Le sport et la politique : La délicate cohabitation

03/06/2023 mis à jour: 16:39
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Pr. Rachid Hanifi Ancien Président du Comité Olympique Algérien | Photo : D. R.

Les instances internationales du sport imposent, depuis quelques années, la protection du sport vis-à-vis des contraintes politiques. L’autonomie financière acquise, grâce à la forte implication des sponsors, a encouragé les associations sportives à se détacher de l’emprise de leurs gouvernements respectifs. La professionnalisation du sport et l’impact de ce dernier sur les sociétés, ont permis d’assoir l’indépendance des institutions dirigeantes, par rapport aux autorités politiques de leurs pays. 

Cette nouvelle situation a poussé les instances internationales, notamment le CIO et la FIFA, à exiger des associations nationales, le respect des règles d’autonomie vis-à-vis des Etats. Ces conditions imposées à tous, sans tenir compte des difficultés d’application, dans les pays où l’autonomie financière n’est pas toujours évidente, mettent certaines fédérations nationales en difficulté, car prises en étau, entre le chantage des subventions étatiques indispensables, d’une part et les menaces de suspension des compétitions internationales d’autre part. 

Les dirigeants qui tentent de concilier les deux exigences, sont souvent heurtés à l’incompréhension des responsables gouvernementaux du sport et à la mentalité exprimée par le dicton « qui paie commande », alors que les nouvelles règles préconisent plutôt le « qui paie contrôle ». 

Mon expérience à la tête du Comité Olympique Algérien entre 2009 et 2013 m’a permis de constater, que les responsables du secteur étatique du sport, recherchent une emprise totale sur les associations, avec la menace de suspension des subventions, sans tenir compte des nouvelles règles imposées par les  tutelles. 

Mais, lorsqu’une sanction tombe sur une fédération, pour non respect du principe d’autonomie, la responsabilité est reprochée au président élu, lequel peut subir une punition de sa tutelle étatique. Même le « faire-semblant » de s’inscrire dans la nouvelle politique de gestion du sport, tout en partageant les décisions engageant la souveraineté du pays, n’arrangeait pas les responsables de l’époque.  

La résistance à l’ingérence directe dans la gestion de l’association, entraine un gel de l’apport financier, ce qui fut le cas, lors de mon mandat olympique, n’ayant pas conscience que cette privation de moyens ne sanctionne pas l’élu (qui est bénévole) mais les athlètes et la délégation représentative de la nation. Les dirigeants des instances sportives nationales, sont soumis à une véritable pression, des pouvoirs publics d’une part, par le chantage financier et des tutelles internationales d’autre part, par la menace des suspensions. 

Que dire de ces nouvelles règles de gouvernance du sport, imposées par les instances mondiales et des positions affichées par ces dernières, vis-à-vis des situations politiques manifestées à travers la planète ? 

1- Autonomie des instances sportives

Les instances internationales doivent comprendre que les exigences d’autonomie sont difficiles à assumer, dans les pays où le fonctionnement des fédérations sportives est largement dépendant des subventions étatiques, en raison de l’insuffisance de l’apport des sponsors et du soutien financier des tutelles internationales. En outre, ces dernières ne doivent pas oublier, que les athlètes engagés dans les compétitions continentales ou mondiales, représentent leurs pays respectifs et non leurs fédérations. 

De ce fait, il est difficile, voire incompréhensible d’exiger une autonomie, que beaucoup assimile à une indépendance vis à vis des gouvernements. L’ingérence gouvernementale finit toujours par trouver les moyens de s’imposer et l’incompréhension de la notion d’autonomie par les différents acteurs concernés (responsables du secteur étatique et élus des fédérations sportives nationales) se trouve à l’origine des conflits de prérogatives. Je pense que les instances sportives internationales doivent revoir leur politique à l’égard des associations nationales, en faisant le choix entre deux options :

Option 1 : Respecter la souveraineté des nations, en leur reconnaissant le droit de regard sur l’ensemble du processus relatif à la préparation des équipes et des athlètes engagés dans les joutes internationales, du fait que ces acteurs sportifs représentent leurs pays respectifs et non leurs fédérations. Cette ingérence serait d’autant plus justifiée, lorsque la prise en charge matérielle de la préparation des athlètes, dépend essentiellement des subventions de l’Etat. Une telle option pourrait mettre un terme aux conflits récurrents qui aboutissent  aux instances sportives de tutelle, et assurer la complémentarité nécessaire, entre les associations sportives nationales et la tutelle gouvernementale.

Option 2 : Maintenir l’exigence d’autonomie, auquel cas, des mesures additives devraient être prises par les instances internationales, afin de renforcer le pouvoir d’autonomie de leurs structures de démembrement nationales :

Assurer le financement total du fonctionnement des fédérations et de la préparation des sportifs engagés dans les compétitions internationales, afin de leur garantir une indépendance matérielle, vis-à-vis de leurs gouvernements respectifs

Remplacer les hymnes nationaux, par un hymne sportif universel, afin de limiter l’impact politique sur les  joutes sportives internationales. Une telle mesure pourrait contribuer à réduire les comportements de discrimination, de quelque nature qu’elle soit (politique ou raciale)

2- Ingérence politique

Les instances sportives internationales, ne cessent, depuis quelques années, d’exiger une indépendance du sport, vis-à-vis de l’environnement politique. Une telle exigence aurait été plus crédible si elle s’appliquait à la fois aux Etats et aux associations sportives universelles. Elle aurait permis à la fois d’exclure toute exclusion et de faire jouer au sport, un rôle fédérateur et de rapprochement des populations, en difficultés ou en conflits, sans prise de position aucune. Malheureusement, ce que nous constatons, ne cadre pas avec le principe d’indépendance vis-à-vis de la politique, qui est basé sur l’exigence de neutralité. 

L’interdiction aux athlètes russes et biélorusses de participer aux tournois internationaux, alors que ceux de l’Ukraine y sont autorisés et même particulièrement applaudis, est une forme, on ne peut plus explicite, d’ingérence du sport dans la politique, par l’affichage d’une prise de position flagrante. La dernière sortie que la FIFA et la CAF auraient manifestée à l’encontre de l’Algérie, pour avoir abrité une rencontre sportive entre le MCA et une équipe sahraouie de football, est également (au cas où elle se confirmerait) incompréhensible, du fait qu’il s’agit d’un moyen pacifique, de défense d’une cause, prise en charge, politiquement, par les responsables de l’ONU. 

L’attitude des instances sportives internationales, notamment le CIO (pour les jeux olympiques) et la FIFA (pour la coupe du monde de football) devraient se limiter à la stricte neutralité politique d’une part, et à la promotion de la paix et de la non discrimination, par le sport, d’autre part. Les tournois internationaux, particulièrement les jeux olympiques et la coupe du monde de Fb, qui bénéficient d’une large audience populaire et couverture médiatique, devraient être saisis comme opportunité pour le rapprochement des délégations en conflit, en veillant au strict respect du principe de non discrimination (condamner tout refus de compétition, pour motif politique ou racial). Le sport pourrait ainsi contribuer à une solution de paix, sur la base de neutralité politique. 

Les comités olympiques nationaux et les fédérations sportives concernées, devraient avoir le courage, de dénoncer l’ingérence politique du sport, tout comme on exige la non ingérence de la politique dans le sport. Les instances du sport mondial, doivent éviter de s’impliquer dans les affaires politiques ; elles doivent se protéger contre toute ambition de devenir un ONU sportif. 

Pr. Rachid Hanifi
Ancien Président du Comité Olympique Algérien

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