Les performances de l’économie mondiale au cours du premier semestre 2023 sont ambivalentes et les perspectives à moyen terme restent défavorables en raison de nombreux risques macroéconomiques et géostratégiques.
Même si elle continue de se remettre progressivement des impacts de la pandémie et de la guerre en Ukraine et que l’instabilité financière liée à la crise bancaire de mars 2023 reste contenue suite aux mesures globales prises par les autorités américaines et suisses, l’économie mondiale se caractérise à fin juin 2023 par : (1) une croissance économique faible en raison d’un ralentissement de l’activité dans le secteur manufacturier qui n’a pu être compensée par l’expansion du secteur des services ; (2) des marchés du travail sous tension en raison d’une pénurie persistante de main d’œuvre causée par le changement subit de carrière de nombreux travailleurs, de restrictions des flux migratoires et de départs massifs à la retraite ; (3) une inflation en baisse sous l’effet des ajustements des taux d’intérêt mais dont le niveau continue d’excéder les cibles des grandes banques centrales (2%) et d’affecter les biens alimentaires et les engrais, source d’insécurité alimentaire et de malnutrition pour les ménages à faible revenu ; (4) la montée des inégalités au niveau mondial et au sein des pays eux-mêmes ; et (5) le surendettement de certaines catégories de pays en voie de développement. Pour le moyen terme, les perspectives restent donc défavorables en matière de croissance économique (qui devrait rester modeste) et d’inflation, ce qui impliquera de mettre en œuvre, dans un contexte de coopération internationale, un mix macroéconomique approprié et des réformes structurelles ciblées pour faire face aux grands défis actuels. Discutons de ces questions importantes. Point sur la situation macro-économique mondiale : ralentissement de l’activité économique, inflation élevée et /ou déflation et baisse des échanges internationaux
• L’économie mondiale : La croissance mondiale devrait passer, selon les estimations du FMI, de 3,5% en 2022 à 3,0% en 2023 et 2024. Ces taux (inférieurs aux moyennes enregistrées dans le passé) reflètent les impacts de la hausse par les banques centrales des taux directeurs afin de lutter contre l’inflation ainsi que les tensions géostratégiques. L’inflation devrait progressivement décliner de 8,7% en 2022 à 6,8% en 2023 et 5,2% en 2024. La croissance du commerce mondial devrait également baisser de 5,2% en 2022 à 2,0% en 2023, avant de remonter à 3,7% en 2024, bien en-deçà de la moyenne de 4,9% enregistrée au cours de la période 2000-19. Le recul en 2023 s’explique par le changement de la demande mondiale en faveur de services domestiques, les effets décalés de l’appréciation du dollar et la multiplication des obstacles aux échanges.
• Les Etats-Unis. L’activité économique est en phase de ralentissement et devrait passer de 2,1% en 2022 à 1,8% en 2023. Ce ralentissement a pour causes : (1) la poursuite du resserrement des conditions de crédit ; (2) une baisse de la consommation due à l’épuisement de l’épargne excédentaire accumulée pendant la pandémie ; et (3) la nouvelle hausse des taux d’intérêt par la FED le 26 juillet 2023 qui a ainsi porté la fourchette du taux des fonds fédéraux à 5,25% -5,50%. Ceci devrait affaiblir la demande, réduire l’emploi et limiter l’embauche. La croissance devrait atteindre seulement 1,0% en 2024. Pour ce qui est de l’inflation, elle restera élevée pour se situer à 4,5% et 2,3% en 2024, respectivement.
• La zone Euro : L’économie de cette dernière la progressé de 0,3% au deuxième trimestre 2023, marquant un retour à la croissance. La croissance résiliente en France et en Espagne y a contribué, mais l’économie allemande, la plus importante du bloc, n’a pas progressé. L’inflation reste une préoccupation pour la Banque centrale européenne (BCE). Les prix sous-jacents, qui excluent les denrées alimentaires et l’énergie volatiles, ont augmenté de 5,5% sur un an, sans changement par rapport à juin 2023. Dans ce contexte, la BCE a de nouveau resserré les conditions financières en relevant de 0,25% le 27 juillet 2023 le taux de refinancement pour le porter à 4,25% (la 9e hausse depuis juillet 2022).
