Les braconniers leur causent des dommages irréversibles : Les récifs coralliens algériens en danger

20/08/2023 mis à jour: 21:47
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Photo : D. R.

L’Algérie possède le gisement de corail rouge le plus important en Méditerranée. En proie à une prédation sauvage, les réserves de corail de l’Algérie ont longtemps déchaîné les passions chez les spécialistes du braconnage, en témoignent, d’ailleurs, les récurrentes prises et les saisies interminables de matériels et d’équipements de pêche illicite réalisées ces dernières années par les services de sécurité, tous corps confondus, à Alger, Annaba, El Kala, Skikda ou à Collo et Jijel.

Depuis le début des années 2000 à 2023, pas moins de 15 tonnes de corail rouge illégalement récoltées ont été saisies par les services des garde-côtes algériens. Trois tonnes font, bon an, mal an, l’objet d’un trafic au départ de l’Algérie pour être revendus,  après un court transit par la Tunisie, à Torre del Greco, ville italienne, située près de Naples, point de chute des récoltes de corail rouge issu des quatre coins du monde, selon des océanologues associés au projet Enact du Programme des Flux Illicites Globaux de l’Union européenne, visant à réduire l’impact de la criminalité́ transnationale organisée sur le développement, la gouvernance, la sécurité́ et l’état de droit en Afrique.

Avec ces chiffres, fort inquiétants, c’est la question de la levée de l’interdiction de la pêche au corail qui revient au-devant de la scène, d’autant que la raréfaction des saisies constatées ces derniers temps et la trêve observée par les réseaux transnationaux, à la tête du commerce «sous-marins» du corail rouge ne laissent pas indifférent au sein de la communauté scientifique.

Cette dernière, appréhendant la gravité de l’impact des dommages irréversibles infligés aux récifs coralliens par les braconniers : «L’activité est devenue moins visible, et les prises par les services de sécurité plus rares aussi.

La pèche au corail illicite, celle des pilleurs et des réseaux de contrebandiers qui l’acheminent en Tunisie pour l’expédier en Italie semble marquer une pause. On voit beaucoup moins le ballet de ces embarcations de «plaisance» qui quittent le port d’El Kala le matin et reviennent le soir à vide.

A en croire ceux qui se sont retirés de la course, il ne reste plus de corail, les fonds ont été rasés, il faut racler au-delà de 120 m de profondeur pour espérer rapporter quelques bouts de branche. Il faudra donc plonger en scaphandre autonome et ce n’est pas donné», nous indiquera l’écologiste Rafik Baba Ahmed, ancien haut cadre des pêches.

La question que d’aucuns se posaient et se posent encore aujourd’hui : Quelles pourraient être l’origine et la naturelle résistance persistantes auxquelles se heurte, à ce jour, la réouverture de la pêche au corail, suspendue en 2001, soit depuis plus de 20 ans ?

Décision vitale car elle est censée préserver ce qui reste de nos ressources récifales. «Je suis surpris par votre appel, car depuis que nous avions terminé notre étude et remis les conclusions, personne ne s’en était iniquité.

Nous ne savons toujours pas à quoi elle a servi, vu que vous me dites que la pêche est toujours interdite. Pourtant, ayant coûté excessivement cher à votre pays et nécessité de gros efforts et de laborieux travaux aux équipes de Creocean, Comex et CNRS, cette étude d’évaluation des ressources avait pour finalité de proposer un plan de gestion durable en vue de rouvrir la pêche du corail.

En 2009 déjà, sur la base des trois schémas proposés, l’Algérie pouvait décider d’une reprise cadrée de la pêche pour une gestion durable des stocks. Pourtant, les orientations et recommandations étaient bien précises et loin d’être complexes.».

La déclaration est de Sébastien Thorin, Docteur en écologie marine responsable de la cellule Recherche et Développement (Environnement Méditerranéen et Tropical - à Creocean, un bureau d'études spécialisé en océanographie et aménagement du littoral (France). Il l’avait faite en janvier 2013. Comment réagirait-il aujourd’hui ?

