Les BRICS peuvent-ils vraiment émerger comme un collectif qui rejettera l’ordre néolibéral actuel ?
Le projet politique des BRICS peut-il réellement s’inscrire dans le sillage de la conférence de Bandung qui, en 1955, avait marqué l’émergence du Mouvement des non-alignés qui va revendiquer un nouvel ordre économique international ?
L’Algérie et les BRICS : quelles perspectives ?
Le président Abdelmadjid Tebboune a mis l’accent sur l’intérêt que représente pour l’Algérie une adhésion aux BRICS : «Les BRICS nous intéressent, car ils permettent de s’éloigner de l’attraction des deux pôles. Ils constituent une force économique et politique […] Il faut des conditions économiques pour intégrer les BRICS, et l’Algérie remplit une bonne partie de ces critères.»
Le chef de l’Etat a noté, en même temps, que le sous-développement n’a pas que des raisons internes. «Ce sont plutôt les déséquilibres flagrants dans la structure des échanges internationaux et dans l’hégémonie exercée par certains Etats qui en sont la cause.»
L’impasse est de nature structurelle et traduit l’impossibilité radicale d’apporter les réponses qu’exige le développement économique et social de nos pays dans le cadre de la dépendance de la mondialisation capitaliste.
Quelles opportunités historiques, quelles perspectives ouvre, donc, ce bloc géopolitique alternatif à l’hégémonie occidentale, à l’Algérie, de changer de file, de s’émanciper des rapports de puissance et de subordination séculaires, porteurs de logiques systémiques de dépendance et de sous-développement ?
Un remodelage potentiellement porteur d’une redistribution du rapport de forces géopolitiques mondial qui pourrait ouvrir des espaces d’autonomie de décision nationale à l’Algérie. Un rapport de force qu’il s’agira de tourner au profit de notre combat vital pour le développement national et le progrès social, sachant qu’il n’est point de vents favorables à celui qui a perdu son gouvernail.
Il s’agit, essentiellement, des défis que pose la réalité objective de notre économie et de ses handicaps historiques, de l’extrême faiblesse de son tissu productif, industriel en particulier, et de ses capacités managériales, en fait, pour tout dire, de l’absence encore de tissu industriel et entrepreneurial enraciné et d’un Etat doté de capacités de régulation éprouvées.
Plus fondamentalement, il s’agit des défis que pose la rupture avec le statut de périphérie subordonnée du capital global, confinée au rôle de pourvoyeur d’énergie, de marché solvable et de fournisseur de main-d’œuvre qualifiée. Une périphérie surdéterminée économiquement.
Quels sont les atouts de l’économie algérienne dans cette optique ? Quelles sont les transformations que requiert l’insertion de l’Algérie dans le remodelage géopolitique et la division internationale du travail qui se met en place, dans les termes les moins défavorables à l’Algérie ?
Il nous faut explorer le champ des possibles qui s’ouvre pour l’Algérie, du point de vue indissociable de sa perspective historique de développement national et de ses marges de manœuvre.
–Les défis de la réorientation des choix économiques et sociaux
-Un constat préalable
L’économie algérienne reste encore marquée par les conséquences économiques et sociales lourdes de plus de trois décennies de restructurations et réformes libérales et de démantèlement des acquis du développement national.
La dynamique de développement initiée au cours des deux premières décennies de l’indépendance a été brisée avant que ne soient corrigées ses fragilités et atteinte sa phase de maturité. L’expérience industrielle de l’Algérie a été avortée avant que ne s’enclenche le processus de changement dans ses multiples facettes. L’apprentissage technologique qui aurait permis à la main-d’œuvre d’assimiler la logique de fonctionnement d’un système productif à base industrielle n’a pas pu s’opérer. Le système de production locale reste incapable de répondre aux besoins des consommateurs qui sont couverts quasi intégralement par des importations, elles-mêmes financées uniquement par des revenus pétroliers. L’économie algérienne est dépendante des importations pour ce qui est de l’alimentation et de la technologie. L’Algérie est dépendante des importations (déficit de la balance commerciale agricole et agroalimentaire de 9,5 Mds en 2022), particulièrement en céréales et poudre de lait. L’Algérie importe 60% de sa consommation de lait sous forme de poudre.
