Le défunt général-major Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense : L’ennemi à abattre, pour les intégristes, le sauveur de la République, pour d’autres

06/01/2024 mis à jour: 02:03
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Photo : D. R.

Vu comme un sauveur de la République par beaucoup d’Algériens, et par ses détracteurs, comme celui qui les a privés du pouvoir, général-major, ancien ministre de la Défense, Khaled Nezzar, parti à l’âge de 86 ans, n’a cessé d’assumer son rôle et son engagement.

Il est un des rares, pour ne pas dire le seul,  des hauts gradés de l’Armée à avoir rompu la loi de l’omerta imposée aux militaires, en publiant une série de livres consacrés aux différents événements politiques depuis la guerre d’Amgalla 2, avec le Maroc, suivie de la mort de l’ancien président Houari Boumediène, jusqu’à l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika, en passant par l’étape la plus difficile et complexe de Chadli Benjedid, Mohamed Boudiaf et Liamine Zeroual, pendant laquelle, il occupait le poste de chef de l’état-major de l’ANP, puis ministre de la Défense.

Un poste qui l’a mis au centre même des décisions, mais aussi des critiques, notamment durant les événements liés aux émeutes d’octobre 88, l’arrêt du processus électoral, l’assassinat de Mohamed Boudiaf et aux relations tendues avec le Maroc, en raison de son soutien apporté par ce pays aux groupes du GIA et le refuge accordé à Abdelhak Layada, alors émir de cette organisation sanguinaire. Nombreux, sont ses compagnons d’armes reconnaissent en lui l’homme républicain et engagé qui a marqué l’institution alors qu’il était chef de l’état-major de l’ANP.

Principal artisan de l’arrêt du processus électoral en janvier 1992 qui menaçait l’Etat républicain à travers l’instauration d’un régime théocratique, Khaled Nezzar a démissionné de son porte de ministre de la Défense en 1994. Depuis, son nom est resté plus que jamais lié à cette période, la plus sanglante que le pays ait connue.

Devenu un abcès de fixation des sympathisants et militants du parti dissout, il est diabolisé et mis au banc des accusés par les partisans du «qui tue qui» qui lui reprochent, et à travers lui, à l’Anp, d’être derrière les actes de terrorisme, de torture, de destruction et de massacre.

Des accusations devant lesquelles il est resté imperturbable. Il a de tout temps assumé son rôle: celui de faire barrage aux hordes intégristes qui aspiraient à prendre le pouvoir par l’urne ou les armes. Des positions qu’il a expliquées et réitérées dans tous ses livres. Il n’a de cesse de rappeler que «si les politiques ne pouvaient pas assumer leur responsabilité, l’Armée l’était».

Seul face à la mouvance intégriste

Il était le seul à avoir pris ses responsabilités, en tant que haut gradé pour confronter, devant un tribunal parisien, Habib Souaidia, un ex-déserteur de l’armée, repris de justice, réfugié en France, qui avait accusé cette dernière (dans son livre : La Sale Guerre) d’avoir «ordonné les actes de torture et de massacres».

Il n’a pas hésité une seule fois à être présent. Il en fera de même devant la justice suisse, lorsque deux anciens terroristes, des ex-militants du parti dissout, appuyés par des ONG qui leur sont proches, ont déposé plainte en 2011 à Genève, contre lui pour «torture» et «crimes contre l’humanité», commis durant les années 90.

Il s’est présenté à toutes les audiences accompagné de témoins à décharge pour faire comprendre aux magistrats les dessous de la cabale dont-il fait l’objet, et qui, en réalité, visait, soutenait-il, l’Etat algérien. Une procédure qui va durer douze longues années, avant qu’elle ne se termine au mois de septembre dernier, avec son renvoi pour un procès prévu en juin 2024.

Dans une déclaration faite quelques jours seulement avant sa mort, le défunt refusait de prendre part à un tel jugement. Il explique le pourquoi. «J’ai été, j’en suis profondément convaincu, victime d’un règlement de comptes politique de la part de mes accusateurs. En ma personne, c’était l’homme tenu pour responsable de l’échec du FIS qui était visé.

De fait, la lutte contre le terrorisme islamiste ne s’est pas arrêtée en janvier 1994, date de la fin de mission du HCE et des fonctions que j’ai eues l’honneur d’assumer pour l’Etat algérien. Et de nombreuses personnalités algériennes impliquées dans cette lutte se sont trouvées en Suisse à un moment ou à un autre. Aucune d’elle n’a jamais été inquiétée ni par TRIAL ni par un quelconque militant islamiste. Le ministère public de la Confédération a pourtant poursuivi son instruction à charge contre moi.

