L’émergence économique : Des règles universellement valables pour passer du sous-développement au développement (1re partie)

04/04/2023 mis à jour: 15:00
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Photo : D. R.

On constate au cours du temps une divergence progressive entre les trajectoires des économies en développement. Quelques pays, principalement en Afrique et en Asie du Sud, les Pays les moins avancés (PMA), éprouvent toujours de grandes difficultés pour assurer des conditions d’existence décentes à leur population.

D’autres pays, à revenus intermédiaires, connaissent des améliorations contrastées, avec un développement, quelquefois lent et dans la plus part des cas instable.

En somme, il existe peu de pays, essentiellement du Sud-Est asiatique qui ont réussi à connaître un développement rapide, continu et ont pu sortir durablement du sous-développement.

En effet, la Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong Kong (autrefois appelés les quatre dragons asiatiques), souvent désignés comme les Nouveaux pays industrialisés (NPI) de la première génération, ne sont plus considérés comme des Pays en développement (PED).

Le décollage économique spectaculaire (à quelques chocs près) de ces pays à partir des années 1960, pourtant partis de niveaux de revenu extrêmement bas (par exemple, la Corée du Sud était plus pauvre que le Ghana ou le Tchad ainsi que de nombreux pays d’Afrique), leur a permis d’être considérés au début des années 1980 comme des économies émergentes, et à partir de la fin des années 1990 comme des économies développées à part entière. L’expérience de ces pays a fait voler en éclats la dichotomie Nord-Sud.

Le Tiers-Monde «n’est pas dans l’impasse», comme le prédisait l’économiste Paul Bairoch en 1971 (cet auteur démontrait dans un ouvrage le caractère spécifique et dramatique des problèmes auxquels le Tiers-Monde, globalement, se trouve confronté pour pouvoir rattraper les pays développés : Tiers-Monde dépassé par un développement démographique, d’une part, et d’autres part, son incapacité à suivre le progrès technologique).

Les quatre pays du Sud-Est asiatique dont nous parlons, démunis, certains d’espaces et tous de ressources naturelles, ont pu sortir de la pauvreté grâce à l’impressionnante dynamique de croissance de leurs économies, qui trouve son origine dans le développement continu (quantitatif et qualitatif) du secteur industriel et l’orientation à l’exportation.

Leur expérience, largement étudiée et analysée depuis le fameux rapport de la Banque mondiale de 1993 : «The East Asian  Miracle : Economic Growth and Public Policy», fait figure de modèle, suivi par l’émergence d’une nouvelle génération tels la Malaisie, l’Indonésie, la Thaïlande, les Philippines, le Vietnam (appelés les tigres), mais aussi la Chine, l’Inde et le Brésil pour ne citer qu’eux.

Cependant, les pays, qui sont dotés de ressources naturelles abondantes, sont restés en général des pays sous-développés, à tel point que l’on a pu parler de phénomène qu’on a baptisé la «malédiction des ressources naturelles». 
Le terme d’«économie émergente» ou pays dit «émergent» est né dans les années 1980.

On attribut à l’économiste Van Agtmael la première utilisation de l’expression de «marchés émergents», qu’il a utilisé en 1981 pour parler des PED offrant des opportunités pour les investisseurs et en phase de développement avancé (pays du Sud-Est asiatique).

Ce terme est repris ensuite par les institutions internationales pour désigner les pays où l’industrialisation est particulièrement rapide : c’est la naissance du concept de l’«émergence économique».

En dépit des différences qui existent dans la définition de l’émergence économique, on retrouve dans ce concept trois éléments importants, selon la définition du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII, 1996) : (1) un niveau de revenu inférieur à la moyenne des pays développés, (2) une croissance économique soutenue et rapide accompagnée d’une intégration croissante à l’économie mondiale (sur une période relativement longue), et (3) une attraction exercée sur les Investissements directs étrangers (IDE).

Associée à ces trois éléments, l’émergence désigne une capacité de concurrence de l’économie, et de fait, une dynamique vers le développement économique.

A ce stade, il y a une amélioration du niveau de vie des populations d’une nation, qui se traduit par une hausse des indicateurs de développement humain et un accroissement de la richesse.

