Les Tunisiens appelés demain à se prononcer sur un projet de nouvelle Constitution : Vers le retour de la Tunisie au régime présidentiel

24/07/2022 mis à jour: 05:25
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Photo : D. R.

Les Tunisiens sont appelés aux urnes demain pour se prononcer sur le projet de Constitution du président Kaïs Saïed. L’opposition n’arrive pas à s’unir faute d’un programme minimum et d’un leader charismatique. Le oui l’emporterait largement, selon les observateurs.

Rien de vraiment spécial n’indique à Tunis qu’un référendum aux conséquences importantes va se dérouler demain, 25 juillet, et ce n’est pas la faute au silence électoral. Les panneaux d’affichage sont carrément vides, aussi bien les favorables au projet de la nouvelle Constitution, que les opposants.

Pourtant, la nouvelle Constitution changera la vie politique des Tunisiens, en instaurant le retour au régime présidentiel. Mais, la quasi-majorité de la population est plutôt inquiète pour sa survie socioéconomique, après une décennie ayant ruiné son pouvoir d’achat. Et ils ont confiance en ce Président, issu du peuple. La déception de la population explique son appui massif aux mesures prises par le président Saïed. Seuls les intellectuels ont passé au crible la nouvelle Constitution et sont presque tous contre le projet pour diverses raisons.

Pour le restant de la population, c’est carrément un vote sanction contre tous les partis ayant animé la vie politique durant la décennie ayant suivi la chute de Ben Ali le 14 janvier 2011. «Ce qui compte pour moi, c’est d’abord ce que je peux offrir à table à mes enfants. Ensuite, la prise en charge sanitaire de la population, la scolarité et le transport. Enfin, il y a également la sécurité et la paix civile.

Or, tous ces indicateurs sont dans le rouge et vont même vers le noir», s’insurge Monia, chef de service dans une entreprise publique, épouse d’un directeur général et mère de deux jeunes âgés de 16 et 20 ans. Monia déplore le recul enregistré au niveau des services publics. «Nous avons besoin du retour de l’Etat pour espérer un meilleur avenir pour mes enfants et mes petits-enfants», insiste-t-elle. Monia n’est pas fan de Kaïs Saïed mais, elle souhaite la fin de ce chaos et des partis l’ayant créé, à l’image de la majorité des Tunisiens.

Un rejet systématique de la politique partisane est réclamé par la population. Les Tunisiens ne veulent plus de scènes hystériques observées dans les Parlements successifs après la chute de Ben Ali. «L’image de la politique s’est dégradée dans l’imaginaire populaire et c’est, entre autres raisons, pourquoi ils ont adulé cet universitaire parlant un jargon qu’ils comprennent à peine», explique Abdelmajid Ben Gayes, un vétérinaire intellectuel vivant de l’agriculture. Ben Gayes assure que «la majorité de la population assimile les partis politiques à des voleurs, qui se disputent le gâteau du pouvoir».

Pour preuve, il avance l’absence de campagne explicative autour de la Constitution. «Ils étaient plus d’une centaine à s’inscrire, entre associations, partis et personnes physiques, pour faire la campagne explicative. Ils espéraient avoir les sous de la campagne. Mais, faute de ces fonds de soutien, servis d’habitude pour les élections, ils n’ont pas fait le moindre effort avec leurs propres moyens.» Même les sympathisants du parti islamiste Ennahdha l’ont lâché ; le président Saïed se réclame, lui-aussi, du registre islamique.

Attentes

La majorité de la population ne s’intéresse pas aux subtilités de ce projet de Constitution. «Il y a une impression qu’ils remettent leur sort entre les mains du président Saïed, auquel ils accordent pleine confiance et espèrent qu’il va améliorer la situation de la Tunisie», pense le président du parti Chaâb, Zouhair Maghzaoui.

Les islamistes d’Ennahdha préfèrent se terrer. Leurs dirigeants, Rached Ghannouchi et Hamadi Jebali, sont poursuivis dans des affaires graves, en rapport avec l’appareil secret du mouvement, les affaires Instalingo et Namaa Tounes, où il y a de forts soupçons de blanchiment d’argent. Ennahdha préfère reculer pour garder un peu de représentativité lors des élections législatives du 17 décembre 2022. Et même le Parti destourien libre (PDL) et sa dirigeante Abir Moussi ne sont pas parvenus à s’imposer devant l’élan de Kaïs Saïed.

Côté participation, les récentes réformes de la loi électorale, faites par décret présidentiel, ont permis l’inscription automatique de tous les Tunisiens sur les listes électorales. Le nombre d’inscrits a ainsi augmenté de près du quart, en passant de sept à neuf millions.

Cela impactera négativement le taux de participation, qui n’était déjà pas très élevé lors des dernières élections. Les élections législatives de 2019 n’ont drainé que 41,6% des électeurs, c’est-à-dire près de trois millions d’électeurs sur un peu plus de sept millions d’inscrits.

Toutefois, le 2e tour de la présidentielle de 2019 a attiré 56,8% des électeurs inscrits, déjà huit points de plus que le 1er tour de la même élection, dont le taux de participation s’était limité à 48,98%. «Les Tunisiens d’un certain âge, comme moi, se limitent à choisir un Président ; nous n’entrons pas dans le jeu des partis», explique Ali, sexagénaire, commerçant de quartier. Cela explique, en partie, la différence entre les 41,6% des législatives et les 56,8% du 2e tour de la présidentielle. Qu’en sera-t-il pour ce référendum, qui scelle le retour à un régime présidentiel ? 

Gaz lacrymogènes contre des manifestants opposés au Référendum

Le boulevard Habib Bourguiba a vécu, vendredi 22 juillet 2022, au rythme d’une manifestation organisée par une coalition d’organisations de la société civile pour exprimer son opposition au référendum.

La Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), ainsi qu’une trentaine d’autres ONG ont appelé à manifester.

Il y avait également quelques leaders politiques, à l’image de Hamma Hammami, le chef historique du Parti des travailleurs. Quelques centaines de manifestants ont répondu à cet appel. Ils ont scandé des slogans contre le référendum et le président Saïed. Les forces de l’ordre, présentes en grand nombre, ont dressé des barricades sur le boulevard, «pour protéger les manifestants et éviter les éventuels dérapages, comme dans toutes les manifestations», selon une source du ministère de l’Intérieur.

Les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogène «contre des agissements agressifs de certains manifestants», poursuit la même source. Des photos sur les réseaux sociaux montrent le président du Syndicat national des journalistes, Mehdi Jelassi, recevant des soins à bord d’une ambulance. La centrale syndicale UGTT a réclamé la libération des manifestants arrêtés. Les réseaux sociaux parlent de huit arrestations. M. S.

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