Ce mardi 5 novembre, les Américains vont élire un nouveau Président. Et comme le veut la tradition, ils devront départager les candidats républicain et démocrate, autrement dit choisir entre Kamala Harris et Donald Trump.
Quel impact aura le verdict de l’élection présidentielle américaine sur l’avenir de la question palestinienne et le sort de Ghaza ? Il convient de noter d’emblée que le sujet n’a pas manqué de s’inviter avec force pendant la campagne, surtout avec l’ampleur qu’a prise la guerre que mène depuis plus d’une année maintenant Israël contre le peuple palestinien à Ghaza et l’extension du conflit au Liban et au Yémen en impliquant frontalement l’Iran.
On se souvient que lors du débat électoral qui avait opposé Kamala Harris à Donald Trump le 10 septembre dernier, plusieurs points de divergence avaient éclaté au grand jour dans la position exprimée par les deux candidats à propos de la question palestinienne et les voies du rétablissement de la paix au Moyen-Orient.
On avait assisté à une véritable passe d’armes entre l’ancien locataire de la Maison-Blanche et la vice-présidente des Etats-Unis. Kamala Harris avait estimé qu’ « Israël a le droit de se défendre» mais avait critiqué la riposte disproportionnée de Netanyahu et son cabinet de guerre, répétant que «trop de Palestiniens innocents sont morts».
Mme Harris a en outre plaidé à maintes reprises pour l’urgence d’un cessez-le-feu à Ghaza et défendu l’idée d’une «solution à deux Etats». Soucieux d’attirer dans son escarcelle l’électorat juif, Trump a soutenu qu’Israël cesserait d’exister en cas de victoire de Kamala Harris. Une autre fois, il a déclaré que si sa rivale démocrate remportait les élections, «Israël disparaîtrait au bout de deux ans».
Trump, «meilleur ami d’Israël»
Dans un article publié samedi dernier sur son site web sous le titre «Accords et désaccords de Harris et Trump à propos de l’agression contre Ghaza», Al Jazeera note : «Quelques jours avant l’élection présidentielle, Ghaza est devenue l’un des principaux sujets de préoccupation d’une grande partie des électeurs américains, en particulier les juifs et les musulmans, alors que Trump et Harris tentent chacun d’attaquer son homologue concernant Ghaza et la position de son administration sur ce sujet s’il accède à la Maison-Blanche.» «Chacun des deux candidats accuse l’autre de ne pas soutenir suffisamment Israël, Trump affirmant qu’Israël n’existera plus dans deux ans s’il est battu, tandis que Harris qualifie d’antisémite la rhétorique de Trump sur l’Etat hébreu.»
L’article du groupe qatari relève que «Trump se décrit régulièrement comme le ‘’meilleur ami’’ d’Israël ». « Lors de son discours devant le Conseil américain d’Israël à Washington le 19 septembre, il a déclaré : ‘’Nous allons rendre sa grandeur à Israël’’, et il a affirmé qu’avec le vote des juifs américains, il serait leur ‘’défenseur’’, leur ‘’protecteur’’ et ‘’le meilleur ami des juifs américains à la Maison-Blanche’’» indique Al Jazeera. Décryptant la politique prônée par Kamala Harris, le même média observe : «Mme Harris a tendance à formuler sa vision de la fin de la guerre en termes d’empathie pour les victimes palestiniennes et israéliennes.»
Et de citer cette déclaration prêtée à la candidate démocrate : «Je m’efforce de faire en sorte que la guerre prenne fin, qu’Israël soit en sécurité, que les otages soient libérés, que la souffrance à Ghaza cesse et que le peuple palestinien puisse réaliser son droit à la dignité, à la liberté et à l’autodétermination.»
Al Jazeera met l’accent sur le fait que Donald Trump aussi milite à sa manière pour la fin de la guerre à Ghaza. Toutefois, dans son approche, le cessez-le-feu doit être proclamé de façon unilatérale et doit venir de Netanyahu et son gouvernement d’extrême droite et ne doit pas être le fruit d’une solution négociée qui valoriserait les Palestiniens en les présentant comme des combattants discutant d’égal à égal avec l’occupant sioniste. « M. Trump s’est moqué des appels au cessez-le-feu lancés par Mme Harris, estimant qu’il s’agissait d’une contrainte pour Israël», fait remarquer Al Jazeera, citant à l’appui cette déclaration de Trump : «Depuis le début, Mme Harris s’est efforcée de lier les mains d’Israël en exigeant un cessez-le-feu immédiat, ce qui ne fera que donner au Hamas le temps de se regrouper et de lancer une nouvelle attaque, semblable à celle du 7 octobre.»
On se souvient aussi des piques répétées que le fantasque milliardaire a régulièrement adressées à Joe Biden et sa vice-Présidente, qualifiant leur gestion de la guerre contre Ghaza de «timorée» et d’«indécise».
Capter l’électorat évangélique
Cependant, démocrates et républicains affichent tous les deux, au fond, un soutien inconditionnel à Israël. Ce soutien constant représente même un principe cardinal de la politique étrangère des Etats-Unis.
Dans un article publié par la revue électronique «The Conversation» sous le titre «Harris et Trump sur le dossier israélo-palestinien : nuances dans la forme, convergences sur le fond» (mis en ligne le 13 septembre dernier), la politologue Elizabeth Sheppard Sellam, maître de conférences à l’université de Tours, spécialiste des Etats-Unis, souligne : «Alors que les médias présentent souvent le conflit israélo-palestinien comme une question absolument polarisante dans la campagne électorale américaine, la réalité est que, sur cette question, les républicains et les démocrates ont des positions remarquablement similaires, bien que certaines distinctions doivent être soulignées.»
