Les avant-projets de loi sur l’information et sur l’audiovisuel, présentés dimanche en Conseil des ministres, n’ont finalement pas été adoptés. Le chef de l’Etat, selon un communiqué de la Présidence, «a demandé l’enrichissement de ces textes». Il s’agit de la deuxième remarque du genre qu’a reçue le gouvernement depuis le mois de septembre dernier. Où se situe le problème ? Pourquoi la mouture présentée par le gouvernement n’a-t-elle pas reçu le OK ? Comment ce texte a-t-il été préparé ?
La corporation des journalistes algériens ignore, des mois après le lancement de ce chantier, le contenu de ce document censé régir leur profession, qui semble avoir été élaboré dans des bureaux fermés. C’est ce que soulignent des confrères que nous avons interrogés. «Je n’ai pas pris, comme la quasi-majorité de mes confrères et consœurs, connaissance du texte en préparation.
On parle de la poursuite de l’enrichissement du texte en préparation, mais on ne voit rien sur le terrain, puisque jusqu’à présent, aucun confrère ou consœur n’a été associé à ce projet», précise Mohamed Kebci, journaliste au quotidien Le Soir d’Algérie. Même réponse pour Aïssa Moussa. Mais les journalistes interrogés ne cachent pas leur appréhension concernant l’arrière-pensée du pouvoir à travers la révision de la loi sur l’information.
«Visiblement, à travers la volonté de renforcer les garanties de protection de la liberté d’expression et la précision dans les concepts y afférents, notamment ‘‘l’adoption d’un discours médiatique responsable et de favoriser l’émergence d’une presse solidement ancrée dans les réalités nationales, consciente des enjeux et respectueuse de l’éthique et de la déontologie’’, on pourrait déceler des velléités de brider davantage le métier.
J’espère me tromper de jugement», a déclaré Mohamed Kebci. La même crainte est exprimé par Omar Ouali, journaliste à la retraite. Selon lui, le «fait que le Conseil des ministres ait retoqué hier (dimanche, ndlr) le projet du gouvernement me laisse craindre le pire». «Certainement qu’ils veulent un texte encore plus coercitif que ne l’est celui qui est en vigueur», indique-t-il, précisant que le «journalisme doit revenir aux journalistes connus pour leur professionnalisme, leur éthique afin d'animer les instances de régulation de la profession».
Presse libre ou aux ordres ?
Omar Ouali relève aussi la question de la «publicité que le pouvoir utilise comme une arme de chantage». «Il faut tendre aux annonceurs privés et publics le droit de choisir souverainement leurs supports en fonction du tirage et de l’audience, c’est-à-dire il faut revenir à la norme universelle. En fait, un changement en profondeur. Mais je doute qu’il y ait actuellement une volonté réelle du pouvoir d’aller dans ce sens», note-t-il.
Pour sa part, Hamid Goumrassa, journaliste au quotidien El Khabar, pose la problématique de la pratique en vogue chez le pouvoir, qui «considère la presse comme un outil de propagande et non pas un moyen d’accès du citoyen à l’information objective». «Le pouvoir exécutif n’a jamais élaboré ou amendé de loi sur l’information pour renforcer la liberté de la presse.
Le pouvoir en place ne croit pas à la liberté de la presse. Au contraire, il s’attaque à la presse et aux journalistes. Qu’il révise la loi ou qu’il en élabore carrément une autre, le pouvoir ne montre aucune volonté de respecter le principe de la liberté de la presse. Quand le chef de l’Etat parle de la liberté d’expression, il la conditionne toujours par ce qu’il appelle ‘‘la responsabilité’’», précise-t-il.
Soulignant que le problème de la presse réside «d’abord dans le respect de l’article 54 de la Constitution qui stipule que “la liberté de la presse écrite, audiovisuelle et électronique est garantie”», Aïssa Moussi doute de l’existence d'«une volonté réelle de libérer la presse et d’améliorer le quotidien des journalistes dont la précarité n’est plus un secret en Algérie».
«Si c’était le cas, on aurait associé les professionnels du métier, les professeurs universitaires et spécialistes en la matière à la révision de cette loi. De plus, il y a comme un fossé lorsque l’on entend les pouvoir publics parler de ‘‘favoriser l’émergence d’une presse solidement ancrée dans les réalités nationales, consciente des enjeux’’. Cela prouve qu’il y a d’ores et déjà des ‘‘limites bien définies’’ qu’on veut tracer à la presse qui, par contre, doit être libérée de toute autre considération», insiste-t-il.
De son côté, Mohamed Iouanoughene, journaliste à Liberté, affirme qu'«aucune révision du code de l’information n’a de sens si elle n’ouvre pas la voie à l’investissement et la liberté d’édition». «Il faut lever le verrou du plafond à ne pas dépasser en matière d’actions, qui est fixé dans la loi en vigueur entre 30 et 40%. Personne n’investira dans les médias avec cette condition», précise-t-il.
Sur le plan des libertés, ajoute-t-il, «la loi en vigueur a instauré la dépénalisation du délit de presse et il ne faut surtout pas revenir sur cet acquis pour justifier l’emprisonnement des journalistes».