Les enquêtes de la cour pénale internationale sur la guerre contre Ghaza : Les mises en garde du procureur et les menaces israélo-américaines

05/05/2024 mis à jour: 03:57
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Photo : D. R.

Alors que Washington persiste à exprimer son opposition à toute enquête de la CPI contre Israël, arguant que le conflit israélo-palestinien ne relève pas des prérogatives de cette juridiction, l’Etat hébreu se mure dans le silence après les mises en garde du procureur en chef de la Cour, qui rappelle que «les menaces et les pressions (…) peuvent être considérées comme une atteinte à l’administration de la justice».

Washington a réaffirmé son opposition à une enquête de la Cour pénale internationale (CPI), qu'il ne reconnaît pas, sur les crimes commis à Ghaza, parce que, selon lui, le conflit israélo-palestinien «ne relève pas des prérogatives» de la juridiction. 

C’est ce qu’a déclaré le porte-parole de la Maison-Blanche vendredi en fin de journée, après les mises en garde du procureur de la CPI contre «les menaces» et «les pressions» dirigées contre son bureau en raison des enquêtes qu’il mène par des parties qu’il ne cite pas.

Lors d’une conférence de presse, le responsable américain a déclaré : «Tout en nous opposant aux menaces ou pressions contre les fonctionnaires publics, y compris les responsables de la CPI, nous nous opposons aussi aux enquêtes de la CPI dans le conflit israélo-palestinien et nous ne pensons pas que cela relève de ses prérogatives», précisant  que son pays «travaille en étroite collaboration avec la CPI».

Il reconnaît néanmoins que cette juridiction «fait un travail important en ce qui concerne l’Ukraine, le Darfour, le Soudan» mais, a-t-il souligné, «encore une fois dans ce cas particulier (NDLR : le cas Israélo-palestinien), elle n’est pas compétente». 

Dans sa mise en garde, le procureur de la CPI n’a cité ni les Etats-Unis ni Israël, mais celle-ci est intervenue après deux semaines d’une campagne médiatique marquée par des menaces, de violentes critiques et des pressions dirigées contre la CPI pour avoir délivré des mandats d’arrêt contre des dirigeants israéliens, dans le cadre d’une enquête sur les graves violations du droit international et humanitaire à Ghaza.

Dans son communiqué, le bureau du procureur en chef de la CPI a mis en garde «les individus qui menacent de représailles» la juridiction «ou son personnel», en avertissant que de tels actes peuvent être considérés comme une «atteinte à l’administration de la justice», précisant en outre qu’il «cherche à s’engager de manière constructive avec toutes les parties prenantes chaque fois que le dialogue est conforme à son mandat».

Pour le procureur en chef de la CPI, «cette indépendance et cette impartialité sont toutefois mises à mal lorsque des individus menacent de prendre des mesures de représailles contre la Cour ou contre le personnel de la Cour» en cas de «décisions» sur des enquêtes relevant de son mandat. De telles menaces, même si elles ne sont pas suivies d’effet, «peuvent constituer une atteinte à l’administration de la justice». La CPI a appelé à la fin «immédiate» des «tentatives d’entraver, d’intimider ou d’influencer indûment ses responsables». 

Cette mise en garde intervient 48 heures seulement après la déclaration virulente du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, contre les éventuels mandats d’arrêt que la CPI s’apprêterait à lancer contre lui et certains de ses responsables. 

«Aucune décision ne nuira à notre détermination»

Dans cet enregistrement vidéo de quelques minutes diffusé sur son compte X, Netanyahu a commencé par décrire les mesures de la CPI d’«absurdité» et de «distorsion de la justice, de l’histoire», avant de menacer : «Aucune décision, ni à La Haye ni ailleurs, ne nuira à notre détermination à atteindre tous les objectifs de la guerre.»

Et d’ajouter : «Si la Cour devait délivrer des mandats d’arrêt pour crimes de guerre, il s’agirait de scandale à l’échelle historique (…).» Pour lui, la démarche de la CPI constitue une «tache indélébile sur l’humanité tout entière» et «un crime de haine antisémite sans précédent». 

La veille de cette déclaration, l’agence de presse britannique Reuters a révélé que deux procureurs de la CPI «ont interrogé les employés de deux des plus grands hôpitaux de Ghaza».

Selon, l’agence, «cela confirme pour la toute première fois l’information qui avait laissé entendre que les enquêteurs du tribunal s’entretenaient avec les médecins concernant de possibles crimes commis à Ghaza (…), les enquêteurs de la CPI avaient recueilli les témoignages des personnels du principal hôpital de Ghaza City, l’hôpital Al Shifa, qui se trouve dans le nord de l’enclave, et ceux du personnel de l’hôpital le plus important de Khan Younès, au sud (…).

L’une des deux sources a indiqué que les événements survenus dans ces hôpitaux pourraient entrer dans le cadre des investigations lancées par la CPI, qui est chargée des enquêtes criminelles menées sur des individus pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide et autres agressions». 

Quelques jours auparavant, Netanyahu avait clairement averti, sur son compte X : «Sous ma direction, Israël n’acceptera aucune tentative de la CPI de porter atteinte à son droit inhérent de légitime défense (…). Même si la CPI n’affectera pas les actions d’Israël, elle créerait un dangereux précédent qui menacerait les soldats et les responsables de toutes les démocraties luttant contre le terrorisme sauvage et l’agression gratuite.» 

Lui emboîtant le pas, le président de l’Etat hébreu, Isaac Herzog, a présenté mercredi dernier, en recevant le secrétaire d’Etat US Antony Blinken à Tel-Aviv, les mesures de la CPI contre les responsables israéliens comme un «danger pour les démocraties», et appelé les «alliés et amis à s’y opposer et à rejeter de telles décisions». 