• La Chine : La croissance économique devrait atteindre 5,2% en 2023 et 4,5% en 2024, tirée par la consommation, l’investissement dans une moindre mesure du fait de la faible progression du secteur de l’immobilier et les exportations nettes (plus élevées que prévu). Le déflateur du PIB, une large mesure du prix des biens et services, a diminué de 1,4% au deuxième trimestre, par rapport à l’année précédente. C’est la plus forte baisse depuis 2009. La Chine pourrait ainsi entrer dans une phase déflationniste qui pourrait éroder les bénéfices, déprimer la confiance et décourager les emprunts et les investissements, ce qui ne fera qu’ajouter à la pression déflationniste.
• Les économies émergentes et en voie de développement. La croissance devrait être globalement stable à 4,0% en 2023 et 4,1% en 2024. Toutefois, cette moyenne stable masquer des disparités, puisqu’environ 61% des pays de ce groupe devraient connaître une croissance plus rapide en 2023, tandis que pour les autres, la croissance devrait être plus lente.
Le marché mondial des céréales et le risque de rebond éventuel des prix des produits alimentaires. Depuis la mi-juillet, la Russie s’est retirée de l’accord en vertu duquel elle avait autorisé l’Ukraine à exporter des céréales à travers la mer Noire. Cet accord avait été négocié par la Turquie et l’ONU et initialement conclu au cours de l’été 2022. Grace à ce dernier, l’Ukraine a exporté 33 millions de tonnes de blé, de maïs et d’oléagineux, contribuant ainsi à ramener les prix aux niveaux d’avant-guerre. L’accord devait être renouvelé. Pour le moment, le retrait de la Russie de l’accord n’a pas fait bouger les prix du blé qui est de $702.58 le boisseau à fin juillet 2023 (par rapport à $697,30 à la mi-juillet).
En effet, les acteurs du marché céréalier avaient anticipé une telle décision sur la base de certains signes avant-coureurs, notamment la baisse des exportations de céréales au départ de la mer Noire depuis mai (les navires ne pouvant plus accéder au port céréalier de Pivdennyi qui traite 33% des exportations alimentaires ukrainiennes par voie maritime). L’évolution des prix des céréales dépendra de la renégociation de cet accord, rendue toutefois difficile en raison de plusieurs points d’achoppement : (1) l’exigence par la Russie d’assouplissement des restrictions imposées par les pays avancés sur certaines des institutions publiques russes, comme la Banque agricole (les secteurs de l’alimentation et des engrais sont exemptés des sanctions occidentales). Les allies de l’Ukraine sont réticents, considérant qu’un tel assouplissement serait mis à profit pour faciliter les exportations non alimentaires comme le pétrole brut ; (2) une certaine normalisation des approvisionnements mondiaux en blé et la reconstitution de stocks mondiaux ; et (3) la compensation de la baisse des exportations mondiales de maïs par des ventes record de la part du Brésil.
La poursuite de la guerre est une menace sérieuse pour l’Ukraine en tant qu’exportateur de céréales. A court terme, cette dernière fait face à un recul de la production (près de 40% par rapport à 2021) et à une hausse des coûts de transport en raison du recours à des itinéraires alternatifs pour exporter les céréales (rail et rivières à travers l’Europe), contraignant ainsi les agriculteurs ukrainiens à réduire les prix et donc à planter moins. De plus, ces routes alternatives créent des tensions avec les pays voisins du fait de la nouvelle concurrence de la part de l’Ukraine pour des zones de stockage, des moyens transport et l’usage d’installations portuaires et de barges. A plus long terme, le risque est de voir l’Ukraine disparaitre en tant que fournisseur majeur de produits alimentaires, ce qui aggraverait la faim dans le monde. En effet, rappelons que l’Ukraine représente normalement 10% et 10-15%, respectivement, des exportations mondiales de blé et de maïs. Si en 2022, une catastrophe alimentaire majeure a été évitée de justesse grâce à la reprise des exportations ukrainiennes et à des récoltes exceptionnelles à travers la planète, 2023 et les années subséquentes pourraient être différentes. Les perspectives économiques demeurent défavorables en raison d’une multitude de risques.
Si certains facteurs sont de nature à influer positivement l’activité économique mondiale, d’autres en revanche sont des facteurs importants de risque. (1) Parmi les facteurs favorables, citons la résilience de l’économie américaine, l’accord sur le plafond de la dette, la stabilité du secteur bancaire aux Etats-Unis, une décélération de l’inflation à 3%, la hausse du prix des actions, une baisse des rendements obligataires, un dollar à son niveau le plus faible depuis que la FED a commencé à augmenter ses taux directeurs, une compression des marges bénéficiaires et une baisse des emplois vacants.