Impératif de la transformation de la structure sectorielle du PIB
La composition sectorielle du PIB illustre les handicaps structurels de l’économie algérienne : un secteur industriel rachitique dont la contribution ne pèse plus que quelque 5% du PIB et un secteur des services hypertrophié, 45,5% dont 28,6% pour les services marchands (commerce de détail, principalement). Les services marchands et le BTP, secteurs où, de surcroît, se localise, en très grande partie, l’informel, constituent 41,2% du PIB. La production matérielle occupe la portion congrue.
Une structure du PIB qui traduit l’extrême faiblesse du tissu productif industriel et le poids considérable de l’informel, confirmé par la part marginale des salariés du secteur structuré qui représentaient, en 2019, à peine 26% de la population en âge de travailler (contre près de 80% en France), dont 14% dans le secteur public (dont 7% dans la Fonction publique) et 12% dans le secteur privé, un secteur constitué à 90% de TPE (très petites entreprises), des entreprises familiales, sans consistance productive, ni technologique, ni managériale, ayant une faible capacité de création d’emplois.
Sans perspectives d’absorption productive ni de débouchés adéquats de la force de travail instruite, éduquée, de plus en plus nombreuse et de plus en plus féminine. Faiblesse de la base manufacturière et faiblesse technologique du tissu industriel. Plus de 80% de l’industrie, 82,2%, est à faible intensité technologique. Taux d’intégration dans l’industrie faibles 10%, à porter à 30%, 40%. Les industries agroalimentaires algériennes fonctionnent majoritairement avec des matières premières importées. Faiblesse des investissements productifs de nouvelles richesses.
En 2021, ce taux d’investissement a baissé à moins de 40%, voire jusqu’à 35% du PIB du pays. Hors gouvernement, à savoir les investissements privés ou étrangers, le taux d’investissement a baissé de 18% du PIB du pays en 2015 à moins de 10% du PIB en 2021. Faible part du numérique dans le PIB national, 0,5% contre une moyenne africaine de 3%. Les branches d’activité modernes, hydrocarbures, énergie, transports, télécommunications, construction, qui sont des branches qui relèvent du secteur de l’Etat, se caractérisent par une faible efficacité, un bas niveau de productivité et des phénomènes de népotisme, de clientélisme et de corruption récurrents, le terreau nourricier des rentes régaliennes.
Selon le rapport de la Cour de comptes pour l’exercice 2018, la valeur ajoutée (VA) du secteur public marchand (SPM), groupes et EPE autonomes, y compris les banques et les compagnies d’assurance, a contribué à hauteur de 25,88% à la formation du produit intérieur brut (PIB). Toutefois, hors secteur de l’énergie (Sonatrach et Sonelgaz), sa contribution dans le PIB n’est plus que de 5,51% dont 2,39% au titre des banques et assurances publiques, ramenant la part de la VA des entreprises hors secteur énergie, dans le PIB, à 3,13%.
Autre composante du secteur de l’Etat, les services publics, santé, éducation, administration publique sont notoirement réputés de qualité médiocre et souffrent d’un manque d’investissements et de personnel qualifié. Des services publics, reflet, en réalité, d’un Etat administrativement et techniquement affaibli qui a été amputé pendant plus de trente années de ses instruments de planification, et donc de toute dimension à moyen et long terme du développement économique, de ses outils d’intervention économique et de son encadrement qualifié et expérimenté.
Hors cette sphère publique évoluant dans le cadre des lois et de la règlementation, une sphère privée, informelle, ce que l’on appelle le secteur informel qui regroupe des activités qui s’exercent en marge de la réglementation, qui échappent au fisc et ne sont pas enregistrées. Vecteur de l’anomie, l’informel décompose et recompose au quotidien les processus éco et sociaux.
L’intégration économique de la jeunesse instruite et féminine, notamment
Le gâchis des forces productives
L’emploi en Algérie rend compte toujours d’un faible niveau du taux d’activité 40%, en 2020, selon la BM ; moins de la moitié de la population en âge de travailler qui exerce une activité rémunérée ou est en chômage. Ce taux d’activité de 40% est parmi les plus bas au monde (Afghanistan 47%, Arabie saoudite 55%, Maroc 43%, Tunisie 46%, Egypte 43%). Décliné par sexe, le taux d’activité était de 66,8% chez les hommes et de 17% chez les femmes (ONS 2019). Décliné par sexe, le taux d’emploi atteint 60,7% auprès des hommes et 13,8% chez les femmes. Le taux de chômage en Algérie, 12,49% en 2022, le nombre de bénéficiaires de l’allocation-chômage : «2 823 043 jeunes ont bénéficié de cette aide de l’Etat jusqu’à avril 2024».
