Le projet d’ouverture du capital de la Banque de développement local (BDL) et du Crédit populaire d’Algérie (CPA) est un premier pas en direction d’un long processus de modernisation du système financier algérien (SFA). Annoncé en 2021, ce projet commence à se préciser avec des dates butoir, un degré d’ouverture et le principe de l’inscrire dans une réforme bancaire globale.
Une initiative à analyser à l’aune des dysfonctionnements du SFA qui sont de plus en plus évidents au fil des divers chocs externes ayant impacté l’économie algérienne au cours des quinze dernières années. Face à ces dysfonctionnements qui couvrent de nombreux segments de la sphère bancaire, monétaire et financière, des réformes ont été mises en œuvre avec toutefois des résultats limités vu l’absence d’un cadre stratégique global et d’ambition face aux défis rencontrés.
Au moment où les risques bancaires mondiaux sont en hausse du fait du resserrement des conditions financières, risques qui ne manqueront pas d’impacter une économie nationale coincée dans une trappe de faible croissance, les autorités ont affiné leur projet d’ouverture du capital de deux banques commerciales à travers la Bourse d’Alger. Une libéralisation financière timide qui pose beaucoup de questions alors qu’il est attendu une véritable stratégie de refondation de l’économie qui servirait de point d’ancrage à une réforme bancaire et financière globale qui reste à définir et mettre en œuvre sur le moyen terme. Discutons de tous ces points.
Éléments conceptuels d’une ouverture de capital d’une banque
Point 1 : les formes : (1) ouverture par la privatisation : apporte à la banque : (i) une solidité financière accrue ; (ii) une trésorerie renforcée ; (iii) une expertise (technique, stratégique), un réseau et un carnet d’adresses ; (iv) une occasion de construire une vision stratégique ; (v) une crédibilité accrue auprès des clients en cas d’alliance avec des investisseurs réputés ; et (vi) les moyens d’une expansion et d’une plus grande rentabilité.
Les coûts incluent : (i) un partage de la décision avec les nouveaux investisseurs ; (ii) une répartition des résultats entre plus d’actionnaires ; et (c) des intérêts et des attentes parfois divergents entre le management de la banque et les investisseurs ; et (2) ouverture du capital (par le biais de la bourse) : L’augmentation du capital en bourse consiste à créer de nouvelles actions en faisant appel aux investisseurs. Le prix de souscription est fixé par la banque. Il affiche souvent une décote plus ou moins importante par rapport au cours de la bourse.
Point 2 : Les conditions de succès : sont les suivantes : (1) un dossier solide incluant, entre autres, un plan de développement de l’entreprise, un montant relatif à la levée de fonds nécessaire pour mener correctement le projet, une valorisation appropriée de l’entreprise et un calcul adéquat du prix d’émission des nouveaux titres (mis en bourse). Cela demande du temps à construire et implique une expertise multiple (la société émettrice, ses partenaires, la banque conseil, le conseil juridique, les commissaires aux comptes, la société de communication financière, les actionnaires, les autorités de supervision du marché, la commission des bourses et la Bourse concernée, seule compétente pour décider de l’admission des titres à la cote de la Bourse) ; et (2) un environnement favorable, dont : (i) des fondamentaux macroéconomiques sains (stabilité des prix, discipline budgétaire, visibilité à moyen terme, taux de change adéquat, un cadre favorable aux investissements privés, des statistiques abondantes) ; (ii) une supervision de qualité ; (iii) une gouvernance de banque guidée par des obligations de résultats et de transparence; (iv) un système fiscal neutre favorisant l’intermédiation financière ; (v) une politique monétaire qui permet de déterminer des taux d’intérêt reflétant les forces de l’offre et de la demande ; une politique budgétaire viable et cohérente ; et (vi) une programmation monétaire de qualité.
La composition du SFA en Algérie à fin 2022 (Banque d’Algérie et FMI). (1) Système non bancaire : (i) 2 établissements financiers publics ; (ii) 5 sociétés de leasing financement, dont 3 publiques ; (iii) une mutuelle d’assurance agricole ; (iv) un segment assurance et capitaux en expansion (avec environ une trentaine d’entreprises, dont 1/3 sont des institutions publiques détenant environ 2/3 du marché). L’assurance automobile reste une activité dynamique (2/3 environ du marché des assurances) et les primes couvrant les dommages 1/3) ; (v) un marché boursier minuscule qui peine à décoller (4 sociétés cotées pour une valeur transigée de 39 millions de DA) du fait de contraintes structurelles à passer d’un modèle de financement par endettement à un financement par le marché ; (vi) un marché des obligations d’entreprises dominé par les titres d’État ; et (v) l’absence de marchés de titrisation ; (2) Système bancaire : (i) 20 banques commerciales (dont 13 banques privées) avec un marché de près de $59 milliards ; (3) Couverture financière totale : 5769 agences, avec 1725 agences bancaires (dont 400 privées), 99 agences d’établissements financiers et 4143 centres de chèques postaux et 12 millions de déposants (dont 726 780 détenus par des personnes physiques (signe d’une faible inclusion financière) ; et (4) une microfinance fragmentée : un réseau lourd d’agences administratives publiques octroyant des prêts subventionnés aux microentreprises.
