M. Kaoubi attire l’attention, dans cet entretien, sur l’ampleur du déficit budgétaire en 2025 qui augmente de 17% par rapport à 2024 et prévient contre «le poids des déséquilibres» alors que les finances publiques pourraient connaître des difficultés dans les prochaines années compte tenu des tendances du marché pétrolier.
- Le Parlement vient d’adopter le projet de loi de finances 2025. Un déficit budgétaire s’est creusé cette année encore pour passer à un niveau de – 8 271,55 Mds DA (-21,8% du PIB), contre -7 039,66 Mds DA (-19,8% du PIB) en 2024. Qu’est-ce que justifie, selon vous, un tel effort de la part de l’Etat, et, surtout, comment le financer ?
Le déficit budgétaire ne cesse de se creuser, les déséquilibres aussi. Pour 2025, le déficit budgétaire augmente de 17% par rapport à 2024. L’inquiétude vient du fait que cette variation importante intervient alors que le budget d’équipement (autorisations de programmes) a connu une baisse relativement conséquente par rapport à celui de 2024.
Par contre, le budget de fonctionnement connaît une augmentation qui semble non maîtrisable. Si l’Exécutif semble motiver cette situation, depuis quelques années déjà, par une nécessaire prise en charge du volet social (augmentations salariales, transferts sociaux, prise en charge du déficit de la CNR …), c’est surtout le poids des déséquilibres qui devient inquiétant.
- Dans ses projections, le gouvernement prévoit que la croissance du secteur des hydrocarbures devrait progresser de 2,4 % en 2025, puis se stabiliser en 2026 (0,3 %), avant de baisser de - 2,6 % en 2027. Quelles sont les explications, d’après vous, et quel peut être l’impact sur la croissance économique ?
Les prévisions de croissance du secteur des hydrocarbures sont baissières. Ceci découle des perspectives moroses de la croissance mondiale (3,5% en moyenne pour les trois prochaines années selon le FMI) et son impact sur le ralentissement de la croissance de la demande mondiale pour l’énergie.
Ce qui est confirmé par l’AIE dans son dernier rapport. Les cours des prix des hydrocarbures ont amorcé une baisse (depuis le deuxième trimestre 2023) qui devrait se poursuivre les trois prochaines années. La contribution du secteur des hydrocarbures est capitale dans la formation du PIB (21% en 2023). La stagnation ou la baisse de la croissance de ce secteur devrait impacter négativement la croissance globale et celle de certains secteurs en particuliers (les services, par exemple).
Par ailleurs, les finances publiques pourraient connaître des difficultés supplémentaires du moment que les revenus des fiscalités pétrolières risquent de baisser. La situation financière du FRR (Fonds de régulation des recettes, ndlr) pourrait se dégrader et ne plus permettre d’éponger une partie du déficit du Trésor.
- Le ministre des Finances fait état d’un taux d’inflation de 4,25% durant les neuf premiers mois de l’année en cours. La bataille de l’inflation, bien que les chiffres communiqués par le FMI se situent à un niveau supérieur, est-elle donc remportée ?
La bataille de l’inflation ne sera remportée qu’à travers une amélioration effective de la productivité et de la compétitivité de l’appareil de production national, qui se traduira par une diminution significative des marchés extérieures en matière d’approvisionnement de produits finis.
Le processus, bien qu’enclenché, n’est à mon sens qu’à ses début, il ne sera consolidé qu’à travers des réformes permettant l’émergence d’une économie de marché concurrentiel. Ceci exige de solutionner définitivement le sort du secteur marchand de l’Etat (y compris les banques), de réguler par les instruments du marché et de développer des infrastructures de distribution.
- La réévaluation des projets d’investissement est un phénomène qui revient à chaque fois. Dans le PLF-2025, les autorisations d’engagement représentent 16,4% du total des crédits des dépenses d’investissement. L’insuffisance de la maturation des projets, ainsi que le justifie M. Faid, est-elle la seule en cause ? Et, dans l’affirmative, pourquoi ?
Le manque de maturation des projets est une situation de pathologie organisationnelle endémique qui devait être traitée dans le cadre de la mise en œuvre de la LOLF (Loi organique relative aux lois des finances, ndlr). Nous constatons à travers les révisions des crédits de paiements que le problème persiste d’où la nécessité de revoir sérieusement les processus d’établissement des prévisions et d’inscription des opérations d’équipement.
A mon avis, cette question ne peut être réglée définitivement qu’à travers une réforme profonde de l’administration publique qui aura pour objet une transformation et une révision des processus.
Ceci induira la mise en place d’une nouvelle organisation (adaptée à la nouvelle mission), de nouveaux instruments et de nouvelles méthodes (systèmes d’information, statistiques, gestion des grands projets……) et surtout de nouveaux profils de managers et de responsables qualifiés et maîtrisant les nouveaux instruments.
Les cas échéant, c’est l’efficacité et l’efficience de l’action publique qui risque d’être compromise avec à la clé une mauvaise affectation des ressources et une mauvaise prise en charge des besoins de la population en matière d’infrastructures et de services publics.