Une grande partie des 150 000 diplômés qui sortent chaque année des universités du pays ne trouve pas de débouchés. Le taux d’emploi n’est que de 50,9% chez les filles diplômées de l’université.
Les échanges commerciaux de l’Algérie : l’asymétrie
Les pays de l’Europe sont restés les principaux partenaires de l’Algérie. Les échanges commerciaux de l’Algérie avec l’Europe représentent 51,5% de la valeur totale des échanges de l’Algérie qui ne pèsent, en revanche, que 0,75% des échanges commerciaux globaux de l’UE, et les importations européennes en provenance de l’Algérie constituant, à peine, 0,66% des importations totales de l’UE. Les importations européennes se composent essentiellement d’hydrocarbures et produits miniers (93,5%), suivis par les produits chimiques (3,3%).
En 2021, les échanges commerciaux de l’Algérie représentaient 0,6% des échanges commerciaux de la France qui pesaient, de leur côté, 12% des échanges commerciaux de l’Algérie. L’Algérie représente 0,74% des exportations françaises et 0,72% des importations françaises. En revanche, les échanges commerciaux réalisés par Algérie avec les pays appartenant aux BRICS occupent des proportions relativement modestes. La part du Brésil est de 2,71%. Sensiblement la même que celle de la Russie. L’Inde constitue 2,31% de nos importations et 4,24% de nos exportations. La Chine (principal fournisseur de l’Algérie) représente 18,25% de ses importations et 4,58% de ses exportations. Les pays de l’Afrique dans leur totalité représentent 4,6% des échanges commerciaux de l’Algérie. On notera que la Chine qui n’est apparue dans le Top Ten des fournisseurs de l’Algérie qu’en 2002, avec 2,8% à peine de ses importations, contre 22,5%, alors, pour la France, va se hisser, en 2014, au rang de 1er pays fournisseur de l’Algérie couvrant 14,1% de ses importations contre 10,8% pour la France. En 2018, la Chine conforte sa place de 1er fournisseur avec 15,36% des importations algériennes, surclassant largement la France, 9,91%. Quant au volume global des échanges algéro-chinois, il a connu une évolution particulièrement rapide, puisqu’il a été multiplié par 50 en 14 ans, faisant passer ces échanges de 200 millions de dollars en 2000 à 10 milliards en 2014. En outre, un millier de sociétés chinoises s’activent en Algérie principalement dans le bâtiment, travaux publics et l’import-export.
L’impératif d’un nouveau cap ciblant :
— la diversification productive de notre structure économique sous le double impératif de la sécurité alimentaire et de la sécurité énergétique.
– réorientation géographique de nos échanges internationaux sous l’impératif de la préservation de la souveraineté nationale et de l’autonomie de décision nationale.
—in fine, une économie enracinée, entraînée par des activités fortement productives, offrant de meilleures perspectives d’absorption productive d’une main-d’œuvre instruite et qualifiée, nombreuse et de plus en plus féminine, et des possibilités d’innovation et d’accroissement de la valeur ajoutée. Une économie basée sur l’effort endogène d’innovation technique, économique, managériale, institutionnelle, sociale, en appui sur la mobilisation des facteurs scientifiques et technologiques nationaux.
La dynamique de redressement en cours : une ligne de relance du développement national productif
Principaux indicateurs :
La croissance économique de l’Algérie est restée dynamique en 2023, le PIB enregistrant une hausse de 4,1%.
En 2023, 3e PIB du continent africain, estimé à 244,7 milliards (Mds) USD, selon le FMI, et le PIB par habitant le plus élevé du Maghreb, atteignant 4982 dollars en 2023.
