L’expertise proposée par la CAPC, présidée par Mohamed Sami Agli, estime qu’«un changement de cap est nécessaire». L’idée, propose-t-elle, est «de mettre en ligne de mire la balance commerciale en lieu et place du taux d’intégration».
Depuis quatre ans, le marché des véhicules en Algérie traverse une grave crise de l’offre. Le projet de l’industrie automobile a été un échec, l’importation est considérée comme un choix qu’il faut éviter pour ne pas grever les revenus en devises, en situation de crise économique.
C’est ce qui a amené la Confédération algérienne du patronat citoyen (CAPC) à proposer «une contribution susceptible de constituer des pistes, réalisables dans l’immédiat, pour le traitement de la problématique de l’industrie mécanique». Selon son président, Mohamed Sami Agli, qui intervenait hier lors de la présentation de la solution qu’il soumet, celle-ci «a été le fruit d’une collaboration étroite à travers un comité comprenant la CAPC, l’Apoce, des concessionnaires automobiles et des opérateurs économiques».
«L’enrichissement de cette étude a été, dit-il, également renforcé par les consultations des organisations de la Coordination nationale du patronat qui, rappelons-le, a été instituée pour permettre une synergie des forces vives des organisations patronales et permettant de mutualiser les moyens humains et matériels.»
«L’exercice est d’examiner les pistes opérationnelles pour pouvoir relancer l’industrie automobile sans affecter la balance commerciale (préservation des devises) et sans exacerber la pression sur les devises du marché parallèle», indique Mohamed Sami Agli, en précisant qu’«il s’agit, notamment, de tirer profit des avantages comparatifs qu’offre notre pays à l’effet de booster l’industrie mécanique et l’exportation, tout en permettant de satisfaire crescendo la demande nationale par l’intermédiaire de financements des constructeurs automobile en lieu et place du Trésor public».
«L’objectif est essentiellement de préserver une balance commerciale positive tout en saisissant les opportunités offertes par les changements de localisations industrielles suite à la pandémie», explique l’orateur, qui estime que «cette approche se veut être opérationnelle à très court terme et dont les modalités financières sont très avantageuses pour notre économie, qui évolue dans un contexte de crise mondiale».
En quoi consiste la proposition de la CAPC. D’emblée, les rédacteurs du document font le diagnostic du secteur de l’industrie mécanique en Algérie. Selon eux, «durant les dix dernières années, le secteur de l’automobile a connu une instabilité juridique induite essentiellement par des changements stratégiques fréquents, partant d’une libération ouverte des importations de véhicules neufs suivie d’une réorganisation du marché à travers la spécialisation et la limitation des marques par opérateur, pour finir vers une orientation industrielle qui a évolué en plusieurs étapes». Le résultat est là, l’Algérie n’a pu ni lancer une industrie digne de ce nom ni garantir une offre dans un marché de l’automobile en folie.
Pour réussir, il aurait fallu des préalables. «La mise en place d’une politique d’industrialisation et d’émergence d’une filière mécanique nécessitait, selon le document de la CAPC, d’une part une connaissance parfaite du marché mondial et régional de l’automobile, et d’autre part la maîtrise des stratégies mises en place par chaque firme de construction automobile, pour pouvoir s’inscrire dans leur politique en fonction des avantages comparatifs que pouvait offrir notre pays en matière de compétitivité, coûts de production, main-d’œuvre qualifiée et position géographique.»
La réflexion rendue publique hier par la Confédération algérienne du patronat citoyen indique qu’ à partir de 2017, analyse encore le document de la CAPC, «un nouveau cahier des charges a introduit la notion d’exportation dans le calcul du taux d’intégration que devaient atteindre les opérateurs, ainsi que la participation du partenaire étranger dans le capital de la société».
«Loin d’imaginer l’attente d’un éventuel transfert technologique à travers ses mesures, mais l’objectif réel était d’avoir un engagement ‘‘légal’’ du partenaire étranger pour l’homologation d’un certain nombre de sous-traitants afin de pouvoir fournir ses autres filiales en pièces détachées produites localement», souligne la même source, qui considère que «l’obligation d’inscrire les entreprises de construction automobile algériennes dans leurs réseaux de commercialisation mondiale a justement permis à certaines d’entre elles (exemple la marque BAIC Algérie) de bénéficier du marché, en exclusivité, de la zone MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) pour les modèles produits en Algérie».
Rappelant que «le secteur mécanique constitue, dans tous les pays du monde, un pilier économique important, considérant l’effet d’entraînement qu’il génère sur les autres secteurs, tels que l’agriculture, à travers le machinisme agricole, les travaux publics et bâtiment, à travers les engins de travaux publics, les transports», les rédacteurs de la proposition regrettent le fait que ce secteur repose en grande partie sur l’importation, et c’est la raison pour laquelle, dans les périodes de crise, c’est le premier secteur touché par les restrictions et limitations d’importation à travers divers mécanismes.