Car plus de deux décennies se sont écoulées, et cette activité susceptible de «renforcer l'économie nationale par d'autres revenus hors hydrocarbures dans le cadre de la politique de l'Etat visant à diversifier l'économie à travers tous les secteurs, dont la pêche et les ressources halieutiques», tel que ne cessait-on de répéter, depuis plus d’une tribune officielle, n’est pas près de reprendre.

Maintes fois différée pour des raisons occultes, la relance de l'exploitation de cette richesse est, décidément, un vœu pieux ; «avant fin 2012, avant fin 2014, avant fin 2015, avant fin 2016, avant fin 2017...», promettaient, à chaque occasion, les responsables du secteur de la pêche, manière de rassurer, implicitement les réseaux mafieux internationaux que du temps, ils en auront encore pour puiser dans ce qui reste de nos stocks coralliens et autres richesses biologiques marines.

En proie à une prédation sauvage, ces réserves ont longtemps déchaîné les passions chez les spécialistes du braconnage, en témoignent, d’ailleurs, les récurrentes prises et les saisies interminables de matériels et d’équipements de pêche illicite réalisées ces dernières  années par les services de sécurité, tous corps confondus, à Alger, Annaba, El Kala, Skikda ou à Collo et Jijel. 

Pourquoi hésite-t-on encore ?

Qu’attend-on pour mettre un terme à ce trafic des plus, écologiquement et économiquement, dévastateurs qui dure depuis plusieurs années et comment s’interprètent les persistantes tergiversations des autorités concernées ?

«La pêche du corail rouge sera rouverte durant l'année en cours», soit 2021, annonçait, à son tour, le directeur de l’Agence nationale de développement durable de la pêche et de l’aquaculture (ANDPA).

En février de la même année, le défunt ministre de la Pêche, Sid Ahmed Ferroukhi, fera savoir que «l’activité sera rouverte au cours de cette année, sur des bases bien fondées après finalisation des textes et des mécanismes réglementaires».

Depuis, plus rien, les préparatifs n’ont, semble-t-il, pas encore été finalisés. «Côté institutionnel, on ne parle plus de la pêche au corail depuis que le défunt Sid Ahmed Ferroukhi, qui avait pris le dossier à cœur, avait quitté le ministère de la Pèche en 2016. Quant à l’Agence nationale de développement durable de la pêche et de l’aquaculture (ANDPA) créée en 2020, elle a disparu des radars faute de moyen.

La nouvelle réglementation, loi cadres et cahier des charges, pour encadrer l’exploitation du corail n’a pas pu être mise en application devant ce que les professionnels considéraient comme des incohérences», nous explique le docteur Baba Ahmed, ancien directeur du Parc national d’El Kala, cette ville mirador et plaque tournante du trafic de corail. S’agirait-il, ainsi, de textes d’application pour la mise en adjudication des concessions par zones sur le littoral algérien.

Le décret exécutif (n° 15-213) fixant les modalités et conditions de pêche au corail, à savoir «la durée, les moyens utilisés, les périodes, les normes scientifiques et techniques relatives à la nature du corail ainsi que les plongeurs professionnels chargés de la pêche et de la formation», étant prêt depuis 26 août 2015.

En vertu de cet instrument législatif, après 5 ans au maximum, durée d'exploitation de la concession, les périmètres d'exploitation seront fermés et mis en jachère pour une période  d’au moins 20 ans. Le quota annuel maximum autorisé par concession est au prorata du nombre de concessionnaires admis sans, toutefois, dépasser 3000 kg par périmètre d'exploitation.

La reprise devrait s’effectuer « successivement par un système de rotation dans deux zones (est et ouest), organisées en deux périmètres à raison de 30 concessionnaires par périmètre au maximum». La zone est couvre le littoral de la wilaya d'El Tarf (30 concessionnaires), celle ouest, comprenant, quant à elle, les wilayas de Skikda et de Jijel (15 concessionnaires pour chaque wilaya).

Le débarquement du corail pêché dans lesdits périmètres «s'effectuera au niveau des ports d'El Kala, Annaba, Boudis (Jijel), Béjaia, Stora (Skikda),  Dellys, Ténès, Mostaganem et Beni Saf». Y sont, en outre, définies les conditions et modalités d'exploitation par la plongée sous-marine professionnelle.

