Un genre à part entière, le film de guerre met en scène l’héroïsme algérien, et ce 5 juillet aura encore été l’occasion de revisiter le glorieux récit national par le cinéma. Mais qu’en est-il de sa qualité cinématographique ?
Depuis l’éviction de Khalida Toumi et son passage en prison, aucun film de fiction n’a été produit par l’Algérie, les œuvres actuellement projetées ayant bénéficié du fonds d’aide au cinéma avant 2019. Les scénarii sont donc dans les tiroirs humidifiés en attendant l’adoption de la loi sur le cinéma.
De fait, seuls les films sur la guerre d’indépendance sont financés et seules les institutions publiques comme l’ENTV ou le ministre des Moudjahidines produisent des films, ce dernier ayant encore lancé pour les 70 ans du déclenchement de la guerre au 1er novembre 2024, un fonds pour financer de nouveaux films. «Mais ce sont surtout des films de commandes», se plaint un producteur au chômage technique, «qui attirent des producteurs qui ne cherchent que de l’argent au détriment de la qualité», ajoute-t-il. C’est la question, après les succès des années 1970, la relève est-elle assurée ?
C’est encore plus compliqué, en 2022, les moudjahidines lançaient un appel à projets cinématographiques, mais aucun film n’est sorti et l’argent a finalement été affecté à la CNIC, un nouvel organisme, encore un, Centre national de l’industrie du cinéma, lancé par le conseiller à la Présidence et cinéaste Ahmed Rachedi, qui rémunère des scénarios sur la Révolution pour produire à sa charge les films en question. C’était la deuxième question, les films de guerre sur la guerre d’indépendance sont-ils les plus faciles à faire ou les plus consensuels ?
La Bataille d’Alger n’est pas terminée
En attendant, on revisite. Si dans les films américains on a toujours l’impression que les USA ont gagné la guerre du Vietnam, ont battu les Afghans, Daesh ou les Somaliens, ce qui est faux mais illustre la supériorité de la puissance culturelle sur la militaire, ce n’est pas le cas pour l’Algérie, on gagne et le film montre la victoire. A part cette exception, la Bataille d’Alger, perdue en 1957 mais qui a donné à la Révolution une aura internationale, et le film produit ensuite, La Bataille d’Alger, a été un succès planétaire, classé 48e sur les 50 meilleurs films de tous les temps selon la prestigieuse revue de cinéma Sight & Sound.
D’ailleurs, chaque année, il est rediffusé à l’occasion du 5 Juillet et du 1er Novembre et donne régulièrement preuve qu’il n’est pas mort, pas plus que la Révolution algérienne, l’occasion de films sur le film. Citons La Bataille d’Alger, un film dans l’histoire de Malek Bensmaïl en 2017, La Bataille d’Alger, l’empreinte de Cheikh Djemaï, 2018, ou encore L’histoire du film La Bataille d’Alger de Salim Aggar, en 2018 également.
Car l’universalisme de La Bataille d’Alger est toujours d’actualité, film témoignage néoréaliste devenu celui de tous les mouvements révolutionnaires à travers le monde. Relancé par Ben Laden après septembre 2001 où une projection est organisée au Pentagone en 2003 après la chute de Bagdad pour comprendre les guérillas urbaines, il avait déjà été projeté dans des écoles militaires argentines à l’époque de la dictature et même en Israël en 2002 où il est recommandé aux officiers face à la Seconde intifada.
Mais tourné en 1965, le film coproduit par Yacef Saâdi et l’Italie, réalisé par l’ancien résistant antifasciste Gillo Pontecorvo, sur une musique d’un jeune compositeur de l’époque, Ennio Morricone, sera refusé à Cannes et n’obtiendra son visa d’exploitation en France qu’en 1972 avant d’être retiré sous les menaces de l’extrême droite alors que les Italiens le récompenseront à Venise dès 1966 par un Lion d’or, au grand dam de la délégation française qui quittera la salle à l’annonce du palmarès.
Un film de guerre est une guerre et on ne sait plus très bien où est la fiction, pourtant représentant 50% des éléments de La Bataille d’Alger, et l’historique. D’ailleurs, l’historique Yacef Saâdi, jouant lui-même son propre rôle dans le film, ajoutera à la confusion organisée par le colonel Boumedienne qui met à sa disposition véhicules, uniformes et soldats pour les besoins du tournage et serviront de camouflage au coup d’Etat mené le 19 juin 1965, tout le monde pensant assister à une répétition de cinéma. Le film aura finalement sa revanche sur la France, La Bataille d’Alger sera projetée à Cannes en 2004 alors qu’au passage, Chronique des années de braise de Mohamed Lakhdar Hamina décroche en 1975 la palme d’or, la seule du monde arabe et d’Afrique. La Bataille d’Alger n’est donc pas morte, et sa réappropriation en 2017 par le rappeur algérois Diaz dans un clip reprenant ses images et par le Hirak en 2019 est le signe que l’héroïsme ne meurt jamais. D’où la recette.
Le hic du biopic
Rappel, dans la foulée de La Bataille d’Alger, le nouveau régime crée l’Office national pour le commerce et l’industrie cinématographique (Oncic) en 1968 et le cinéma algérien connaît entre 1970 et 1980 une véritable explosion, devenant le digne représentant du cinéma africain et arabe, défenseur des causes mondiales d’un cinéma non aligné. Plus de 40 films algériens seront réalisés sur la guerre de Libération, avec une phase descendante jusqu’à la fin des années 80 où entre 1990 et 2007, aucun film algérien ne sera fait sur le thème de la révolution. La tendance reprend avec le deuxième mandat Bouteflika, grand fan de Boumedienne, et plus tard en 2011 sous le règne Khalida Toumi, une loi oblige tout film sur la guerre d’indépendance à être soumis à une autorisation spéciale du ministère des Moudjahidines.
Ce qui fut le problème de Ben Mhidi, biopic autour du héros déjà présent dans le film La Bataille d’Alger et qui s’ouvre sur la même première séquence, Ben M’Hidi, joué par Khaled Benaïssa, torturé par l’armée française. Réalisé par Bachir Derraïs sur un premier texte de Mourad Bourboune, le tournage démarre en 2011 au moment de la loi sur les films de guerre et est livré en 2018 alors que le ministère des Moudjahidines, coproducteur à hauteur de 28% de l’œuvre qui a coûté 4 millions d’euros, émet 55 réserves et bloque le film. Jusqu’à décembre 2022, où il est officiellement annoncé pour mars 2023, «les Moudjahidines lèvent toutes les réserves exprimées sur ce film», indique un communiqué du ministère de la Culture. Nous sommes en juillet et Ben M’Hidi, le film sur la guerre d’Algérie dont la sortie aura duré plus longtemps que la guerre d’Algérie, n’est toujours pas en salles.
Peut-on faire des films indépendants sur la guerre d’indépendance ? Les avis sont partagés, même si la Bataille d’Alger, la bataille, pas le film, est terminée à Alger. Mais la guerre l’est-elle vraiment ? Ici, il faut peut-être passer des écrans cinéma aux écrans TV et voir qu’après le meurtre par un policier d’un Franco-Algérien en France, les médias français, politiques de centre-droit, de droite et d’extrême-droite, se focalisent surtout sur les Algériens, étrangers, et les Algériens, naturalisés français, accusés de fomenter une guerre civile, responsables d’une forme de terrorisme urbain. Comme en 1957.