Un million de véhicules en trois ans
La même source, qui indique que le marché automobile en Algérie a besoin de plus de 350 000 voitures/an sur trois ans, rien que répondre aux besoins du marché local, considère qu’un million de voitures serait nécessaire pour atteindre cet équilibre, soit plus de 10 milliards de dollars (calculé sur la base de la valeur de la voiture la plus basse soit 10 000 dollars/voiture).
«A cette facture, explique la proposition de la CAPC, s’ajoutera la facture de consommation en carburant de près de 3 milliards de dollars (calculée sur la base d’une consommation moyenne annuelle de carburant entre 2000 et 3000 litres), et ce, sans prendre en compte la pièce de rechange devant connaître un accroissement en quantité proportionnellement à la vétusté du parc automobile, et le fret, qui connaît un accroissement exponentiel en termes de coûts.»
«La facture serait selon la fourchette basse de plus de 15 milliards de dollars», indique la même source, qui évalue également le potentiel de la sous-traitance en Algérie en citant comme exemple, l’expérience de l’entreprise publique Sitel (en partenariat avec Ericsson) relevant du Groupe Elec El Djazaïr (ministère de l’Industrie) homologué par le constructeur Renault Algérie pour la production des faisceaux de câble électrique. «Loin de se douter de l’impact commercial que pouvait induire une telle homologation, l’entreprise Sitel a mis en place un investissement pour répondre uniquement aux besoins de Renault Algérie.
Mais après validation de son homologation, les produits de Sitel (faisceaux de câble électrique), précise l’expertise de la CAPC, ont fait l’objet de plusieurs commandes par plusieurs usines à travers le monde (Russie, Ukraine, Turquie et Maroc).» «Sitel ne pouvait pas répondre à ces commandes faute d’investissement (hormis quelques opérations de petites quantités pour le compte de Peugeot Maroc ou Renault Russie et Ukraine), regrettent les mêmes sources, qui indiquent que d’autres entreprises publiques et privées se sont lancées dans l’écosystème de la sous-traitance.»
Quelle stratégie adopter pour relancer cette industrie ? Pour l’expertise en question, l’intégration qui a été au cœur de la politique industrielle nationale et qui est devenue l’objectif à atteindre est une fausse piste, même si en «théorie cet axe pourrait booster l’industrie».
Le document considère en effet qu’«au regard de la particularité de l’industrie automobile qui connaît une externalisation de plus en plus accrue, se focaliser sur des taux d’intégration élevés paraît irrationnel». La proposition de l’organisation patronale est catégorique : «Notre pays se doit, à l’instar de tout pays demandeur d’IDE et d’industrie, d’élaborer sa politique industrielle en fonction des stratégies des grands groupes industriels et leurs plans d’expansion.»
Pour elle, «l’Algérie dispose à ce titre d’importants avantages comparatifs, notamment les coûts de l’énergie, de la main-d’œuvre et l’infrastructure existante en pleine expansion.» Mieux, «notre pays, qui subit actuellement les dispositions des différents accords multilatéraux, peut valablement renverser la vapeur et en tirer profit», estime le document de la CAPC, qui considère que «l’accroissement des coûts de la logistique et les problèmes d’approvisionnements induits par la Covid et les différentes crises constituent des opportunités additionnelles pour notre pays, qui peut bénéficier des colocalisations industrielles, particulièrement avec l’avènement du projet de loi sur les investissements».
L’exigence du taux d’intégration est une mauvaise stratégie
L’expertise proposée par l’organisation présidée par Mohamed Sami Agli estime qu’«un changement de cap est nécessaire». L’idée, propose-t-elle est «de mettre en ligne de mire la balance commerciale en lieu et place du taux d’intégration».Pourquoi un tel choix ? La tendance mondiale des taux d’intégration est basse.
Elle s’aligne sur un fourchette de 20 à 25% alors que ce qui est exigé en Algérie est un taux d’intégration minimum de 30% au démarrage de l’activité, de 35% à la troisième année, de 40% l’année suivante et de 50% à la cinquième année. Pour l’expertise de la CAPC, cela constitue un sérieux inconvénient. Car, explique-t-elle, l’on demande au constructeur local un taux d’intégration que la maison mère elle-même ne réalise pas.
La même source note que si «ces taux peuvent être atteints, moyennant d’importants investissements, pour certaines catégories, notamment les tracteurs agricoles, au regard des technologies utilisées et leurs composantes (tôles ...). Il est, en revanche, impossible de concevoir ces taux pour les autres types de voitures au regard de la multitude des modèles, des technologies utilisées et des différences dans les conceptions».