Ces indicateurs ont permis à certains analystes de développer la thèse d’une maitrise de l’inflation (renforcée par le ralentissement de l’activité économique), ce qui devrait, selon eux, mettre fin au processus d’ajustement des taux d’intérêt et ouvrir la voie à un éventuel atterrissage en douceur de l’économie américaine (sans récession).
De plus, les tenants de cette thèse précisent que la réouverture décevante de la Chine, qui n’a pas de problème d’inflation propre, a empêché la flambée redoutée des prix mondiaux des matières premières et permis à l’Europe de remplacer le gaz russe par des achats de gaz liquéfié auprès d’autres pays ; (2) Au titre des facteurs à risques : rappelons le ralentissement de l’activité mondiale à des niveaux jamais enregistrés historiquement ; l’atonie de l’économie chinoise qui a enregistré un taux de croissance de 0,8% au cours du second trimestre comparativement au premier trimestre, alors que de nombreux analystes prévoyaient un boom à la faveur de sa réouverture en janvier 2023 après l’abandon un mois plus tôt de la politique du zéro-covid ; les sous-performances des industries manufacturières alors que les consommateurs sont sortis du confinement et ont commencé à fréquenter les restaurants et à freiner leurs achats d’équipement de bureau à domicile ; et le ralentissement de l’économie américaine après une croissance solide au cours du premier semestre. Ajoutons à ce panorama le surendettement des pays émergents et des pays en développement et l’accentuation de la fragmentation géoéconomique.
Du fait de la multiplication des risques majeurs macroéconomiques et géostratégiques, l’atterrissage en douceur de l’économie mondiale n’est pas encore une option soutenable pour divers raisons, tant que des progrès marquants ne sont pas accomplis en matière de stabilité des prix, de rééquilibrage des marchés du travail et de convergence entre les grandes économies avancées. Sur ce dernier point, précisons que même si la FED assouplit son programme de hausse des taux d’intérêt, d’autres décideurs politiques ne suivraient pas, notamment en Grande-Bretagne (qui fait face à une inflation toujours élevée de 7,95 %), le Japon qui vient à peine d’amorcer un resserrement de sa politique monétaire et la Chine qui pourrait faire face à un ralentissement structurel de la croissance économique et à la déflation.
En d’autres termes, la stabilisation de l’inflation et des taux d’intérêt n’est pas près d’être atteinte. Les axes des politiques publiques pour le reste de 2023 et le moyen terme : afin de booster l’économie mondiale, les politiques publiques doivent être articulées autour de cinq grands axes : (1) poursuivre la lutte contre l’inflation, En effet, la politique monétaire doit maintenir le cap de la désinflation afin de stabiliser les prix et renforcer la croissance économique ; (2) renforcer les marges budgétaires après une période de politique budgétaire expansionniste exceptionnelle ; (3) poursuivre des réformes structurelles pour favoriser la croissance économique, stimuler la productivité et relever le niveau de vie ; (4) renforcer l’architecture financière internationale pour appuyer la croissance mondiale ; et (5) restaurer la viabilite de la dette publique de nombreux pays émergents et en voie de développement. L’Algérie face à une économie mondiale en phase de ralentissement et une éventuelle récession. Les risques macroéconomiques et géostratégiques qui poussent l’économie mondiale dans cette direction sont multiples pour les ignorer. A chaque pays de se préparer en conséquence.
Pour l’Algérie, une économie mondiale affaiblie réduira sa demande pour les produits d’exportations, contraindra sa capacite d’importations du pays et réduira son accès aux financements importants dont elle aura besoin pour refonder son modèle économique et social. Face à cela, la priorité est de rétablir les fondamentaux macroéconomiques (maitriser l’inflation, reprendre le contrôle des finances publiques, cibler un taux de change d’équilibre) afin de réouvrir et élargir les sentiers de la croissance (par le biais de réformes structurelles ambitieuses et des politiques sectorielles prenant appui sur les nouvelles technologies). Il faudrait, au préalable inscrire cette démarche sur le long, moyen et court terme.
Ce sera la meilleure réponse à articuler face à un monde en effervescence dont les contours resteront incertains pendant quelques années.
Par Abdelrahmi Bessaha , Expert international