Ce qui est qualifié de «dialogue politique» se résume, au stade actuel, à une rencontre entre le chef de l’Etat et des leaders de parti et des personnalités diverses. Ceux-ci disent avoir soumis leurs analyses au président de la République, qui n’a pas livré la sienne.
On en sait un peu plus depuis hier avec l’annonce d’une «rencontre inclusive avec les partis politiques». Echaudée par les échecs du passé, l’opinion publique, quant à elle, n’a manifesté aucun intérêt particulier à ce «dialogue», et la présence de politiciens qu’elle a rejetés, voire combattus, n’était pas de nature à lui faire changer d’avis. C’est un fait, les Algériens ont politiquement bien évolué, ils savent qui est qui et qui fait quoi, et ils décryptent aisément les gestes et les propos aussi bien des dirigeants que des hommes politiques.
Ils ont tiré les leçons du théâtre des incessantes luttes passées et les beaux discours ne font plus recette, même reproduits à large échelle par le système médiatique. Seuls les résultats du terrain politique sont pris en compte. De toutes les personnalités qui se sont déplacées, jusque-là, au palais d’El Mouradia, seul Abdelaziz Rahabi a suscité de l’intérêt, apprécié pour son militantisme passé et lors du hirak. Il a d’ailleurs tenu à délivrer le message attendu de lui : le pouvoir doit revoir sa copie, se réformer et écouter ce que lui disent les citoyens.
Ce sont des personnalités de ce genre que les Algériens voudraient voir revenir sur la scène politique, en masse et en force. Ils sont nombreux, malheureusement, soit en retrait volontaire, soit écartés délibérément, quand ils ne sont pas carrément soumis à des poursuites policières ou judiciaires.
Il faut souligner que ce qu’a révélé avant tout le hirak, c’est le nombre impressionnant de jeunes Algériens très politisés, porteurs de nouvelles idées, prêts à s’engager dans l’arène de la politique pour veiller aux intérêts vitaux de leur pays. Le cours dramatique des événements ne leur a pas donné la possibilité d’émerger, beaucoup d’entre eux ont payé cher leur enthousiasme et leur engagement.
C’est un grand fiasco pour l’Algérie, une tragique perte de substance dont on ne sait si le président de la République en a été conscient au moment où il a décidé d’engager son «dialogue». Les jours à venir le diront. Si les contacts ont été laborieux, voire peu productifs jusque-là, il y a l’espoir que le processus engagé rebondisse d’une manière qualitative, car il n’y a pas d’autre solution pour faire face à la grave crise actuelle.
La politique ne peut plus fonctionner comme elle le fait, il y va même de la crédibilité des autorités, voire de la survie à terme du régime tout entier. Et bien entendu du devenir du pays, confronté à d’hallucinantes difficultés : la population se paupérise à vue d’œil sous l’ effet de l’inflation interne et externe, une économie encore dominée par la logique rentière, un marché de l’emploi dérisoire pour une population qui croît d’un million d’individus par an, etc. ; ajouté à cela les plans déstabilisateurs de puissances voisines et des groupes terroristes frontaliers.
Ces difficultés ne peuvent être résolues que si la société est ressoudée et unie autour d’institutions crédibles et fortes. Il n’est plus possible que l’opposition ait au-dessus d’elle, telle une épée de Damoclès, un article du code pénal spécialement conçu pour limiter ses activités et la réprimer selon les appréciations d’un juge ou d’un ordre venu de plus haut que lui.
Enfin, la sérénité ne peut s’installer dans le pays si des centaines de militants du hirak sont encore en prison ou attendent un hypothétique jugement et si la liberté de la presse se rétrécit de jour en jour comme une peau de chagrin.
Il va s’en dire que tout dialogue est une vertu en politique, encore faut-il qu’il soit sincère, sans exclusive et fasse partie d’une feuille de route beaucoup plus large et plus ambitieuse, qui est la sortie de crise pour entrer dans le temps de la démocratie.