Analyse du SFA à fin 2022. (1) Le système non bancaire se caractérise par une petite taille, avec une importante participation de l’État, une intégration limitée par rapport aux marchés financiers internationaux et des segments d’importance inégale ; (2) Le système bancaire se distingue par : (i) une pénétration et inclusion financière insuffisante avec une banque pour 26 551 habitants (taux de pénétration bancaire très insuffisant avec la moyenne au Maghreb étant de 1 pour 6000-10,000 habitants) ; et dont 726780 comptes détenus par des personnes physiques (signe d’une faible inclusion financière) ; (ii) une intermédiation reflétant l’absence de concurrence : avec un crédit total à l’économie de 10115 milliards de dinars représentant 36% du PIB, relativement modeste en comparaison internationale et traduisant un faible niveau d’intermédiation ; et des marges d’intérêt à hauteur de 78% du bénéfice d’exploitation, révélatrices d’une absence de concurrence ; (iii) une concentration des banques d’Etat (86% des prêts totaux) et une absence de concurrence. Pour finir, notons un produit net bancaire en chute : de 4,64% en 2022 et 1,84% en 2021 (Rachid Sekak in Tadjeddine &Partners : rapport sur le secteur bancaire en Algérie, 2023), indiquant que le système bancaire algérien est en récession.
Un SFA en l’état ne peut pas appuyer une refondation de l’économie nationale. L’absence de concurrence ne l’incite ni à prendre des risques ni à se remettre en question encore moins à progresser ; ajoutons à cela des renflouements fréquents ; et une gouvernance économique insuffisante pour les banques d’État du fait de facteurs internes aux banques (qualité des managers, faiblesse des mécanismes de contrôle interne, manque d’indépendance des conseils d’administration, aléa moral qui bloque une gestion bancaire sur des critères de rentabilité) et externes (cadre institutionnel de gestion des marchés et cadre macroéconomique déséquilibré). De nombreux facteurs expliquent cet état de fait, notamment : (i) la pause des réformes structurelles qui devaient lever les obstacles à la croissance du secteur privé ; (ii) un environnement réglementaire du secteur financier en flux ; (iii) une infrastructure mal développée, y compris une centrale de risque avec une couverture limitée ; et (iv) la prévalence des prêts dirigés par l’État et d’autres mesures de soutien.
Les autres défis structurels du SFA : (1) une programmation monétaire manquant d’efficacité sur le plan opérationnel vu l’absence d’articulation avec un cadre macroéconomique à moyen terme servant de socle à un cadre budgétaire à moyen terme qui intègre de façon cohérente les objectifs de monnaie et de crédit ainsi que le montant de refinancement des banques ; (2) la gestion de la liquidité : affaiblie par : (i) la qualité de la coordination avec la politique budgétaire ; (ii) la faiblesse du canal de transmission de la politique monétaire ; et (iii) le ciblage d’un taux directeur qui servirait de référence au niveau du marché interbancaire ; (3) la prévention des crises systémiques fait défaut du fait de l’absence de capacité technique mais également en raison de la fragmentation des responsabilités dans ce domaine et de l’inaction du comité de stabilité financière ; (4) la supervision des risques bancaires est faible en raison principalement de l’inaction de la commission bancaire au cours des cinq années précédentes vis-à-vis de certaines banques opérant en dehors des limites prudentielles ; (5) l’inefficacité de la gestion des programmes confiés aux banques publiques en matière d’appui au crédit.
Ces programmes de crédit subventionnés par l’état et gérés par les banques publiques sont inefficaces et coûteux. De plus, les subventions au logement sont mal conçues et mal ciblées. Quant aux prêts subventionnés octroyés aux petites et moyennes entreprises, ils ne répondent pas aux besoins des bénéficiaires et constituent un fardeau pour les banques publiques ; (6) l’absence d’un cadre réglementaire pour la microfinance privée ; et (7) l’inadéquation des mécanismes de garantie publique des programmes de crédit. Une multitude de faiblesses qu’une seule privatisation ne réglera pas.
