Le Maroc à la présidence du Conseil des droits de l’homme : est-ce une farce ? (1re partie)

10/01/2024 mis à jour: 08:12
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Sultana Khaya, la célèbre militante sahraouie, a dû rester sans voix en apprenant que le Maroc briguait la présidence du Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU. «Rien que ça !», a-t-elle dû se dire en se remémorisant douloureusement le 15 novembre 2021. 

En effet, ce jour-là, très tôt le matin, des dizaines de membres des forces de sécurité marocaines en civil ont fait irruption dans sa maison, saccageant tout sur leur passage. Elle subit par la suite un viol pendant de très longues minutes et assista à l’abus sexuel commis par ces hommes contre ses deux sœurs et même sur sa vénérable mère âgée de… 80 ans ! Présidence du CDH ! Quel culot pour ce pays empêtré jusqu’au sourcils dans moult affaires défrayant la chronique, aux antipodes du respect basique des droits humains ! Il serait très fastidieux de citer toutes les affaires sordides perpétrées par le makhzen en violation des droits de l’homme, mais nous allons quand même en citer quelques-unes pour illustrer l’absurdité kafkaïenne de la prétention marocaine. Et, promis, il ne sera pas du tout question de Tazmamart, le célèbre bagne marocain de l’horreur absolue. 

Un rapport du département d’Etat américain de 2020 (émanant d’un pays ayant pourtant des «bonnes» relations avec le makhzen) liste une série de problèmes importants concernant les droits de l’homme au Maroc. 

Parmi eux, notons la torture par les membres des forces de sécurité ; les allégations relatives à l’existence de prisonniers politiques ; les restrictions graves de la liberté d’expression, dont la criminalisation de la diffamation et de certains contenus critiquant la monarchie ; la position du gouvernement concernant l’intégrité territoriale ainsi que l’ingérence considérable dans les libertés de réunion et d’association.
 

Le Sahara occidental

Outre l’ignoble affaire du viol collectif de la famille de Sultana Khaya qui n’a été suivie d’aucune enquête, les militants sahraouis ont subi et subissent encore des sévices corporels et des conditions d’incarcération dégradantes sous la «bénédiction» du makhzen qui n’a, plus que jamais, aucune considération pour les revendications légitimes du peuple sahraoui.
 

En novembre 2022, par exemple, six nouvelles plaintes de prisonniers sahraouis ont été déposées contre le Maroc devant le Comité contre la torture (CAT) des Nations unies à Genève :
«On dépose des plaintes pour des faits de torture qui ont eu lieu depuis les arrestations, donc depuis douze ans maintenant, qui sont donc des faits de torture physique, tout ce qu’on peut imaginer de plus terrible, des coups, des menaces… 

On a reçu certains témoignages faisant état de prisonniers qui étaient mis nus à leur arrivée au commissariat et qui étaient suspendus pendant des heures, qui étaient battus. Donc énormément d’actes de torture physique, mais aussi de la torture psychologique, avec de la mise à l’isolement : il y a par exemple un des détenus dont on parle qui est à l’isolement depuis cinq ans, ce qui est énorme. 

Ils ont tous été transférés loin de leur famille, on leur refuse systématiquement l’accès au soin, donc ce sont des tortures au long cours, aussi bien physiques que psychologiques, qui se poursuivent aussi aujourd’hui, en tout cas, les violences psychologiques n’ont pas cessé à ce jour». Ces plaintes ne sont que la suite d’une longue liste émanant de militants politiques et défenseurs de droits humains sahraouis condamnés à de lourdes peines de prison sur le fondement d’aveux obtenus sous la torture. 

Notons à ce sujet que le CAT avait condamné le Maroc en 2016 pour torture envers le militant sahraoui Naâma Asfari : «Le Comité note l’allégation du requérant (Naâma Asfari) selon laquelle les sévices physiques qu’il a subis lors de son arrestation, de son interrogatoire au commissariat, puis à la gendarmerie de Laayoune, ainsi que le traitement subi pendant son transfert en avion afin de lui extorquer des aveux, constituent des faits de torture en raison de leur gravité». Condamné sur la base d’aveux extorqués sous la torture, il purge actuellement une peine de 30 ans de prison ! D’autres exactions aussi sordides les unes que les autres ont fait l’objet de plaintes au CAT qui avait, auparavant, condamné le Maroc à quatre reprises.

 Le cas du militant Hassan Dah est édifiant : Le 4 décembre 2010, Hassan Dah, un militant sahraoui des droits humains, sirote un café au Las Dunas d’El Ayoun, la grande ville du Sahara occidental annexé par le Maroc en 1975, quand une dizaine d’hommes encagoulés font irruption dans l’établissement et l’embarquent. Dans la voiture qui l’emmène vers la préfecture de police, yeux bandés et menotté, il est violemment battu avec un objet contondant, jusqu’à en perdre connaissance. Il est ensuite torturé pendant quatre jours au siège de la gendarmerie où il a été transféré, puis dans un avion militaire qui l’emmène à Rabat, la capitale marocaine, et enfin, dans l’enceinte de la prison de Salé.

Les gendarmes le brûlent avec des cigarettes, le suspendent par les genoux et les poignets dans la position dite «du poulet rôti», lui introduisent un torchon inhibé d’urine et de matière fécale dans la bouche des heures durant, lui plongent la tête dans un baril d’eau sale…

Présenté trois mois plus tard, défiguré, devant un juge d’instruction, Hassan Dah dénonce les tortures et informe le magistrat qu’il n’avait signé le procès-verbal qu’on lui avait soumis que sous la contrainte, sans même avoir pris connaissance de son contenu. Le 16 février 2013, il est condamné à 30 ans de prison par un tribunal militaire pour «violences volontaires ayant entraîné la mort de fonctionnaires publics». 

