Les tablettes à l’école : L’échec suédois

14/11/2024 mis à jour: 12:34
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Trop de nouveautés – surtout quand elles ne sont pas bien pensées– rendent flou le champ neuronal de la compréhension/assimilation. Il est difficile, voire impossible pour un  système de bien digérer un excès d’innovations introduites sans anticipation. 

La précaution et l’anticipation sont recommandées  quand il s’agit d’un système scolaire qui fonctionne et agit doublement  sur la matière grise et l’intelligence émotionnelle de ses acteurs, élèves, enseignants, administratifs et parents. Depuis trois ans, on constate avec soulagement que l’école primaire algérienne est l’objet d’attentions soutenues. Il était temps d’y penser, elle qui a souffert à l’ombre des autres cycles et notamment du cycle terminal. Dans cette modeste contribution, un regard critique, mais constructif, de la nouveauté des tablettes numériques introduites dans le cycle primaire.

Te syndrome suédois, c’est quoi au juste ? Il est bon de préciser les tenants et aboutissants de ce concept. 
Toute introduction d’une nouveauté/innovation, en lien direct avec les apprentissages des élèves emprunte deux cheminements possibles : l’un menant à la réussite et l’autre sanctionné par un échec. En Suède, les autorités scolaires se sont laissées  hypnotiser par la magie et la puissance de l’outil informatique. 

A tel point  qu’elles ont occulté les précautions d’usage lors de la généralisation de la tablette numérique dans les écoles primaires et maternelles, en 2013. Dix ans après, suite à une évaluation globale et sans complaisance, elles ont conclu à un échec de l’opération. En septembre 2023, les écoliers suédois ont repris contact avec les manuels scolaires : exit la tablette numérique. Pourquoi avoir mis fin à la tablette numérique ?

Pour répondre à la question, il est établi que les autorités scolaires de ce pays n’ont pas respecté le protocole expérimental. L’échec aurait pu être évité, et toute une génération d’élèves n’aurait pas subi les dégâts induits par la tablette numérique. Il faut préciser que la Suède a utilisé la tablette numérique en tant que levier supposé faciliter les apprentissages scolaires et non pour alléger le cartable de l’élève. Celui-ci retrouve dans sa tablette les leçons du manuel, pas en l’état brut (comme c’est le cas pour les écoliers algériens), mais scénarisées. 

La scénarisation pédagogique est une spécialité pointue que beaucoup de pays ne maîtrisent pas. Malgré que la scénarisation des leçons soit maîtrisée par les pédagogue et informaticiens suédois, l’usage de la tablette a eu des conséquences néfastes sur les apprentissages scolaires des élèves. Mais pas que !  
 

L’échec

Finalement, plus d’un siècle après, les chercheurs universitaires donnent raison aux pédagogues pionniers des méthodes actives et qui ont valorisé les techniques de «l’écrit-lecture» pour apprendre à lire. Ces techniques sont basées sur l’écriture manuelle. 

Pour les chercheurs, l’écriture manuelle permet d’acquérir une connaissance plus riche liée à la formation des lettres. Cette écriture manuelle sollicite la mémoire de la main. Selon eux, c’est un moyen très efficace  pour un enfant d’acquérir une langue écrite (maternelle ou étrangère). Avec l’écriture manuelle,  les enfants mémorisent mieux les syllabes et les mots. Et cela est aussi valable pour un adulte qui apprend une langue étrangère.


DÉMONSTRATION. 

L’évaluation décisive qui a argumenté la décision de mettre fin aux tablettes numériques s’est appuyée sur deux plaidoyers, l’un médical et l’autre psychopédagogique.

•  La spécialiste en sciences cognitives Brenda Repp de l’Université américaine John Hopkins  a publié les résultats de son expérience dans une revue spécialisée (Psychological Sciences – Juin 2021). Son équipe a proposé à un échantillon de 42 personnes  d’apprendre à écrire en arabe. 

