Le secteur de l’Énergie en débat : La transition énergétique est «une question de volonté politique»

12/05/2022 mis à jour: 07:21
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Photo : D. R.

En théorie, l’Algérie dispose, selon ses dires, des ressources pour les années à venir et n’aura pas de problème d’énergie jusqu’aux années 2050-2060. «Les réserves en hydrocarbures s’élèvent à 2300 milliards de mètres de gaz dans le sous-sol», selon l’ancien ministre du secteur, Abdelmadjid Attar.

La journée d’étude consacrée hier, à Alger, à la «Sécurité énergétique en Algérie : bilan, enjeux et perspectives» a montré l’étendue des défis qui attendent l’Algérie, notamment en ces temps de bouleversements géopolitiques mettant l’énergie au cœur des batailles à venir.

Organisée conjointement par Sonelgaz et le Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread), la rencontre a été marquée par la qualité des interventions qui ont mis en exergue les potentialités dont regorge le pays en termes de ressources (hydrogène vert, solaire, gaz, pétrole, etc.), comme il a été souligné par bon nombre d’experts invités, dont des anciens ministres (Abdelmadjid Attar et Mohamed Cherif Belmihoub) que la transition énergétique tant prêchée ces dernières années est avant tout «une question de volonté politique».

La rencontre tenue au centre de formation IFEG de Sonelgaz à Ben aknoun (Alger) a vu la présentation de bon nombre de communications portant sur le potentiel national en termes d’énergie, dont l’hydrogène vert. Une communication du Dr Rabah Sellami, directeur des programmes ER et EE, a, tout en mettant en exergue le potentiel national dans cette énergie, plaidé pour son introduction comme nouvelle composante de la transition énergétique à long terme.

Il a rappelé, a cet effet, la constitution par le Premier ministre, en décembre 2021, d’un groupe de travail en charge de l’élaboration de la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène vert. Un groupe composé de plusieurs ministères liés au secteur, Sonatrach, Sonelgaz, etc. Mais le clou de la rencontre a été la table ronde organisée avec les deux ex-ministres Abdelmadjid Attar et Mohamed Cherif Belmihoub, qui ont eu à aborder la problématique nationale tout en mettant en exergue les vulnérabilités présentes et à venir.

Mohamed Cherif Belmihoub, économiste et ancien ministre de la Prospective, a de prime abord estimé qu’un discours standard sur la sécurité ou la transition énergétique est mené par des organisations internationales et «relève plus de l’idéologie». «On n’est plus dans le savoir ou la science mais dans l’idéologie.

C’est-à-dire dans le sens où il faut faire ceci et non cela», a-t-il martelé, tout en plaidant pour «contextualiser» cette question et ne pas la revoir de la même manière que l’Allemagne, l’Autriche ou un autre pays, selon ses dires. «Même si je ne suis pas habilité à parler au nom de l’Etat algérien et sa position officielle sur la question, par contre, je peux néanmoins parler du positionnement de l’Algérie dans la chaîne des valeurs mondiales énergétiques. Et là, l’Algérie a toujours pris sa place», a indiqué M. Belmihoub.

Et d’ajouter : «Cette dernière décennie, on constate deux phénomènes, la mondialisation des chaînes de valeur, y compris dans la production d’énergie. Les pays ne sont pas maîtres y compris de la production. Ils sont partenaires et les grands consommateurs d’énergie cherchent maintenant la proximité d’approvisionnement. Cela devient un des facteurs clés de succès d’une politique de sécurité énergétique. Et l’Algérie a un positionnement avantageux par rapport à beaucoup de pays.» M. Belmihoub n’a pas manqué de relever que la préoccupation majeure où l’idéologie domine est la question de l’environnement.

«Je ne dis pas que la question est secondaire, mais il y a utilisation de ce facteur pour mettre à genoux des pays producteurs de pétrole qui ne sont pas les premiers responsables de ces problèmes de pollution.»