Dans un rapport datant d’octobre 2021 et intitulé «La situation concernant le Sahara occidental», le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) s’est déclaré être préoccupé par «les informations faisant état de restrictions excessives des libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association imposées par le Maroc au Sahara occidental (…), ainsi que par celles faisant état d’un usage de la force inutile et disproportionné par les forces de sécurité marocaines pour disperser les manifestations, de perquisitions sans mandat, d’arrestations et de détentions arbitraires, de mesures de surveillance illégales et arbitraires, de harcèlement, d’intimidation et de destruction de biens». 

C’est pour ces raisons que la représentation du Front polisario auprès de l’ONU à Genève a jugé que les prétentions du Maroc à occuper le siège de la CDH de «manque de sérieux, d’insulte à l’Afrique et de comportement ridicule». Et d’ajouter que «ces dernières années, le Maroc a expulsé quelque 300 observateurs d’une vingtaine de pays et a incarcéré plus de 40 prisonniers politiques sahraouis».
 

Les militants du Rif

Al Hoceima, chef-lieu du Rif, octobre 2016. Mouhcine Fikri, un vendeur de poissons ambulant, a été broyé par une benne à ordures en essayant de s’opposer à la saisie de sa marchandise. La protestation populaire a été à la hauteur de l’horreur des vidéos de l’événement qui ont inondé les réseaux sociaux. 

Ce drame n’a pas tardé à déclencher des manifestations de masse baptisées «Hirak» dénonçant, entre autres, une oppression économique et sociale de la région du Rif caractérisée par des indicateurs socioéconomiques nettement plus faibles que la moyenne du royaume. 

A la suite de heurts entre les manifestants et l’imposant système de sécurité dépêché dans la région, 450 personnes furent arrêtées. Parmi elles, le leader Nasser Zefzafi a été condamné à 20 ans de prison ferme pour «complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’Etat».
 

Nasser Zefzafi avait été jugé dans un procès collectif avec 52 autres activistes et les verdicts prononcés ont été jugés entachés par des soupçons de torture. En outre, 50 des 53 militants ont déclaré avoir subi des pressions afin de leur faire signer des aveux auto-incriminant sans même lire leurs contenus, 21 ont été menacés par les policiers de viol sur leur personne, sur leurs épouses ou sur leurs filles mineures.

De son côté, Nasser Zefzafi a déclaré dans un enregistrement audio enregistré depuis sa prison qu’au moment de son arrestation en juin 2017, il a été «tabassé, déshabillé et violé avec un bâton». Sur ce dernier point, son avocate donne quelques précisions répugnantes révélant la perversité maladive des policiers impliqués dans l’affaire.
 

Le massacre des migrants africains

Dans son rapport de mission au Maroc, daté du 28 février 2013, Juan E. Méndez, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, mentionne dans la section «Migrants, réfugiés et demandeurs d’asile», «le rapporteur spécial a reçu des informations faisant état de passages à tabac et de violences sexuelles subies par les migrants subsahariens tentant chaque année de se rendre en Europe par le détroit de Gibraltar ou via Ceuta et Melilla. 

Le rapporteur spécial a recueilli des témoignages faisant état d’abus systématiques subis par ces migrants qui sont frappés avec des bâtons, des pierres ou autres objets, agressés sexuellement ou menacés d’agression sexuelle et soumis à d’autres formes de mauvais traitements consistant à les attacher avec des cordes, à leur causer des brûlures avec des briquets et à leur uriner dessus. Il a en outre entendu que les victimes étaient ensuite abandonnées dans des ravins ou des forêts ou qu’ils allaient se cacher dans de tels lieux, où aucune assistance ne peut leur être apportée».M. Méndez n’avait aucunement tort de s’inquiéter du sort des migrants traversant le Maroc. 

En effet, de mémoire d’homme, le plus grand massacre de vies humaines à proximité d’une frontière terrestre européenne s’est produit au Maroc, près du poste frontalier de l’enclave espagnole de Melilla, le 24 juin 2022. Selon certains observateurs, plus de 2000 migrants d’Afrique subsaharienne ont tenté de franchir cette frontière, tentative qui a fini dans un horrible bain de sang : 37 morts et 76 disparus. 

«Des images amateurs des incidents à la frontière, transmises à InfoMigrants, montrent le déferlement de violence qui s’est abattu sur les migrants ce jour-là. On y voit les forces de l’ordre distribuer des coups de matraque sur des hommes déjà à terre, un amoncellement de corps inertes gisant au sol et des visages de migrants en souffrance. 

D’après Amnesty International, des migrants auraient été aspergés de gaz lacrymogène et battus alors qu’ils se trouvaient au sol. Des accusations relayées par la BBC ou le consortium de journalistes Lighthouse Reports, qui ont dénoncé dans des enquêtes la brutalité des forces marocaines, vidéos à l’appui». Deux jours plus tard, soit le 26 juin 2022, les autorités marocaines se sont empressées d’enterrer les migrants décédés. 

«Sans enquête, sans autopsie, sans identification, les autorités [marocaines] cherchent à dissimuler la catastrophe», pouvait-on lire en première page du quotidien espagnol El País. (A suivre)

 

Par Ahmed Bensaada , Auteur et analyste

 

 

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