La chercheuse révèle dans la foulée : «Le soutien régulièrement proclamé de Donald Trump à Israël masque sa véritable motivation : il cherche avant tout à plaire aux électeurs évangéliques plutôt qu’à se préoccuper véritablement des intérêts d’Israël.
De son côté, le Parti démocrate, malgré une minorité bruyante d’ultra-progressistes dénonçant la brutalité de la guerre conduite par Tsahal à Ghaza, continue de mettre l’accent sur la sécurité d’Israël et la nature stratégique des relations entre Washington et Tel-Aviv.» Sylvain Cypel, ancien rédacteur en chef au journal Le Monde et auteur de L’Etat d’Israël contre les Juifs (La Découverte, 2020), fournit lui aussi une analyse très pertinente sur les positions des deux candidats à propos du Proche-Orient.
La vente d’armes à l’état hébreu va continuer
Sous le titre «Etats-Unis – Ghaza. Avec Kamala Harris, un changement de façade» (L’Orient XXI, 12 septembre 2024), l’auteur nuance l’idée selon laquelle la candidate démocrate serait une fervente pro-palestinienne. «Certains analystes veulent croire qu’un accès de Kamala Harris au pouvoir marquerait ‘’la fin d’une ère où les présidents américains avaient un attachement personnel à Israël’’, comme l’a été en particulier Joe Biden.
Mais jusqu’ici, ce n’est pas ce qu’elle a montré. La Plateforme démocrate pour l’élection, rédigée sous Biden, n’a pas été modifiée d’un iota après qu’il s’est retiré de la course. Certes, Harris a un peu desserré le carcan de soutien inconditionnel américain dans lequel Biden et Antony Blinken, son secrétaire d’Etat, avaient enserré la guerre contre Ghaza, laissant libre cours à Benyamin Netanyahu pour empêcher tout cessez-le-feu.
A la convention, Harris est apparue plus ouverte à la cause palestinienne, déclarant qu’elle ne resterait pas “silencieuse’’ si perdurait une tragédie des Ghazaouis qui “brise le cœur”.»
Et de noter : «L’appareil du parti semble s’accrocher à un logiciel devenu caduc. Selon le site Middle East Eye, Kamala Harris, peu au fait des problèmes du Proche-Orient, formerait une équipe issue des milieux ayant agi sous les présidences de Barack Obama et qui serait dirigée au département d’Etat par Phil Gordon. Ce choix serait l’incarnation même d’une pérennité annoncée du statu quo en ce qui concerne la Palestine et Israël. L’homme ayant occupé des postes de plus en plus éminents dans toutes les administrations démocrates depuis les années Clinton, il ne cesse de marteler sur le sujet les propos de tous ses prédécesseurs aux affaires étrangères, comme si rien n’était advenu en trente ans ».
Le journaliste poursuit : «Devant l’absence avérée d’impact des “pressions verbales” américaines sur la poursuite des bombardements israéliens et des massacres dans la population ghazaouie, le refus d’une cessation des livraisons d’armes devient un symbole de l’impuissance de la politique menée par la Maison-Blanche. Harris répète que les ventes d’armes restent un intouchable de la diplomatie américaine, la clé de sa “relation spéciale” avec Israël. Mais aux Etats-Unis, cette question devient le carburant de la mobilisation pour mettre fin aux exactions israéliennes. La candidate démocrate pourrait-elle l’entendre ? »
Harris promet l’autodétermination aux Palestiniens
Pour Sylvain Cypel, si Kamala Harris veut réellement faire bouger les lignes sur la question palestinienne, elle «devra se soumettre à ce qu’un nombre incalculable d’experts américains, diplomates et militaires savent depuis longtemps sans jamais l’évoquer publiquement, à savoir que pour résoudre le problème, à commencer par la fin de l’occupation par Israël des Territoires palestiniens occupés, il faudra que Washington change de paradigme et impose à Israël des sanctions tangibles et efficaces s’il n’obtempère pas».
Pour le journaliste, un tel changement de paradigme ressemble à un défi majeur tant la relation qui lie les Etats-Unis à Israël est fusionnelle. «Certains évoquent une alliance naturelle des messianismes juif et évangélique. D’autres le poids du lobby pro-israélien.
On se contentera, ici, de constater que plus les Etats-Unis fournissent gratuitement des armes aux Israéliens qui en font de plus en plus usage, et plus le contribuable et le Trésor favorisent l’enrichissement du complexe militaro-industriel des Etats-Unis», décrypte l’ancien rédacteur en chef au Monde. Sylvain Cypel estime pour finir que «le seul motif du soutien indéfectible de Washington n’est pas uniquement dû aux intérêts des sociétés d’armement.
Les craintes de l’impact qu’un affaiblissement de la place politique et sécuritaire d’Israël au Proche-Orient ferait peser sur le poids des Etats-Unis dans la région est, sans doute, un frein plus important encore à l’abandon de cette ‘relation spéciale’». «Une relation dont les Palestiniens sont la victime récurrente», conclut-il.
Lors de l’un de ses tout derniers meetings de campagne qu’elle a tenu avant-hier, dimanche, dans le Michigan, un Etat qui compte un important électorat arabe et musulman, la candidate démocrate à la Maison-Blanche a réitéré sa position : «Au sujet de Ghaza, j’ai été très claire : le niveau de mortalité des Palestiniens innocents est inadmissible», s’est-elle émue.
Et de marteler : «Nous devons mettre fin à la guerre et libérer les otages. En tant que présidente des Etats-Unis, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour y parvenir et parvenir à une solution à deux Etats dans laquelle les Palestiniens auront le droit à l’autodétermination et à la sécurité et à la stabilité dans la région.» Kamala Harris tiendra-t-elle sa promesse ?