Le projet d’ouverture du capital de la BDL et du CPA. (1) Les intentions des autorités : le projet d’ouverture du capital du CPA et de la BDL prévoit de : (1) s’inscrire dans le cadre de la réforme du système bancaire suivant une approche, globale et intégrée ; (2) permettre de capter les ressources financières hors du circuit bancaire, associer le secteur privé, s’appuyer sur les méthodes de gestion moderne et favoriser la concurrence au bénéfice des consommateurs ; et (3) contribuer à stimuler l’investissement et le marché de l’emploi et servir de modèle en matière de prestations de qualité. Les ouvertures de capital sont plafonnées à 30% et doivent intervenir via le marché boursier avant fin 2023 pour le CPA et à mi-2024 pour la BDL ; et (2) le poids des banques candidates : de taille modeste, le CPA est la troisième banque du pays en termes de bilan, de dépôts et de prêts. La BDL est la sixième banque en termes de bilan et dépôts et la cinquième en matière de prêts.
Le projet soulève un certain nombre de questions : La BDL et le CPA ont besoin d’abord et avant tout d’une alliance avec un partenaire solide disposant d’une expertise dans le domaine bancaire pour redynamiser leur gouvernance et leurs performances. Question 1 : Le passage par une bourse des valeurs mobilières est un canal classique qui donne une visibilité à la société émettrice. Mais cela implique un marché financier comprenant des solides investisseurs financiers, ce qui n’est pas le cas de la modeste bourse d’Alger ; Question 2 : Pourquoi plafonner la participation externe à seulement 30% ? Question 3 : est-ce que le recours à la seule bourse d’Alger signifie l’exclusion de partenaires externes (autorisé la loi monétaire et bancaire du 21 juin 2023) ? Question 4 : Le projet manque de profondeur stratégique sectorielle et n’est pas articulé dans le vaste projet de refondation de l’économie algérienne ; et question 5 : pourquoi une ouverture aussi rapide alors que les perspectives macroéconomiques à moyen terme restent défavorables, ce qui pourrait influer négativement sur l’activité des nouvelles banques.
Les grands axes des réformes à entreprendre. Des réformes monétaires, bancaires et financières plus ambitieuses s’imposent et doivent servir de point d’ancrage a un projet de libéralisation financière et surtout être cohérentes avec un cadre stratégique global qui inclut : (1) des mesures de stabilisation macroéconomique ; (2) des réformes structurelles de grande ampleur pour réduire la dépendance de l’économie aux hydrocarbures, transformer le secteur privé en moteur de croissance et soutenir l’activité économique ; et (3) des politique sectorielles visant à miser sur des sources de croissance à forte valeur ajoutée. Dans un tel contexte, les réformes monétaires, bancaires et financières se déclineraient ainsi :
(1) Les réformes financières (moyen terme). L’objectif est d’accroître la souplesse des taux d`intérêt, assurer une meilleure allocation du crédit, renforcer l`indépendance de la banque centrale et asseoir l`expansion des marchés monétaire et financier. Pour ce qui est de la politique monétaire, pour le court terme, l’urgence est de maîtriser la gestion de la liquidité en période de tension, alors que sur le moyen terme, la préoccupation sera de renforcer les canaux de transmission. Toutes ces réformes auront des conséquences importantes pour l`élaboration et la conduite de la politique monétaire et de la politique macroéconomique en général.
(2) Les réformes relatives à la politique monétaire doivent : (1) renforcer l’efficacité du canal de transmission ; (2) mieux prévenir les crises systémiques de liquidité ; (3) améliorer («fine tuning») la qualité de la gestion de la liquidité ; (4) renforcer le cadre macro prudentiel ; (5) réduire l’écart entre le taux officiel et le taux sur le marché parallèle ; et (6) instituer une courbe de rendement bien définie.
En appui de ces objectifs, les mesures-clés dans ce sens incluent : (1) une réforme du cadre juridique sur le rapatriement de toutes les recettes d’exportation du pétrole afin de mieux saisir la vraie demande de liquidité ; (2) une politique proactive d’endettement du Trésor devant appuyer le développement des marchés financiers et désengorger le canal de transmission des taux d’intérêt ; et (3) l’élimination des subventions sur les taux d’intérêt.
Pr Abdelrahmi Bessaha , Expert international