Invité par l’association culturelle Fadaet Cirta, l’historien Daho Djerbal a animé, samedi, une rencontre-débat à la maison de la culture Malek Haddad de Constantine, en présence d’un public composé essentiellement d’anciens moudjahidine, d’universitaires et d’historiens.
Le conférencier et directeur de la revue NAQD a présenté une synthèse des deux tomes de son ouvrage sur les mémoires de Lakhdar Bentobbal. Un dirigeant nationaliste témoin-clé des évènements de la lutte de libération nationale, depuis les années de la clandestinité jusqu’aux négociations d’Evian. «Avant d’entamer la présentation de mon travail, je veux parler au nom des militants de la Wilaya II. L’histoire officielle dit que le peuple algérien s’est soulevé comme un seul homme le 1er Novembre contre le colonialisme.
Mais durant mon enregistrement avec Bentobbal, ce dernier a insisté sur le fait de parler des hommes du 1er Novembre, des faits de l’histoire et de ce qui s’est passé. Ces gens ne devraient pas rester anonymes», a souligné Daho Djerbal, citant les noms des militants de cette région et ceux de l’OS. «Ces gens de Constantine, Mila et ses environs étaient dans le groupe de Zighoud Youcef, à Annaba et Guelma et méritent qu’on parle d’eux», a-t-il ajouté.
L’historien n’a pas manqué de rendre hommage aux premiers militants et responsables de l’Étoile nord-africaine (ENA) et du Parti du peuple algérien (PPA). Il a cité entre autres, Mohamed Belouizdad, Filali Abdellah, Abdelmalek Kitouni, Brahim Chergui et Lakhdar Hiouani. Sur la genèse de ces deux tomes, il a évoqué ses études à l’université, basées sur une plateforme scientifique académique.
Mais, en retournant aux archives pour travailler sur l’histoire contemporaine de l’Algérie, il a affirmé qu’il s’était heurté à une autre réalité, car l’histoire de l’Algérie contemporaine a été écrite par un administrateur civil. Pour le conférencier, «c’était un combat de 42 ans de recherches continues, faisant de la mémoire orale une référence et une source pour l’écriture de notre histoire, avec notre propre vision et notre propre concept». «Sur la base de ces témoignages, nous pouvons expliquer certaines choses suspendues et posées jusqu’à présent dans la société algérienne», a-t-il révélé.
Le tournant décisif du 20 août 1955
Djerbal a mis la lumière sur le contexte et le milieu dans lesquels est née l’idée de l’indépendance. Un point abordé dans le tome 1 intitulé «Lakhdar Bentobbal. Mémoires de l’intérieur».
Lors du débat, plusieurs questions ont été soulevées, dont la relation entre le simple citoyen algérien et le militant politique au temps du colonialisme. Djerbal a rappelé qu’après 1954, les élections locales des assemblées se poursuivaient toujours avec la candidature d’Algériens, dont l’élite. Selon une étude établie par Djerbal et le défunt Abdelkrim Badjadja, ex-directeur des archives à Constantine, les statistiques d’une enquête du régime français réalisée en 1937 ont montré qu’entre 80 et 90% des habitants étaient pauvres. Il y avait une économie de sous-existence.
Donc le défi a été lancé par Didouche Mourad à travers la théorie de lutte de libération à long terme. Un point abordé dans le tome 2, intitulé «Lakhdar Bentobbal. La conquête de la souveraineté». «Un autre point que je juge indispensable c’est les évènements du 20 août 1955. J’avais toujours dit, s’il n’y avait pas eu un 20 août 1955, il n’y aurait pas eu le 20 août 1956. Il était un tournant décisif de la guerre de libération dans cette région.
La guerre n’a pas été menée uniquement pour l’indépendance, mais aussi sur la base du programme de Messali El Hadj en 1927, pour la libération, la souveraineté du peuple et la récupération des terres confisquées», a-t-il insisté, estimant que la date du 20 août n’a pas été fortuite. «Cette date a été choisie par Zighoud Youcef, voulant lui donner une dimension maghrébine coïncidant avec les manifestations de Dar El Beida au Maroc. C’est après la répression du peuple algérien, que ce dernier s’est dirigé vers les militants et l’armée de libération (ALN) devenue l’armée du peuple algérien. Cette liaison se transforme en embryon d’un contre gouvernement, d’un Etat algérien souverain dirigé par ses propres représentants», a déclaré Djerbal.
Des faits historiques primordiaux
Selon les témoignages transcrits dans l’ouvrage, les conflits concernaient les stratégies à adopter à long terme pour le mouvement national, la guerre de libération et l’indépendance. Le Tome 2 compte de nombreux faits décisifs et primordiaux dans l’écriture du texte historique, comme l’affaire Abane Ramdane, qui a commencé de l’intérieur.
Même ces distinctions entre militaire et politique, autorité et légitimité n’ont été évoquées que lors du Congrès de la Soummam. «Ces liquidations et beaucoup de choses doivent faire l’objet d’études avec objectivité, tous ces faits sont une matière première pour l’explication du passé et de ce qui reste jusqu’à nos jours.
Puis, il y a le plan Challe mis en place avec l’arrivée du général de Gaulle. Cette opération n’est pas à séparer du plan de Constantine et ce dernier n’est pas à séparer de la 3e force, qui doit être là lorsque l’Algérie sera indépendante. S’il restait des militants dans le maquis, c’était un miracle, avec la mobilisation de 456 000 militaires, sans compter les harkis, les milices françaises, les unités territoriales et autres.
On avait 800 000 hommes armés mobilisés contre 9 millions d’Algériens qui ne sont pas tous nationalistes. Regardez maintenant, on a fait tout un tapage pour 100 000 militaires russes mobilisés contre 40 millions d’habitants ukrainiens», a précisé Daho Djerbal.
Par ailleurs, lors du débat, l’auteur n’a pas manqué d’exprimer son refus de regarder les documentaires français, en les pointant du doigt, y compris les travaux de Benjamin Stora. Il avait même estimé «qu’on voulait discréditer l’évènement historique de la révolution algérienne qui est unique au monde. Un évènement capital dans l’histoire de l’Afrique, où l’Algérie a mis à la porte 1 million d’Européens». «Si j’avais cité Benjamin Stora, ce n’est pas pour lui répondre.
C’est à préciser, quand je parle, d’où je parle? À qui je m’adresse quand on parle d’ailleurs? Et par qui on est mandaté? C’est exactement ce que je veux dire, car la parole doit être contextualisée, voire mise en situation, et la personne qui porte cette parole doit être aussi contextualisée et mise en situation», a-t-il déclaré à El Watan en marge de la rencontre.