L’émergence économique est constamment utilisée pour indiquer des exemples en matière de performance économique réalisée par des PED (principalement les pays du Sud-Est asiatique), et désigner ainsi les nouvelles grandes puissances économiques à l’échelle mondiale. En somme, le phénomène de l’émergence jouit d’une grande popularité à cause des potentialités qu’il recèle.

Le Nigeria ou le Kenya, parmi bien d’autres, se qualifient volontiers de pays émergents. Cependant, un certain nombre de règles ou de conditions doivent être réunies pour le phénomène de l’émergence.

L’analyse des trajectoires de développement des pays asiatiques, avec le Japon comme initiateur après la Seconde Guerre mondiale, puis les quatre dragons, à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, a rompu le paradigme de développement promu par le consensus de Washington associé au néolibéralisme où aucune intervention de l’Etat sur le marché était souhaité.

En effet, parmi les clés de la réussite de ces pays, il y a les politiques de développement dites «État développeur» (Capitalist Development State) ou État dit «développementiste». Ce modèle d’État était le pivot de leur stratégie de rattrapage économique.

Le succès économique de l’État développeur a encouragé d’autres pays asiatiques, notamment la Chine et des pays de l’Amérique latine à suivre ce modèle de développement.

Sans revenir longuement sur la définition de la notion de l’«États développeur», il faut retenir ici le rôle de l’État qui a pour caractéristique une forte intervention dans l’économie, avec des institutions considérées comme des piliers à l’encadrement du dynamisme de marché ainsi qu’une forte sollicitation des entreprises privées afin de servir avant tout les intérêts de l’économie nationale.

L’efficacité de la politique industrielle via un «Etat développeur», comme le souligne l’économiste Kuznets (1988), a permis l’accélération de l’industrialisation des pays du Sud-Est asiatique.

Le modèle de développement économique des pays asiatiques cités précédemment correspond à une théorie dite du « Vol d’oies sauvage». Cette théorie décrite par l’économiste Akamatsu en 1937 s’appuie sur l’exemple du Japon. Elle fut ensuite complétée par l’économiste Shinohara en 1982 pour illustrer le processus de développement industriel dans ces pays.

Ainsi, un pays initie le processus d’industrialisation sur un produit à faible valeur ajoutée, il en devient exportateur, puis finit à abandonner cette production pour un produit à plus haute valeur ajoutée. Un autre pays va alors reprendre le même type de production et entamer son propre processus d’industrialisation, et de fait, les pays se développent les uns après les autres.

Ainsi, on observe quatre phases : (1) le pays en développement importe de l’énergie et des produits manufacturés des pays industrialisés. (2) Il substitue la production nationale aux importations (des biens de consommations ensuite des biens d’équipements) tout en protégeant l’industrie nationale (par exemple par des barrières tarifaires).

(3) Le pays exporte vers les marchés extérieurs les excédents commerciaux. (4) Il y a une délocalisation de la production de biens à faible intensité technologique et une orientation vers les activités à haute valeur technologique. A l’arrivé, le pays devient une puissance économique internationale.

Ce processus de développement rend compte de l’émergence successive de nombreux pays asiatiques, le Japon a été à l’origine de ce processus, qui s’est étendu ensuite aux quatre dragons asiatiques. Le miracle asiatique s’est construit sur une industrialisation tournée vers l’exportation et sur une désindustrialisation occidentale.

Les IDE dans le secteur manufacturier et dans les services ont joué un rôle de premier plan dans la croissance rapide des pays du Sud-Est asiatique.

Les entrés de capitaux importants en provenance du Japon puis des pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) ont favorisé la sous-traitance entre les entreprises étrangères et les sociétés locales, ce qui a permis la diversification et le développement du secteur industriel.

Ces pays ont réussi ensuite à s’intégrer dans les chaînes de valeur mondiales, et la remonté dans les filières à forte valeur ajoutée pour promouvoir un appareil productif très compétitif à la faveur de politiques industrielles très construites.

L’attraction de l’investissement étranger a favorisé aussi le transfert de technologies, la diffusion des savoirs par les liaisons verticales avec des entreprises sous-traitantes, la formation d’un personnel local qualifié et la construction de capacités d’apprentissage et technologiques au sein des entreprises.

(A suivre)
 

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