Lutte contre la corruption en Tunisie : Le président Saied rejette la notion de ligne rouge

22/11/2023 mis à jour: 15:30
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Le président Kaïs Saïed a mobilisé d’importants moyens pour moraliser la vie publique en Tunisie

L’affaire a éclaté le 10 novembre 2023 lorsque Youssef Aouadni, le secrétaire général de l’Union régionale du travail de Sfax, a été convoqué à une audition par la Garde nationale d’El Aouina, à Tunis, qui l’a laissé libre ce jour-là. Ce n’est qu’avant-hier que le parquet a décidé de sa garde à vue, lui et trois syndicalistes du secteur du transport de Sfax. 

Les affaires évoquées par le parquet sont, d’un côté, l’empêchement du départ du bateau reliant Sfax aux îles de Kerkennah ; de l’autre côté, le parquet reproche à Aouadni d’enfreindre la liberté du travail en appelant à un attroupement devant la direction régionale de la société pétrolière ETAP. 
 

L’affaire du bateau est un délit d’utilisation d’un avantage indu, ayant empêché un employé de faire son contrôle et provoqué le retard du bateau. Pour l’attroupement, le secrétaire général régional adjoint de Sfax, Mohamed Abbes, a assuré sur Radio Shemsfm : «Il est d’usage que le travail s’arrête lorsque le syndicat appelle à un rassemblement». 

Par contre, Riadh Jrad, chroniqueur sur la chaîne de télévision privée Attassiaa, a défendu «la liberté de travail, surtout en cette période de difficultés économiques traversées par le pays».  Riadh Jrad est connu pour sa proximité avec le pouvoir de Kais Saïed. 
 

L’affaire Aouadni renvoie, selon le syndicaliste à la retraite, HafedhMakni, sur «les avantages indus obtenus par les syndicalistes et leurs entourages familiaux et professionnels». Makni parle également, et en marge de l’affaire du rassemblement des syndicalistes devant l’ETAP, des rapports entre le syndicat et la Direction générale des entreprises publiques. L’ETAP étant une entreprise publique. «Il y a arrêt de travail, même pour les unités de production, en marge de chaque manifestation syndicale. 

En plus, le chèque annuel des cotisations du personnel à l’UGTT, c’est une priorité absolue en début de chaque année, alors que les retenues sur les salaires se font mensuellement,  sans parler du personnel mis à la disposition de la Centrale syndicale et payé par l’entreprise», explique Hafedh Makni, en insistant sur le fait que «ces pratiques sont devenues systématiques après le 14 Janvier 2011 ; le personnel mis à la disposition de l’UGTT avoisine les 20000 dans toutes les entreprises publiques». 

Le syndicaliste à la retraite se demande «comment voulez-vous que les entreprises publiques résistent alors qu’elles croulent devant pareilles charges lourdes et que leur productivité est très basse». Makni termine ses déclarations à El Watan, en renvoyant sur les propos du secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, pour commenter l’affaire Aouadni. «L’UGTT a une certaine intelligence et de la sagesse pour ne pas céder à ces tentatives visant à l’entraîner à la confrontation. Nous avons toujours su faire face à nos différends avec les pouvoirs successifs»... 

«L’UGTT n’est pas en position de faire de la confrontation, tellement elle traîne des casseroles», regrette déçu ce syndicaliste à la retraite. 
 

Les casseroles de l’UGTT

Les observateurs locaux et étrangers en Tunisie s’interrogent sur le timing de cette affaire Aouadni. «Est-ce un hasard si la première affaire soulevée contre l’UGTT ait lieu à Sfax, l’un des bastions forts de l’action syndicale ?», s’interroge Abdelaziz Jallouli, militant des droits de l’homme, originaire de cette région. «Il y a une claire intention de donner l’exemple, le pouvoir veut dire que si la correction des syndicalistes commence par  Sfax, c’est un signal STOP clair pour toute la Tunisie», ajoute ce soixante-huitard, ayant vécu toutes les batailles démocratiques de la Tunisie indépendante, sous Bourguiba, Ben Ali et, plus récemment, contre Ennahdha. 

«Oui, il faut arrêter les dépassements de la Centrale syndicale dont les syndicats ont détruit les entreprises publiques et parsemé la petite corruption à tous les niveaux», explique ce vieux militant exaspéré, en précisant : «Après la chute de Ben Ali, l’UGTT a pris sa part du gâteau de la malversation dans les recrutements dans les entreprises publiques ; aucun recrutement ne passe sans l’aval des syndicats, et c’était loin d’être gratis, même s’il y avait des concours», assure Sieur Abdelaziz. 

Les propos tenus par Sieur Jallouli sur les dépassements à Sfax traitent des créations de postes et des mutations des enseignants, du recrutement à la société régionale des transports, la SORETRAS, ainsi que dans la société des chemins de fer, la SNCFT. 

La municipalité de Sfax et ses différents arrondissements n’ont pas échappé à cette gangrène. «Tu peux facilement le déceler, en remarquant un agent affecté hors-circuit, pour les citoyens ‘‘pistonnés’’», poursuit ce vieux militant syndicaliste qui regrette l’ère Ben Ali. 

«Sous la dictature ouverte, les jeux étaient clairs : Il y a des lois et un Etat ; certains dérogent à ces lois. Maintenant, malheureusement, il n’y a plus d’Etat et l’UGTT a aidé à la dérive de l’Etat», regrette-t-il, avant de conclure : «Le Salut de la Tunisie passe par la reddition des comptes, au vu et au su de tout le monde ; nous sommes sur la bonne voie.»
 

Tunis
De notre correspondant  Mourad Sellami
 

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