Les 18 locataires qui élisent domicile dans cet espace artisanal évoluent presque en ermite. Les locaux dédiés aux différents corps d’artisanat ne drainent pas grand monde. L’établissement semble boudé par les visiteurs. Serait-ce par désaffection du public ou suite à un manque de travail de proximité de la part des artisans ? «Vous êtes là depuis deux heures et pas une âme n’a daigné faire une virée dans les lieux», me lance un artisan en cuir, lors de notre virée. Le même constat est établi par ses pairs, versés dans les autres corps de métier d’artisanat, qu’ils soient céramistes, bijoutiers, dinandiers, potiers, couturiers ou vitraillistes. Nous poussons notre curiosité pour tenter de connaître les raisons de ce désintérêt criant sur ce pôle situé, pourtant, dans une rue grouillante entre Triolet et l’ex-Climat de France. Un bijou qui, au demeurant, ne semble pas susciter l’engouement des gens, plutôt enclins à fréquenter le négoce de la fripe. «Il ne s’agit pas non plus de médiatiser la maison de l’artisanat pour la faire connaître au grand public si le ministère de tutelle ne se rapproche pas des problèmes rencontrés par les artisans (…). Si des mesures d’encouragement et d’assistance n’accompagnent pas notre activité artisanale, nous risquons de mettre la clé sous le paillasson», tient à dire un des anciens artisans versé dans le corps de la dinanderie, en l’occurrence Driss Zolo. Un artisan qui avait refusé la proposition alléchante du consul turc lorsque ce dernier lui avait proposé de lui offrir un espace d’activité artisanale à dans un quartier chic à Istanbul. Des personnalités du corps diplomatique ont effectué d’ailleurs des virées dans cet aire artisanale et ont acheté ou passé commande de belles pièces. D’autres artisans dinandiers évoquent aussi le problème du manque criant de matière première qui n’est pas disponible, sinon refilée à des prix exorbitants et qui sont hors de portée des artisans. «Nous sommes en stand by, faute de pièces de cuivre», disent-il, car la feuille de cuivre de 1x2 m qui était refilée à 4000 DA a vu son prix décuplé pour atteindre les 40 000, DA, voire plus. «Il est vrai que la cotation du cuivre a grimpé à l’international, mais nous souhaitons que l’Etat nous accorde des subventions pour pouvoir continuer à travailler», fait remarquer un artisan. «A ce tarif, on ne peut se l’offrir», renchérit son binôme. Il va sans dire que face à cette triste situation, c’est l’artisanat qui en prend un coup. Même son de cloche du côté des céramistes qui tentent de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Ils font de la résistance et se démènent comme ils peuvent pour se procurer les inputs. «Mais cela ne saurait être pérenne si le ministère et la CAM (Chambre d’artisanat et des métiers, ndlr) ne volent pas à notre secours», dira un maroquinier dépité, avant de poursuivre : «C’est la passion que nous vouons à l’artisanat qui nous dissuade de ne pas abandonner notre métier.» Et son ami d’abonder dans le même sens, avec une pointe d’ironie : «Il n’est pas aisé de maintenir plus longtemps notre activité artisanale sous perfusion. Lorsque la matière première dont nous avons besoin vient à manquer ou reste inaccessible, car elle coûte cher, il devient très difficile de composer avec les moyens du bord...» Le désarroi se dessine sur les visages des autres artisans qui occupent l’espace. Ces derniers ont le sentiment d’être livrés à eux-mêmes, voire abandonnés à leur triste sort.
Faire contre mauvaise fortune bon coeur
Bien qu’ils aient peine à faire face aux charges locatives, jugées, selon les artisans, élevées par rapport aux chiffres d’affaires réalisés, chacun d’eux se fait une raison pour ne pas baisser les bras en continuant à s’affairer petitement dans son atelier. Ils interpellent les pouvoirs publics à considérer à leur juste titre ceux qui perpétuent le savoir-faire artisanal. La question du marketing n’est pas moins évoquée. «Certes, nous disposons d’une maison de l'artisanat que nombre de communes nous envient, mais nous aurions souhaité voir les offices relevant du secteur du tourisme s’impliquer indirectement en intégrant dans leur circuit des virées dans notre enceinte. Cela nous permettra de faire connaître les produits du terroir», dira un céramiste. Dans cette enceinte, des jeunes filles ont pris la relève de la regrettée Mme Nadia Ouiachouche dans l’art du vitrail. Cette dernière, qui avait bénéficié d’une formation en Italie, à son propre compte, ne lésinait pas, une fois le stage terminé, de dispenser un apprentissage aux jeunes filles dans le métier de vitrailliste dans son local. Mais cette activité artisanale que s’attellent les jeunes filles à pérenniser, risque à son tour de ne pas faire long feu. L’atelier est la plupart du temps fermé. Selon des locataires de cet établissement que nous avons approchés, «les jeunes, qui sont nombreux à vouloir se frotter à cet art de vitrailliste, font face au problème de matériel et de matériaux», assènent-ils de manière péremptoire.