Cette langue étant inconnue pour ces personnes. L’échantillon est divisé en 3 groupes : un groupe avec stylo et papier, un autre sur clavier et le troisième groupe travaille sur vidéo. C’est le groupe «papier-stylo» qui a vite et mieux maîtrisé la graphie arabe.

• A l’orée du IIIe millénaire, Boris Cyrulnik, éminent psychiatre, alerte l’opinion publique sur les dangers de l’addiction aux écrans. Il écrit : «Un écran n’établit pas d’interaction avec son utilisateur. Mon écran d’ordinateur ou de smartphone ne m’a jamais souri. Or, un enfant a besoin de sentir l’autre. Il a besoin d’apprendre à décoder ces gestes, ces mimiques afin de synchroniser avec l’autre. Avec cette addiction à l’écran, l’enfant n’apprend pas l’interaction. Il a un trouble de l’empathie. Donc, il est soumis à ses pulsions. Comme on le voit aujourd’hui, beaucoup d’adolescent(es) qui ne contrôlent pas leurs émotions et qui passent à l’acte, ou bien contre eux ou elles-mêmes ou bien contre les autres.»
 

Ramenés aux activités de la classe, ces propos nous obligent à parler de la communication pédagogique, à savoir les interactions maître/élèves et élèves/élèves. N’est-ce pas que les éléments de cette interaction se retrouvent dans la vie interne de la classe ?  Avec, d’un côté, l’attitude du maître, ses déplacements entre les rangées de tables, son regard panoramique ou ciblé, ses mimiques parfois, sa gestuelle et l’intonation de sa voix, et, de l’autre, le comportement du groupe classe : tel élève attentif boit les paroles du maître, tel autre fait dans l’évitement de peur d’être interrogé. 

Ces interactions sont l’alpha et l’oméga du processus enseignement/apprentissage. Elles fluidifient les explications du maître et facilitent la compréhension/assimilation de la leçon par l’élève. Devant sa tablette, l’élève a les yeux braqués sur l’écran. Il ne voit pas l’expression verbale et corporelle de son enseignant.

Ce dernier n’arrive pas à détecter sur les visages, l’état d’esprit de ses élèves, leur humeur, leurs émotions. De la sorte, les explications et la compréhension/assimilation en pâtissent et s’amenuisent. C’est là un des facteurs explicatifs de la baisse des apprentissages scolaires constatée par les évaluateurs suédois. 


• Par ailleurs, une étude japonaise menée sur 60 000 enfants exposés aux écrans a établi le constat suivant : les enfants connaissent une forte diminution de leurs capacités motrices et de leurs compétences sociales personnelles (empathie, communication). Il se dit même chez certains spécialistes que l’explosion des cas d’autisme à travers le monde pourrait avoir un lien de cause à effet avec l’addiction aux écrans.

• Une autre étude, norvégienne celle-là, a évalué les différences de fonctionnement du cerveau selon que l’on écrit à la main ou que l’on utilise le clavier. Les chercheurs sont arrivés aux mêmes résultats que lors des recherches de Brenda Repp de l’Université John Hopkin ci-dessus mentionnées. 

Dans l’amphithéâtre, les étudiants qui prennent leurs notes sur ordinateur obtiennent des résultats (aux épreuves d’évaluation) inférieurs de 11% par rapport à ceux de leurs camarades qui les prennent avec le stylo-papier. Les chercheurs expliquent cela par :

- Le fait que l’usage de l’écran est facteur de distraction, tout en perturbant les étudiants qui ont des écrans dans leur champ de vision.  

Autre explication paradoxale : les étudiants qui prennent des notes avec clavier transcrivent un volume beaucoup plus grand de notes que ceux qui utilisent le stylo-papier. 

- Toutefois, après une épreuve d’examen organisée une semaine plus tard, les résultats ont été inversés. Les étudiants qui ont pris des notes manuscrites avaient de meilleurs résultats à cet examen.

