L’impératif de sécurité juridique face à l’inflation normative

28/04/2022 mis à jour: 00:58
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L’Etat de droit exige que les actes des pouvoirs publics soient non seulement clairs et précis, mais également stables, pour être fiable, le droit, cadre du changement et de l’innovation, doit aussi être flexible et dynamique.

Reste à savoir si la sécurité juridique peut constituer une norme dont les citoyens tirent des droits qu’ils peuvent invoquer devant les juridictions.

La naissance du principe de sécurité juridique

L’idée de sécurité juridique fait ses débuts sous la République de Weimar, dans les années 1920. Le jugement novateur est rendu le 14 novembre 1956 par le tribunal administratif supérieur de Berlin, qui protège la confiance de la veuve d’un ancien fonctionnaire face au retrait d’un acte administratif individuel irrégulier, alors que la légitimité du retrait des actes était incontestée auparavant.

En 1981, cette même cour rendait l’arrêt Durbeck du 5 mai 1981, dans lequel elle évoquait le principe de confiance légitime proche de celui de sécurité juridique.

C’est donc un principe ancien reconvoqué face à l’inflation et l’instabilité normative «quand la loi bavarde, le citoyen ne lui prête qu’une oreille distraite».

En Algérie, à la lecture de l’article 34 de la Constitution du 1er novembre 2020, le constituant consacre une sécurité juridique spéciale dans la mesure où il est fait obligation à l’Etat de veiller à la mise en œuvre de la législation relative aux droits et libertés, à assurer son accessibilité, sa lisibilité et sa stabilité afin de garantir la sécurité juridique. Donc en Algérie, l’impératif de sécurité juridique revêt une valeur non seulement constitutionnelle mais spécifique.

La signification du principe de sécurité juridique

La sécurité juridique est la qualité d’un ordre juridique qui assure à ses destinataires lisibilité et confiance dans ce qui constitue le droit à un moment donné et ce qui, selon toute probabilité, sera le droit à l’avenir.

En droit algérien, le constituant consacre une sécurité spécifique prévue par l’alinéa deux de l’article 34 de la Constitution quant aux droits et libertés pouvant faire l’objet d’une restriction et qui ne peut intervenir que par une loi et pour des motifs liés au maintien de l’ordre public, de la sécurité et de la protection des constantes nationales, mais en tout état de cause, ces restrictions ne peuvent en aucun cas porter atteinte à l’essence de ces droits et libertés.

Il s’agit d’une sécurité spécifique par le droit, du droit et pour le droit, qui permet au citoyen de s’épanouir librement et de façonner son existence selon ses propres projets. Le citoyen doit pouvoir se fier au fait que son action conforme au droit en vigueur reste reconnue par l’ordre juridique avec toutes les conséquences juridiques qui lui sont liées initialement.

Dès lors, pour le citoyen, la sécurité juridique signifie, avant tout, protection de la confiance. Le juge constitutionnel par sa jurisprudence constante, mais également le juge administratif font ainsi explicitement de la protection de la confiance le corollaire central de la sécurité juridique.

On peut donc considérer que la sécurité juridique et la protection de la confiance coopèrent avec les droits fondamentaux pour garantir la fiabilité de l’ordre juridique.

Les éléments constitutifs de la sécurité juridique

On peut considérer qu’il y a trois principes qui caractérisent la sécurité juridique :

-D’abord le principe de clarté du droit exige, sur le plan formel, une publicité adéquate et suffisante des normes par divers canaux (Journal officiel, publication, notification individuelle, etc.). Il suppose aussi que leur contenu soit suffisamment clair et cohérent, cette exigence de cohérence portant sur l’ordre juridique dans son ensemble.

-Ensuite, la sécurité juridique inclut le principe de précision du droit, les normes, les lois notamment doivent être formulées précisément, de manière à ce que leurs conséquences pour leurs destinataires soient suffisamment prévisibles de manière à ce que des critères d’actions clairs et adoptés soient fixés pour l’administration, et de manière à ce qu’un contrôle de l’administration par le juge soit possible, ce qui est prévu par l’article 168 de la Constitution, la justice connaît des recours à l’encontre des actes des autorités administratives.

-En dernier lieu, le principe de protection de la confiance mobilise la plupart des analyses relatives à la sécurité juridique ; cela signifie que les citoyens doivent pouvoir évoluer dans un milieu juridique dans lequel ils peuvent avoir confiance.

Le droit fiscal et la sécurité juridique

Parmi les domaines frappés par l’insécurité juridique, chacun sait que le droit fiscal arrive au premier plan.

Le droit fiscal et la sécurité juridique paraissent ainsi entretenir des rapports passionnels, quoique l’on puisse observer, plus largement, que la sécurité juridique n’a de cesse de préoccuper aussi bien les pratiquants du droit fiscal que la doctrine.

Je m’explique, la loi de finances 2012 a introduit une procédure proche de celle connue à l’étranger sous l’appellation de «Ruling», il s’agit du rescrit fiscal prévu par l’article 174 du code des procédures fiscales.

Ce dispositif offre un degré suffisant de sécurité juridique puisqu’il prévoit que l’administration des impôts ne pourra pas mettre en cause la procédure de répression à l’encontre des contribuables de bonne foi ayant consulté préalablement les services fiscaux sur la portée d’un contrat ou d’une convention et s’il est démontré que l’appréciation faite par le contribuable a été admise par l’administration fiscale.

L’alinéa dernier de l’article 34 de la Constitution érige le principe d’accessibilité et d’intelligibilité et sa stabilité en objectif à valeur constitutionnelle découlant du principe d’égalité et de la garantie des droits.

Les exigences de sécurité juridique conduisent aujourd’hui à conférer aux commentaires administratifs (bulletin de la Direction générale des Impôts) comme au rescrit fiscal une importance cruciale, mais cette obsession de sécurité juridique conduit paradoxalement à conférer à l’administration fiscale une forme de primauté dans l’interprétation de la norme fiscale, alors que ce rôle échoit traditionnellement au juge fiscal. Le commentaire de la loi fiscale par l’administration est caractérisé par une abondance de détails qui nuit à son intelligibilité.

Conclusion

Le principe de sécurité juridique répond au mouvement profond de complexité croissante du droit, il apparaît comme le dernier recours auquel s’accrochent les juges pour maintenir un semblant d’ordre et permettre au droit de remplir la mission qui est normalement la sienne.

On assiste dans beaucoup de pays à une prolifération de lois et de normes, cela crée un véritable maquis juridique, complexe, peu compréhensible, face auquel les citoyens se trouvent le plus souvent désemparés. La réalisation du droit en général implique les rapports citoyens-administration dans un contexte d’Etat de droit et en cas de conflit, l’intervention des juridictions est le lieu privilégié pour le monde des affaires.

D’autant que la notion juridique dans le cadre d’une mondialisation en marche a débordé la sphère strictement juridique pour embrasser la sphère économique. C’est pourquoi le rôle du juge administratif, en particulier, devient aujourd’hui déterminant. 

K. F.
Juriste

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