Sur le plan interne, M. Belmihoub a souligné la baisse de la production locale d’énergie et une consommation en hausse. «Il y a un mauvais usage de cette énergie. Ce ne sont pas les secteurs pourvoyeurs de valeurs ajoutées, comme l’industrie, qui en consomment le plus mais les ménages, ce qui est paradoxal, et le retour sur investissement est faible pour un pays à revenu intermédiaire comme le nôtre», a-t-il souligné.

«Il n’y a pas de panier énergétique en Algérie»

Concernant l’industrie, M. Belmihoub n’a pas manqué de relever que certains secteurs exportateurs de produits, comme le ciment et la sidérurgie, sont les plus gros consommateurs de cette énergie. Citant le cas du ciment, l’ancien ministre a relevé que pas moins de 55% du coût de production d’une tonne de ciment, c’est de l’énergie, à savoir gaz et électricité ! «Cela vaudrait dire qu’ils exportent du gaz et de l’électricité algériens. Si vous êtes compétitifs, payez au juste prix votre énergie et on applaudira si vous arrivez à placer une tonne de ciment», a-t-il asséné.

Sur sa lancée, il ajoutera : «Malheureusement, aujourd’hui, ils sont en train d’exporter à la place de Sonatrach ! Cessez ce matraquage sur les exportations hors hydrocarbures. L’Algérie n’exporte rien. Elle exporte de l’énergie ! Et ceux qui exportent sont des étrangers. Ils réexportent aussi les dividendes vers leurs sociétés mères à l’étranger.»

Et à Mohamed Cherif Belmihoub de plaider pour la correction des coûts de production en relevant, bien entendu, le coût de l’énergie. Lui succédant, l’ancien ministre de l’Energie, Abdelmadjid Attar, a relevé la situation peu reluisante du secteur de l’énergie par les chiffres. Réfutant de prime abord toute idée de panier énergétique, l’expert en énergie a été catégorique : «Il n’y a pas de panier énergétique en Algérie. 67% c’est du gaz, 35% des hydrocarbures liquides, 1% d’énergies renouvelables, les autres ressources, il n’y a rien.»

En théorie, l’Algérie dispose, selon ses dires, de ressources pour les années à venir et n’aura pas de problème d’énergie jusqu’aux années 2050-2060. «Les réserves en hydrocarbures s’élèvent à 2300 milliards de mètres cubes de gaz dans le sous-sol. Nous avons à peu près 1,5 milliard de tonnes de pétrole. La consommation nationale aujourd’hui est de 47 milliards de mètres cubes (tout usage confondu) avec les 7 à 8% d’augmentation annuelle de consommation, nous avons assez de gaz et de pétrole.

Donc, nous n’avons pas de problème de sécurité énergétique, nous avons un problème de rente, pour la simple raison que plus de la moitié de la production d’hydrocarbures est exportée pour soutenir le développement économique du pays.» Sur sa lancée, M. Attar a situé la vulnérabilité du secteur par des chiffres plus parlants que toute autre phraséologie.

«Si nous étions capables de développer une économie non rentière, le débat sur l’énergie aurait été tout autre, notamment avec le nouveau contexte mondial. La vulnérabilité est dans le fait que la production commercialisée a diminué de 40% en 2020. Il y a vulnérabilité même pour ce qui est de la rente en hydrocarbures. Certes, il y a eu la Covid, mais ça n’a pas arrêté de baisser depuis 2007. Par contre, la consommation a augmenté de 54% entre 2007 et 2020. Mais à défaut, et en défenseur du gaz de schiste, je dis que nous avons quand 22 000 milliards de mètres cubes dans le sous-sol», a-t-il souligné.

Et d’ajouter : «47% de la consommation énergétique (gaz et électricité) va aux ménages. C’est énorme ! Et ça a augmenté de 2007 à 2020 de 64%. La consommation dans les transports a augmenté de 139%. Des pourcentages que vous ne trouverez nulle part ailleurs. Et dans l’industrie, ça n’a augmenté que de 68%. Donc, le modèle de consommation algérien est complètement obsolète. Il faut le recomposer, le redistribuer, sinon, nous allons droit dans le mur.» 

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