L’économie algérienne à fin 2023 et ses perspectives à moyen terme : Analyse du rapport annuel du FMI

31/03/2024 mis à jour: 00:18
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Le conseil d’administration du FMI a examiné et adopté le 27 mars 2024 le rapport des services du FMI sur l’Algérie. Ce rapport a été produit par le département Moyen-Orient et Asie centrale du FMI dans le cadre des consultations annuelles au titre de l’article IV pour 2023. 
 

Rappelons-nous qu’une équipe de ce département géographique du FMI avait séjourné à Alger du 6 au 21 novembre 2023 pour conduire les discussions portant consultations au titre de l’article IV avec l’Algérie pour l’année 2023. Cette mission du FMI avait publié un communiqué de presse qui présenta ses propres conclusions que nous avions eu l’occasion d’analyser dans un article publié par El Watan en date du 18 décembre 2023. 

Le rapport des services du FMI (qui est produit quelques trois mois après la fin de la mission vu le processus de revue intense propre au FMI) fait le point sur la situation macroéconomique et structurelle du pays à fin 2023, propose des projections sur les cinq prochaines années (2025-2029, excluant l’année courante 2024) et présente un certain nombre de propositions de politique économique. Discutons de ces points. 
Le contexte de l’économie algérienne à fin 2023
 

Pour le FMI, et à l’instar de tous les pays du monde, l’économie algérienne était en train d’émerger de la pandémie de la Covid-19 quand elle a dû faire face aux impacts de deux autres chocs : (1) la guerre en Ukraine (qui a contribué à faire remonter les prix internationaux des hydrocarbures, accroissant ainsi les recettes fiscales et pétrolières et les exportations et à déclencher un choc alimentaire) ; et (2) des sécheresses récurrentes (qui ont, pour leur part, alimenté de nouvelles pressions inflationnistes). 
 

Le panorama macroéconomique à fin 2023 est relativement favorable du fait de la hausse des prix du pétrole
Il se présente comme suit : (1) la croissance économique est estimée à 4,2% en 2023, en raison d’un rebond de la production d’hydrocarbures et de performances marquantes dans l’industrie, la construction et les services. L’activité économique a ainsi augmenté de 4,5% dans le secteur pétrolier et de 4,1% dans le secteur hors pétrole ; (2) l’inflation moyenne a atteint 9,3% en raison de la hausse des produits alimentaires et d’une politique monétaire accommodante ; (3) le compte courant de la balance des paiements a enregistré un surplus de 2,2% du PIB (en baisse par rapport à 8,4% du PIB en 2022) ; (4) le déficit budgétaire global (hors Caisse Nationale des Retraites) a atteint 3 % du PIB (2,5% du PIB en 2022). Ce creusement du déficit global reflète des taux d’exécution relativement lents par rapport aux projections. 
 

Quant au déficit budgétaire primaire hors pétrole (l’indicateur budgétaire approprié pour juger de la bonne orientation des finances publiques dans un pays pétrolier), il s’est situé à 26,6% du PIB hors pétrole (par rapport à 27,8% du PIB hors pétrole en 2022). Ce niveau reste largement supérieur au déficit normatif du pays qui est de 11% du PIB hors pétrole ; et (5) la dette publique (excluant les garanties) a atteint 49,5% du PIB. 

Un bilan globalement favorable due en partie à des facteurs exogènes. Les fondamentaux économiques restent toutefois fragiles avec trois préoccupations : le coût de la vie, la fragilité des finances publiques et la montée incessante de la dette publique.  
 