Et pour s'assurer de la traçabilité du corail pêché et lutter contre son trafic, des mesures ont été fixées par la loi suivant lesquelles le concessionnaire est tenu de soumettre une demande à l’ANDPA (Agence nationale de développement de la pêche et de l'aquaculture) pour l'obtention du titre de propriété. Document l’habilitant à vendre le produit aux enchères.

En outre, les dispositions du décret exécutif n°15-231 stipulent que «le concessionnaire est tenu de vendre 70% du corail pêché à l’Agence nationale pour la transformation et la distribution de l'or et des autres métaux precieux (Agenor) qui achète la quantité en contrepartie d'une somme d'argent fixée de commun accord».

La vente du corail aux artisans et aux transformateurs à travers le territoire national étant du ressort de cet organe. La loi amendant et complétant la loi 01-11, relative à la pêche et à l'aquaculture, réaménagée en 2015, prévoyant ainsi une reprise rationnelle avec un durcissement des sanctions ayant trait à la pêche et au commerce illicites du produit.

Prédation sauvage

En attendant la matérialisation de la reprise, la pression et la destruction sauvages des coraux se poursuivent diablement, surtout à l’est du pays, berceau des réseaux mafieux du braconnage. Et l’on ne semble pas prendre la mesure du phénomène. S’agit-il de déni ou d’anosognosie ?

Car bien curieux est cet immobilisme face aux graves atteintes aux écosystèmes marins et les menaces d’épuisement de notre réserve, qui plus est, la plus grande en Méditerranée. La dernière, d’envergure internationale, ayant retenti de l’autre côté de la frontière est.

C’était en mai 2019 lorsque les autorités tunisiennes avaient réussi à démanteler un réseau de trafic de corail rouge et arrêté une dizaine de suspects ; sept Tunisiens, deux Espagnols et un Algérien. Y avaient été saisis près de 700 kg de Corallium rubrum, principalement récoltés dans les fonds d’El Kala, d’une valeur marchande d’environ deux millions d'euros.

C’est dire qu’ils soient italiens (Naples) ou asiatiques, les négociants ou acheteurs finaux du corail rouge, demeurent, démesurément, en appétit pour l’espèce algérienne.

Bien qu’elle soit «sans doute très fluctuante comme celle de toute matière première dont la quantité mise à terre n'est pas prévisible, connue ou biaisée d'une façon ou d'une autre», tel que nous l’avait précédemment précisé Jean-Pierre Feral, directeur de recherche CNRS émérite dans le domaine de la biologie marine, son collègue Jean-Georges Harmelin du Centre d'océanologie de Marseille était quant à lui affirmatif «l'Algérie détient certainement encore de grands gisements en corail rouge, et elle en a toujours eu la réputation depuis des siècles».

Toutefois, «même si on peut supposer qu’elle a encore le premier rang pour la taille de la ressource encore disponible, il ne faut pas oublier que les moyens actuels d'exploitation peuvent réduire rapidement cette ressource, y compris au niveau des autres régions exploitées en Méditerranée», mettait en garde Dr Harmelin, l’auteur d’une récente nouvelle étude Le corail rouge, l'or de Méditerranée où, outre la Corse, la Tunisie, la Sardaigne…, un accent particulier est mis sur l’Algérie et l’importance de ses réserves.

Définie comme très proche d'une exploitation minière, ceci en raison de la «croissance extrêmement lente de cet animal, un temps très long étant donc nécessaire pour fabriquer un squelette épais, pouvant justifier toute éventuelle exploitation commerciale», l'exploitation du corail réglementée risque de décevoir, économiquement parlant, surtout.

Considérant la prédation humaine ayant sévi, des décennies durant, il serait, en effet, utopique, qu’en termes de nouvelles ressources, la ruée vers l’«or rouge», escomptée, puisse permettre au Trésor public de s’assurer de «belles prises». Sa contribution à la croissance du secteur de la pêche, dans son ensemble, sera aussi lente que celle de ce cnidaire dont les colonies peuvent mettre un siècle à se développer.
  
 

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