La réflexion de la CAPC donne en effet l’exemple de la SNVI (ex-Sonacome), qui a atteint des taux d’intégration supérieurs à 80%. Ce qui n’a pas manqué d’influer négativement sur la productivité et sur l’innovation.
En effet, l’élaboration de nouveaux designs pour ces produits est devenue impossible financièrement au regard des coûts des investissements à réaliser pour mettre à niveau toutes les chaînes de production.
Pour l’expertise, «cette politique ne peut entraîner des investissements massifs en équipements, notamment les moules susceptibles de consommer davantage de ressources financières en devises». S’agissant de parties ou de pièces de rechange fabriquées à partir d’aluminium, d’acier et de plastique, les intrants (l’amont) se doivent d’être fabriqués en Algérie.
Le contraire serait également une source de sortie de devises. La priorité est à accorder aux intrants d’origine locale, affirme par ailleurs le document de la CAPC, qui démontre logiquement que le taux d’intégration exigé est une fausse piste pour la relance de l’industrie mécanique. La démarche proposée, «devant évoluer en trois étapes, consiste en l’utilisation des excédents de devises susceptibles d’être générés à travers des opérations d’exportation bien définies pour financer l’importation de véhicules destinés au marché local».
La même source explique que «le phasage préconisé pour la mise en œuvre de cette démarche se base sur l’exploitation des avantages comparatifs dont dispose notre pays sur le plan régional (notamment par le bénéfice des accords multilatéraux : accords avec UE, Gzale et Zlecaf) ainsi que sur les investissements réalisés ou à réaliser».
La stratégie de trois étapes
Selon la CAPC, «la première phase peut se dérouler à court terme à travers l’exportation de véhicules (acquis dans le cadre de crédits fournisseurs) montés en Algérie sous le régime douanier du perfectionnement actif». «Il s’agit, explique-t-elle, de procéder au montage pour l’exportation avec un changement de position tarifaire à même de permettre une algérianisation du produit et le bénéfice des dispositions des différents accords.»
«Le bénéfice tiré en devises pourrait être utilisé par l’assembleur national et son fournisseur pour alimenter le marché local», indique la même expertise, qui parle du renouvellement progressif du parc national sans affecter les devises détenues localement, tout en fructifiant les infrastructures existantes et en exploitant la main-d’œuvre déjà formée.
L’idée est que les fournisseurs s’engagent à fournir leurs assembleurs en kits en leur permettant de les écouler sur les marchés internationaux environnants, et de leur fournir des véhicules pour le marché local au prorata des bénéfices tirés.
La deuxième phase s’inscrit sur le moyen terme, indique l’expertise de la CAPC, avec l’homologation d’un certain nombre prédéfini de pièces de rechange par les sous-traitants et de produits déjà existants dans le domaine de la mécanique, ce qui rendra cette filière exportatrice.
Il s’agit de passer de l’idée de la substitution à l’importation (marché restreint) au développement des exportations (économie d’échelle et donc compétitivité), explique la même source, qui affirme que l’Algérie dispose d’une assise industrielle beaucoup plus importante et plus compétitive mais surtout plus diversifiée que certains pays activant dans la mécanique.
Selon l’organisation patronale, «différents intervenants peuvent valablement développer la filière à travers des sociétés et des investissements qui existent déjà, plusieurs produits dans le domaine automobile destinés à l’export, tels que l’industrie de la câblerie et faisceaux de câbles, pneumatique». La troisième phase s’inscrit elle dans le long terme, souligne la CAPC.
«En plus de la câblerie électrique et faisceaux de câble dans lesquels nous avons un énorme avantage comparatif (du moment où on a pu exporter nos produits), l’Algérie dispose d’un énorme potentiel à travers les investissements déjà réalisés ou en cours de réalisation mais qui nécessitent un minimum de mise à niveau, tels que l’emboutissage de tôle ; diverses pièces moulées ; pièces électroniques auto (les modules embarquées) ; pièces électriques auto (batteries sans entretien, ampoules…) et divers pièces plastiques.»
Pour la Confédération algérienne du patronat citoyen, cette proposition, qui mérite d’être examinée, assurera au secteur automobile une autosuffisance en devises à court terme et un excèdent d’exportation à long terme tout en fédérant les acteurs économiques du secteur de la mécanique autour des mêmes objectifs fixés par l’Etat, dont principalement la préservation des réserves de change et son renforcement ainsi que le développement du tissu industriel. «La libération des projets bloqués et des opérations lancées dans le domaine de l’automobile, notamment la sous-traitance, fera gagner à notre économie beaucoup de temps et surtout d’argent.»