De son côté, le président du Congrès américain, le républicain Mike Johnson, a qualifié publiquement «les éventuels mandats» de la CPI d’acte «honteux» et «illégal», avant d’exhorter la Maison-Blanche «à exiger immédiatement et sans équivoque que la CPI se rétracte et utilise tous ses moyens pour empêcher cette abomination».

Allant dans le même sens, de nombreux leaders du Congrès, représentant les deux partis politiques majeurs, ont mis en garde la CPI contre toute mesure visant des officiels israéliens et menacé de «représailles», par leur pays, «si de tels mandats étaient émis», ont écrit de nombreux médias américains, ajoutant qu’«un membre républicain» non identifié de la Chambre «a même indiqué qu’une législation contre la CPI était en préparation». 

Pendant ce temps, Netanyahu n’a pas arrêté ses contacts et réunions aussi bien à Tel-Aviv avec son conseil de guerre qu’à Washington afin de trouver les moyens pour empêcher la CPI de délivrer des mandats d’arrêt. Pour le quotidien israélien de gauche Haaretz, «la menace est sérieuse mais aussi la plus urgente, plus que le projet d’opérations à Rafah, plus que la possibilité d’un accord de libération des otages».

Pour la chaîne américaine NBC News, «Israël a utilisé tous les canaux diplomatiques pour s’assurer que ces mandats d’arrêt ne soient pas délivrés». Toute la presse israélienne se relaie pour évoquer les «lourdes inquiétudes qui irritent le Premier ministre». Dans une déclaration mardi dernier au Times Of Israel, Netanyahu a dénoncé «une tentative d’empêcher» son pays de «se défendre contre le Hamas qui veut exterminer les juifs et qui cache ses armes et ses terroristes dans les hôpitaux, les écoles, les mosquées et dans les zones civiles».  

«Si la Cour s’en prend à nous…»

Selon lui, un «mandat d’arrêt reviendrait à mettre de l’huile sur le feu en matière d’antisémitisme», a-t-il souligné avant de menacer de s’attaquer à l’Autorité palestinienne en cas d’inculpation, en disant qu’il provoquerait son «effondrement», a écrit le site d’information américain Axios. L’important, c’est qu’une enquête sur des crimes de génocide, de guerre et contre l’humanité est ouverte depuis 2018 par le bureau du procureur de la CPI, renforcée par d’autres plaintes déposées en début du mois de novembre dernier. 

A son retour de son déplacement à Tel-Aviv et en Cisjordanie occupée, le procureur en chef de la CPI, Karim Khan, avait averti que «tous les acteurs doivent se conformer au droit humanitaire international. Si vous ne le faites pas, ne venez pas vous plaindre quand mon bureau sera tenu d’agir».

Il a parlé de «crimes internationaux les plus graves qui choquent la conscience de l’humanité, des crimes pour lesquels la CPI a été créée» et  rappelé «l’obligation de se conformer aux règles juridiques qui régissent les conflits armés». Or, la guerre que mène Israël contre la population de Ghaza n’obéit à aucune loi, ni à aucune règle d’éthique ou de morale.

A cela va s’ajouter, dans le cas où Israël continue à menacer la CPI, une autre inculpation. Celle prévue par l’article 70 du Statut de Rome qui a établi que la CPI punit toute personne ou entité qui «entrave, intimide ou influence par la corruption un fonctionnaire de la Cour…»  Ce n’est pas la première fois que la CPI fait l’objet de menaces de la part des USA.

Au mois de septembre 2018, John Bolton, alors conseiller à la Sécurité nationale sous le mandat de Donald Trump, s’est attaqué de manière frontale à la juridiction, en la qualifiant d’«inefficace, irresponsable et carrément dangereuse», avant de la menacer directement pour une éventuelle enquête sur les crimes de guerre, de génocide et contre l’humanité, commis par l’armée américaine durant la guerre en Afghanistan.

«Si la Cour s’en prend à nous, à Israël ou à d’autres alliés des Américains, nous n’allons pas rester silencieux», a-t-il lancé en citant les sanctions que son pays pourrait infliger aux magistrats de cette juridiction.

Ce réquisitoire est intervenu quelques mois seulement après les déclarations de l’ancienne procureure de la CPI, Fatou Bensouda, annonçant au mois novembre 2017 son intention de demander aux juges l’autorisation d’ouvrir une enquête sur le comportement de l’armée américaine durant la guerre en Afghanistan. Bolton n’a pas mis de gants pour exprimer les menaces des USA à qui de droit.

«A tout moment, la CPI pourrait annoncer l'ouverture d'une enquête formelle contre ces patriotes américains. Je veux adresser un message clair et sans ambiguïté de la part du président des Etats-Unis : les Etats-Unis utiliseront tous les moyens nécessaires pour protéger nos concitoyens et ceux de nos alliés de poursuites injustes de la part de cette cour illégitime. Nous n'allons pas coopérer avec la CPI, nous n'allons pas lui fournir d'assistance, nous n'allons pas y adhérer.

Nous allons la laisser mourir de sa belle mort. Pour nous, la CPI est déjà morte.» Fatou Bensouda a quitté son poste de procureure en chef de la CPI le 15 juin 2021, soit 9 ans après sa prise de fonction. La question qui reste posée est celle de savoir si son successeur, Karim Khan, pourra dépasser toutes les pressions et menaces aussi bien d'Israël que celles à peine voilées de son puissant allié, les USA, tous deux non membres de cette juridiction et donc ne reconnaissant pas son statut. 
 

 

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