- L’explication, selon les chercheurs,  est que les étudiants à clavier ne prennent pas le temps de comprendre ce qu’ils écrivent comme notes. Ils les prenaient en copiant simplement ce qu’ils entendaient. Alors que ceux des notes manuscrites devaient faire l’effort de comprendre ces notes pour les trier et les résumer, une fois le cours terminé. 
 

- Mieux, les chercheurs norvégiens ont constaté que l’écriture à la main activait les zones du cerveau en charge des apprentissages. Alors que ces zones du cerveau  étaient inactives chez les étudiants à clavier. 
 

- Et de suggérer en guise de conclusion à leur étude : «L’étudiant apprend et comprend le contenu en même temps qu’il écrit à la main.»
 

Quid de l’Algérie ?

Cette expérience malheureuse qu’ont subie les écoliers suédois doit nous interpeller pour ne pas la rééditer chez nous. 

En septembre 2023, au moment où la Suède abandonnait la tablette numérique et retournait au manuel scolaire, le ministère de l’Education nationale (MEN) lançait l’utilisation des tablettes numériques dans les classes du primaire. Et cela sans avoir pris connaissance de l’expérience suédoise et sans opter pour une phase expérimentale sur un échantillon réduit de classes. A la différence de son homologue suédois qui préconisait un usage pédagogique des tablettes via la scénarisation des leçons du manuel, le MEN se fixait comme objectif unique d’alléger le cartable des élèves. 

A cet effet, l’élève retrouve dans sa tablette la totalité des leçons de son manuel sans l’indispensable scénarisation. On a procédé à un transvasement pur et simple du contenu du manuel dans la tablette. Il s’agit là d’une utilisation simpliste qui évacue la scénarisation des leçons du manuel, opération trop difficile et non accessible à nos enseignants. A moins de les doter d’une formation appropriée.  Pour revenir à l’allégement du cartable, la solution passe par la refonte du logiciel pédagogique qui guide l’élaboration de toute notre politique éducative : 
 

- Revoir la méthode d’enseignement basée quasi exclusivement sur la mémorisation des leçons par l’élève. 
- Simplifier les objectifs visés par les programmes, d’où l’indispensable allégement de ces derniers. 
- L’intégration/harmonisation des nombreuses matières d’enseignement qui alourdissent le cartable et… le cerveau. 

L’emploi du temps de l’élève sera décongestionné avec moins de matières, moins de livres, moins de cahiers d’exercices et de cahiers de classe. Ainsi, on économisera du temps et de l’argent pour les redistribuer à bon escient.
 

A travers cette critique constructive autour de l’introduction de la tablette numérique à l’école, il ne s’agit point de jeter l’opprobre sur le numérique et de le diaboliser. Le MEN  doit regarder et tirer la leçon de ce qui se passe à l’étranger dans ce domaine.

 L’usage de la tablette numérique est efficace quand l’élève s’en sert à la maison pour réviser une leçon et revoir, à des fins de meilleure assimilation, des éléments difficiles. A condition que ces leçons embarquées dans la tablette soient scénarisées et non transvasées telles quelles du manuel. 

En salle de classe,  il aurait été plus opportun et plus pertinent d’utiliser le tableau numérique en alternance avec le tableau classique. Le tableau numérique a un double avantage : maintenir les indispensables interactions maître/élèves et la communication pédagogique, tout en offrant de puissantes facilitations aux apprentissages scolaires, et ce, grâce aux leçons scénarisées qui y sont embarquées. 

Et cerise sur le gâteau : le prix d’achat d’un tableau numérique revient beaucoup moins cher comparé aux prix de revient  d’une trentaine ou quarantaine de tablettes. Il faudrait aussi former les enseignants à sa manipulation et à la scénarisation des leçons, quitte à faire appel à l’expertise étrangère. Le seul inconvénient réside dans sa mise en sécurité dans les salles de classe.                
 

Par Ahmed Tessa
Pédagogue et auteur

 

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