Entre des images manipulées dépeignant une arrestation de Donald Trump et de fausses vidéos où Joe Biden annonce une mobilisation générale, la course à la Maison-Blanche en 2024 est menacée par un déluge de désinformation et est perçue comme la première élection américaine frappée du sceau de l’intelligence artificielle. Les partisans des deux bords s’emparent d’outils alimentés par l’IA, considérés par de nombreux experts comme une arme à double tranchant.
Les équipes de campagne se servent de cette technologie pour renforcer leur efficacité dans tous les domaines, de l’analyse des données électorales à la rédaction d’emails de collecte de fonds. Mais en un instant, des outils permettent de cloner la voix d’une figure politique, de créer de fausses vidéos et de monter de toutes pièces des récits fallacieux au point que des électeurs pourraient avoir du mal à démêler le vrai du faux, ou de détruire la confiance dans le processus électoral. Une vidéo publiée en juin par l’équipe du gouverneur républicain de Floride Ron DeSantis prétendait montrer l’ancien président Donald Trump en train d’enlacer Anthony Fauci, l’ex-conseiller de la Maison Blanche sur le Covid-19. Or, des journalistes de l’AFP ont réussi à déterminer que la vidéo utilisait des images générées par l’IA.
Far West
Des images générées par l’IA ont montré également une fausse arrestation de Donald Trump par des policiers à New York. Dans une vidéo tout aussi fallacieuse, on voyait Joe Biden décréter la mobilisation générale pour soutenir l’effort de guerre de l’Ukraine contre la Russie. «L’IA générative menace d’amplifier les campagnes de désinformation en ligne», écrit l’ONG Freedom House dans un rapport récent, prévenant que la technologie sert déjà à salir des réputations aux Etats-Unis. «Les fournisseurs de désinformation emploient des images, de l’audio et du texte générés par l’IA, ce qui rend la vérité plus facile à déformer et plus difficile à déceler.»
Plus de 50% des Américains s’attendent à ce que les contre-vérités produites par l’IA aient des conséquences sur la présidentielle de 2024, selon un sondage publié en septembre par le média Axios et Morning Consult, un cabinet de recherche économique. Environ un tiers des Américains a expliqué qu’ils auraient moins confiances dans les résultats à cause de l’IA, d’après la même enquête. Dans un environnement politique hyper polarisé, certains s’inquiètent que de tels sentiments n’attisent la colère du public à l’égard du processus électoral, comme lorsque les partisans de Donald Trump avaient pris d’assaut le Capitole le 6 janvier 2021 sur la foi d’allégations mensongères selon lesquelles l’élection de 2020 avait été volée par Joe Biden.
«Révolutionnaire»
«Grâce à des modèles (d’IA) faciles et peu coûteux à utiliser, nous allons être confrontés à un ‘Far West’ de revendications et de contre-revendications électorales, avec une capacité limitée à distinguer le vrai du faux et des incertitudes quant à leur influence sur l’élection», dit Darrell West, du cercle de réflexion Brookings.
En même temps, les progrès rapides de l’IA en font une ressource «révolutionnaire» pour comprendre les électeurs et les tendances, souligne Vance Reavie, de Junction AI. Auparavant, les équipes dépendaient de consultants payés à prix d’or pour développer des stratégies et passaient des heures à écrire des discours mais l’intelligence artificielle permet d’effectuer ces tâches en un éclair, explique-t-il à l’AFP.
Les autorités se pressent pour mettre en place des garde-fous, des Etats américains comme le Minnesota adoptant des lois pour rendre passibles de poursuites pénales les «deep fakes» visant à dénigrer des candidats.
Lundi, Joe Biden a signé un décret pour encadrer l’utilisation de l’IA. «Les ‘deep fakes’ utilisent de l’audio et de la vidéo générés par l’IA pour salir des réputations (...) répandre des nouvelles fausses et commettre des escroqueries», a lancé le président américain. Le démocrate de 80 ans a mentionné avoir vu une vidéo de lui créée de toutes pièces avec de l’IA. «Je me suis demandé quand est-ce que j’ai bien pu dire ça ?»