Les projections pour 2024 restent, selon le FMI globalement positives avec toutefois des préoccupations pour ce qui est du niveau de l’inflation

(1) la croissance économique devrait se situer à environ 3,8%, soutenue en partie par d’importantes dépenses budgétaires qui passeront de 34,1% du PIB en 2023 à 36,3% du PIB en 2024. L’activité économique devrait augmenter de 2,7% dans le secteur pétrolier et de 4% dans le secteur hors pétrole ; (2) l’inflation moyenne devrait enregistrer une certaine décélération pour se situer à 7,6%, du fait de la baisse projetée des prix des produits alimentaires frais. Ce niveau reste encore très élevé ; (3) le surplus du compte courant de la balance des paiements devrait baisser de 2,2% du PIB à 0,1% du PIB en raison d’une baisse des prix des hydrocarbures ; (4) le déficit budgétaire global devrait atteindre 8,5% du PIB en raison d’une baisse des recettes à 27,8% du PIB (31,1% du PIB en 2023) et une hausse des dépenses mentionnée ci-dessus. Quant au déficit budgétaire primaire hors pétrole, il devrait rester stable à 26,6% du PIB hors pétrole. 
De nouveau, un niveau largement supérieur au déficit normatif du pays de 11% du PIB hors pétrole) ; et (5) la dette publique devrait baisser à 46,4% du PIB. Un niveau toutefois très élevé. 
Les projections à moyen terme (2025-2029)
 

Pour les rapports au titre de l’article IV, les services du FMI sont tenus de préparer un cadre macroéconomique portant sur les 5 prochaines années (excluant l’année en cours) en détaillant les risques mais également les pistes favorables en mesure d’améliorer les performances du pays. Pour ce qui est des risques, le FMI note : (i) la persistance de l’inflation ; (ii) la volatilité du marché pétrolier ; (iii) les risques budgétaires et les besoins financiers importants du pays ; (iv) une dette publique croissante ; (v) les impacts climatiques sur l’économie et le budget ; et (vi) une transition énergétique désordonnée. Les mesures qui permettraient de faire évoluer favorablement ces perspectives incluent des réformes structurelles soutenues, audacieuses et profondes visant à diversifier l’économie, améliorer le climat des affaires, attirer les investissements et exploiter de nouveaux marchés d’exportation. 
 

Les projections 2025-2029 sont en l’état actuel des choses les suivantes : (1) la croissance devrait chuter progressivement pour passer de 3,1% en 2025 à 2,1% en 2029 ; (2) l’inflation passerait de 6,4 % en 2025 à 5,0% en 2029 (une faible décélération) ; (3) Le compte courant de la balance des paiements devrait alors enregistrer des déficits croissants qui passeront de 1,5 % du PIB en 2025 à 3,8 % du PIB en 2029 (un retour à la situation de 2021) en raison d’un ralentissement du marché pétrolier ; (4) le déficit budgétaire global devrait se situer entre 7,8% du PIB en 2025 et 6,7% du PIB en 2029 en raison d’une baisse des recettes de 2,6 points de pourcentage du PIB et une compression des dépenses de 4,4 points de pourcentage du PIB au cours de cette période. Quant au déficit budgétaire primaire hors pétrole, il devrait diminuer pour passer de 23,9% du PIB hors pétrole en 2025 à 18,7% du PIB hors pétrole en 2029 ; et (5) la dette publique devrait continuer à augmenter pour passer de 49,7% du PIB en 2025 à 59,5 % du PIB en 2029. 
 

Ce cadre macroéconomique à moyen terme de base (sans réformes) souligne l’importance d’une bonne gestion des risques actuels mais surtout d’un programme global et cohérent de réformes macroéconomiques et structurelles. Il est temps de ne plus compter sur le pétrole au moment où le monde accélère le processus de décarbonisation et la croissance reste trop faible pour absorber le stock de chômeurs et les flux annuels de demandeurs d’emplois. 
Les axes des réformes et des politiques publiques sur le moyen terme
 

Le FMI souligne l’importance de mettre en œuvre des politiques macroéconomiques appropriées et des réformes structurelles visant à diversifier l’économie et à réduire les risques liés au climat afin de garantir la stabilité macroéconomique et promouvoir une croissance inclusive et durable. Les grands axes de ces réformes sont les suivants : 
Axe 1 : La viabilité budgétaire à moyen terme. Prend de plus en plus d’importance au vu du niveau très élevé du déficit budgétaire et des besoins de financement à court terme qui pourraient fragiliser davantage les finances publiques et alimenter de nouvelles pressions inflationnistes. 
 