Les réserves de change ont atteint 68,9 Mds USD à la fin de 2023 (contre 61 Mds USD en 2022), soit 16,1 mois d’importations à la fin de l’année 2023. Dette extérieure (2023) : 1,5% du PIB. La croissance des prix à la consommation s’est modérée pour atteindre 5% au premier trimestre 2024.
Le développement du secteur productif, de la production matérielle
- basée sur la PME/PMI et l’économie familiale industrialisation de substitution aux importations
- industries légères-électrodomestiques
- industrie de transformation agroalimentaire ; 40,4% de la VA
L’industrie agroalimentaire emploie près de 700 000 personnes, soit 10% de la population active, et contribue à plus de 50% du PIB hors hydrocarbures. Il s’agit de la 2e industrie du pays, après celle de l’énergie, qui représente 40% du chiffre d’affaires total des industries algériennes hors hydrocarbures. Les principales industries céréalière, laitière et sucrière fonctionnent avec une matière première majoritairement importée. La part de marché des industries agroalimentaires publiques est passée en moyenne de 24% en 1999 à 5% en 2020 (mouvement de privatisation des entreprises publiques lancé par une ordonnance de 2001). Huile brute et sucre raffiné : entrée en production, avant la fin de 2024, de deux usines à Jijel et dans la zone industrielle de Larbatache, à Boumerdès.
—–pharmaceutique (médicaments) : 6 millions d’euros d’exportations et 1,2 million dollars d’importations (contre 4 millions USD en 2020). La production locale couvre aujourd’hui 72% des besoins nationaux.
Industrie des matériaux de construction 9,8% de la VA.
Ciment : les besoins du marché national en ciment sont de 18 Mt, avec une surcapacité exportable de 12 Mt. En 2023, environ 10 Mt de ciment ont été exportées par l’Algérie, (dont 1,2 Mt représentent du ciment fini, soit à peine 12%) pour une valeur totale de 400 millions de dollars.
- industrie de valorisation des ressources minières
Lancement du projet d’usine de traitement du minerai de fer à Tindouf
… enfin, Gara Ddjebilet renaîtra-t-il de ses poussières ?
Aujourd’hui, les importations de produits sidérurgiques cumulent une facture d’environ 4 à 5 milliards de dollars par an. Cette usine, dont la première pierre a été posée par le président de la République en novembre 2023, va permettre de produire 2 à 3 millions de tonnes/an dans une première étape (2022-2025) avant d’atteindre, à l’horizon 2040, entre 40 et 50 millions de tonnes/an avec la mise en service de la ligne ferroviaire Gara Djebilet-Béchar qui s’étend sur un linéaire de 950 km.
Financement des projets structurants
Selon les données officielles, les budgets d’investissement consentis par l’Etat ont atteint, ces trois dernières années, 6500 milliards de dinars, soit 48 milliards de dollars, dont 1900 milliards alloués en 2021, soit 14 milliards de dollars, 1900 milliards en 2022 et 2700 milliards en 2023, soit 20 milliards de dollars. Le budget 2024 prévoit, quant à lui, des autorisations d’engagement de dépenses d’investissement pour un montant de 2800 milliards de dinars.
Les principaux projets structurants financés sur le budget de l’Etat
—le complexe de phosphate intégré bénéficiant d’un montant de financement de 700 milliards de dinars ;
—-le projet d’exploitation de la mine de fer Gara Djebilet avec un montant de 1014 milliards de dinars ;
—la réalisation de sept stations de dessalement de l’eau de mer pour un montant de 206 milliards de dinars ;
—–projet d’équipements et d’extension du métro d’Alger avec un montant de 1157 milliards de dinars ;
— des projets d’énergies renouvelables de 126 milliards de dinars ;
— projets de modernisation des réseaux ferroviaires pour 2786 milliards de dinars.
Ces efforts de financement public s’ajoutent à ceux engagés aussi par la sphère financière et bancaire du pays. A la fin avril 2024, l’encours des crédits d’investissement de la place bancaire avait atteint 10 000 milliards de dinars.
En résumé, une ligne de relance du développement national productif, comme base réelle du progrès social et de la consolidation de l’indépendance nationale. Pas de FMI, pas d’endettement extérieur, renforcement de l’Etat régulateur. Rénovation, mise aux normes modernes du système d’information statistique, numérisation de l’administration.
Par Abdelatif Rebah , Économiste