Conformément à mon engagement, je ne me suis pas dérobé. Je me suis présenté aux audiences auxquelles j’ai été convoqué (...) parce qu’il m’était difficile de croire que la justice d’un grand pays démocratique puisse se laisser manipuler au point de se prêter à l’entreprise de vengeance qui me visait (…)

Dès le début de l’instruction, je n’ai reconnu aucune compétence à une justice étrangère de connaître de nos torts ou de nos raisons, considérant que si je devais rendre des comptes, ce ne pouvait être qu’à la justice de mon pays, devant laquelle je dirai que j’ai agi selon ma conscience en barrant la route à l’intégrisme, que j’assume mes actes et que j’agirais de la même manière si c’était à refaire.

Pourtant, je me suis fait un devoir d’être présent et debout pour affronter mes accusateurs (...) Je ne me suis pas dérobé parce que je ne pouvais tolérer que mes compagnons d’armes soient accusés d’être des massacreurs du peuple et des tortionnaires».

Pour Nezzar, l’instruction «à charge (…) se basait sur «un rapport rédigé par la Police judiciaire fédérale, dont les prétendues «sources» étaient des publications parues en ligne, émanant d’ONG activement engagées dans la réhabilitation du FIS et le procès de l’Etat algérien (…) Ce rapport affirme qu’«il est incontesté que l’Etat algérien a massivement usé de violences contre les civils lors de la guerre civile des années 1990».

Et que «l’Etat algérien était institutionnalisé dans la guerre civile de 1992 à 1999 et commettait systématiquement des crimes d’envergure massive» (…)

«Ce n’était plus Khaled Nezzar qui était visé, mais le ministre de la Défense et membre du HCE confondu, ès qualités, avec l’Etat algérien qui se trouvait de ce fait directement incriminé». En 2015, a-t-il ajouté : «La commission rogatoire délivrée à notre pays et  rédigée dans des termes attentatoires à la dignité et à la souveraineté de l’Algérie, est retournée par le gouvernement algérien sans être exécutée».

Quelque temps après, «le tribunal prononce une ordonnance de classement au motif que les troubles à l’ordre public qu’avait connus l’Algérie entre 1991 et 1994 n’étaient pas un conflit armé non international, et qu’en conséquence, le ministère public ne pouvait mener une instruction pour crimes de guerre.

L’ordonnance a été cassée par la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral de Bellinzone, dans une décision du 30 mai 2018 (...) J’ai compris que la justice suisse m’avait déjà condamné par anticipation et que la suite de l’instruction n’était plus qu’une formalité». 

«Complicité»

Nezzar a relevé par ailleurs que dans cette décision «les groupuscules armés – les sinistres GIA – étaient décrits comme ‘‘une armée belligérante, occupant des parties du territoire algérien et l’administrant’’, ce qui, pour lui, accrédite la thèse de la ‘‘guerre civile’’ accréditait celle qui faisait de ces atrocités, dont l’histoire a peu d’exemples, l’œuvre de l’armée et des services de sécurité algériens».

Il a ajouté que dès février 2022, «les charges qui me visent, en ma double qualité de ministre de la Défense et de membre du HCE, sont devenues la «complicité» dans la commission de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Cette «complicité» était un développement inattendu. Jusque-là, j’étais implicitement présumé «auteur principal» des faits allégués par les plaignants  sans aucune preuve (...)».

Après avoir évoqué tous les détails de cette instruction, Nezzar a affirmé : «Je déclare publiquement que je ne suis plus concerné par ce que ces juges partisans, aveugles et sourds, concluent ou décident. Je ne cautionnerai pas par ma présence le procès politique que la justice suisse a décidé de tenir. J’ai instruit mes avocats de ne pas m’y représenter. Je ne serai jamais l’alibi commode qui permettra de salir l’Algérie, son Etat et son armée».

La lettre a été écrite avant même que le tribunal n’annonce  le renvoi de l’affaire pour un procès, qui finalement n’aura pas lieu. Homme de principes, l’ancien ministre de la Défense s’est retrouvé poursuivi par le tribunal militaire de Blida et condamné en 2019 à une lourde peine de prison, par contumace, pour avoir critiqué avec virulence, le défunt vice-ministre de la Défense, Ahmed Gaid Salah.

Plus d’une année après son exil forcé en Espagne, il est rentré à Alger vers  la mi-décembre 2020, pour solder les deux affaires pendantes au tribunal militaire de Blida, pour lesquelles, deux mandats d’arrêt internationaux avaient été lancés à son encontre. Beaucoup le voient comme un homme d’engagement, non seulement en tant que chef d’état-major de l’Anp, mais aussi en tant que ministre de la Défense.

Certains le considèrent comme le sauveur de la République, un rôle qu’il a toujours assumé malgré son retrait de la scène publique depuis de très longues années. Un rôle qui restera en travers la gorge de ceux  qui voulaient prendre le pouvoir, par les urnes ou par la kalachnikov et qui continuent, à se jour, de lui en vouloir et de voir en lui l’ennemi à abattre. 
 

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