L’objectif d’un rééquilibrage progressif de la politique budgétaire est crucial afin de se donner des marges de manœuvre financières et améliorer la viabilité des finances publiques et de la dette, tout en garantissant un soutien ciblé aux plus vulnérables. 
 

Dans ce contexte, le FMI suggère alors de réformer les subventions énergétiques, de revoir la gestion des finances publiques et d’établir un cadre budgétaire à moyen terme fondé sur des règles afin de soutenir les plans budgétaires à moyen terme des autorités.
 

Axe 2 : Le resserrement proactif de la politique monétaire. Par le biais : (1) d’une augmentation du taux directeur et du taux de réserves obligatoires ; (2) une absorption continue des liquidités pour soutenir l’objectif de réduction de l’inflation ; (3) le renforcement du mécanisme de transmission de la politique monétaire ; et (4) la recherche de la stabilité des prix comme objectif principal de la politique monétaire. Le FMI se félicite de l’adoption de la loi monétaire et bancaire visant à moderniser les marchés financiers ainsi que les opérations et la gouvernance des opérations de la banque centrale. Enfin, le FMI appelle à une plus grande flexibilité du taux de change pour renforcer le rôle de cet outil comme amortisseur des chocs.
 

Axe 3 : La résilience du système bancaire. Le FMI appelle au renforcement de la supervision bancaire, de la surveillance des créances douteuses et litigieuses et de la gouvernance des banques et entreprises publiques. De telles actions seront déterminantes pour atténuer les risques systémiques posés par l’interdépendance des liens entre l’état, les entreprises publiques et les banques publiques. Le FMI appelle, en outre, à améliorer l’inclusion financière.
 

Axe 4 : Les réformes structurelles. Ces dernières devraient viser à : (1) stimuler l’investissement ; (2) améliorer la transparence budgétaire ; (3) renforcer le cadre juridique relatif au blanchiment de l’argent et au financement du terrorisme ; et (4) lutter contre les risques de gouvernance et de corruption. Les autres pistes de réformes structurelles recommandées par le FMI incluent l’environnement des affaires, la participation des jeunes et des femmes au marché du travail et la diversification des sources de la croissance (notamment dans le secteur vert) avec l’appui du secteur privé.
 

Axe 5 : Les statistiques. Le FMI a exhorté les autorités à améliorer la couverture et l’actualité des statistiques. Pour ce faire, les autorités sont encouragées à solliciter l’aide des services techniques du FMI. 
Des pistes de réformes utiles.
Conclusion
 

Comme souligné à maintes reprises, ce rapport des services du FMI n’engage en rien les autorités du pays qui ont été consultées avant sa transmission au conseil d’administration. 

Ce rapport est toutefois très utile car il offre un cadre macroéconomique à moyen terme (avec des données importantes globales et cohérentes), identifie un certain nombre de pistes de réflexion dans les domaines macroéconomique et structurel ainsi que des mesures concrètes à considérer le cas échéant. Un outil de travail important qui pourrait servir à l’élaboration d’une stratégie de refondation du modèle économique et social du pays. 

Je voudrais rappeler que les rapports-pays annuels et autres documents-clés du FMI (rapports sur les perspectives économiques mondiales, les finances publiques, les finances et la monnaie et le secteur extérieur) sont lus avec beaucoup d’attention par, entre autres, les gouvernements étrangers, les grandes banques internationales et banques centrales, les investisseurs et les marches financiers et les organismes de développement régionaux). 

Notamment pour prendre connaissance des données macroéconomiques et des réformes qui sont entreprises par les pays. En espérant que le réseau diplomatique du pays puisse en disposer pour servir de base de travail aux diplomates du pays. Un document qui vaut davantage que les road shows. 
 

Par Abdelrahmi Bessaha ,  Expert international en macroéconomie

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