structurée autour de la diffusion de vidéos choc sur les «crimes» qu'auraient commis les Brigades d'El Qassam, bras armé du Hamas palestinien,  sur des civils israéliens  le 7 octobre dernier. Les réseaux sociaux du ministère israélien des Affaires étrangères assurent eux-mêmes la diffusion et la gestion des relais de partage à grande échelle en Europe. Le financement permet quant à lui d'incruster les messages de propagande, sous forme d'annonces, dans les contenus ordinaires des fils d'actualités sur les réseaux, les sites internet, voire de nombreux jeux vidéo en ligne. 

Les statistiques de «vues» dépassent le milliard sur une trentaine de pays, selon l'AFP. «C'est comme ça qu'on communique en 2023», explique le directeur général adjoint du ministère des Affaires étrangères israélien. Là aussi, on retrouve l'obsession  stratégique d'associer le Hamas, et dans sa suite toute aspiration palestinienne à la résistance, aux organisations terroristes, de préférence les plus redoutables et les plus globales.

 Chaque message de propagande israélienne placé sur les réseaux sociaux,  se termine par le slogan «Hamas Isis», soit «Hamas Daech» pour marquer dans l'imaginaire du public  l'intime liaison entre les deux entités. Des messages aux contenus violents explicites, qui passent pourtant entre les mailles des filets algorithmiques censés éthiquement les censurer, alors que le Hamas est par définition interdit de publication par les instances de modération des «social networks», pour avoir été catalogué de terroriste. 
 

Bassem Youssef, inattendu porte-parole de Ghaza

Mais il semble bien qu'au fils des massacres horrifiants commis à Ghaza, la propagande israélienne a de plus en plus du mal à tenir. Les grandes manifestations qui s'organisent régulièrement dans le monde, pour réclamer un cessez-le-feu et dénoncer les «crimes de guerre» qui se perpétuent dans l'enclave, donnent un aperçu des limites de l'action fanatique du gouvernement Netanyahu, y compris dans le domaine de la communication.

Le 17 octobre dernier, Bassem Youcef, producteur- animateur  télé et activiste égyptien exilé aux Etats-Unis, a fait sensation dans l'émission Piers Morgan Uncensored sur la chaîne Talk TV, en usant d'humour noir et de vives réparties pour marquer de grands points au profit de la cause palestinienne. Au compteur d'audience, l'émission a battu tous les records : 20 millions de vues en quelques jours à travers le monde. Le partage de la vidéo de l'interview et l'énorme engagement qu'elle a suscité sur les réseaux sociaux, est salué comme une des séquences de communication les plus efficaces pour le soutien des Palestiniens à Ghaza.  

C'est dire si des percées sont possibles pour contrer l'agressive propagande israélienne, dès qu'une brèche s'ouvre pour en démonter les mythes et les mensonges. Le gouvernement israélien, comptant plus que jamais sur son parrain américain, déploie en communication un projet militaire et politique dont les termes ont été définis, le lendemain même des attaques du Hamas, le 7 octobre dernier. Il convoque pour ce faire, très tôt, un arsenal de concepts et mythes fondateurs de la communauté en Israël : Que la collectivité juive subit en l'occurrence une agression de la même essence que celle qui a conduit à la Shoah, qu' Israël a le «droit de se défendre» voire de se «venger» d'un ennemi qui ne se bat pas pour libérer ses territoires occupés et spoliés mais qui agit selon un logiciel religieux extrémiste et violent qui vise à anéantir Israël. 

Amplifier le plus possible l'impact des attaques du Hamas pour mieux faire avaler les horreurs programmées. La partition a été adoptée avec zèle par les alliés occidentaux, à l'intonation près. 

Mais tout porte à penser que les choses sont en train de changer. Aucune stratégie ou campagne de communication ne peut tenir le coup devant les images des milliers d'enfants tués à Ghaza.   

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