La grande partie des extensions est réalisée de manière improvisée sans aucun accompagnement d’équipements élémentaires. Plus de 1500 milliards de centimes ont été dépensés dans l’aménagement du chef-lieu de wilaya, mais le constat est toujours lamentable.
La problématique de l’urbanisation des villes se pose toujours avec acuité dans la wilaya de Tizi Ouzou. Le désordre et l’anarchie prennent des proportions surtout avec la progression constante des surfaces urbanisées à la périphérie de la ville.
Plusieurs conséquences peuvent y être associées si une bonne gestion de l’espace fait défaut. Ainsi, aujourd’hui, rendre cette ville durable et agréable à vivre est l’un des grands chantiers auxquels une action plurielle est nécessaire.
L’amélioration du cadre et des conditions de vie dans ce milieu urbain constitue l’enjeu capital pour mettre fin à la galère des citoyens qui font face à d’énormes problèmes liés, notamment, à la mauvaise planification (étude et suivi) et réalisation des programmes de viabilisation et d’aménagement. Souvent, les routes sont délabrées, les caniveaux et autres conduites d’évacuation des eaux sont bouchés quelques mois après leur réalisation.
Dans certains endroits, il est vraiment difficile, aussi bien pour les piétons que pour les automobilistes, de circuler, surtout en période de pluies.
Les lieux deviennent de véritables bourbiers. Des inondations partout à la moindre averse. «Au plan économique, la ville, comme fabrique urbaine de production et de consommation, est le produit d’un processus latent et inachevé», souligne le Dr Aïssa Oumohand, consultant en management des politiques publiques.
Il est intervenu lors d’un séminaire sous le thème «Les villes algériennes face aux enjeux du développement durable : quelles transformations dans la fabrique urbaine ?» qui a eu lieu à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. La gestion de l’espace est conditionnée ainsi par une multitude de stratégies et d’actions susceptibles de rendre la ville accessible à tous.
Désordre urbanistique et architectural
La préparation de la densité d’une cité en fonction des normes urbaines, tout en veillant sur la qualité architecturale, la hauteur des bâtiments, leur disposition et la proportion d’espaces verts et les accès, nécessite un travail en amont.
Le cas Tizi Ouzou est illustratif à plus d’un titre, si l’on se réfère à la manière dont l’extension du tissu urbain s’est accélérée, ces trois dernières décennies («Nouvelle Ville», «Ville Nouvelle» de Oued Falli, des coopératives immobilières, des constructions inachevées…). Ce chef-lieu de wilaya est carrément défiguré dans plusieurs cités où les normes de construction font cruellement défaut.
Il n’y a même pas d’organisation générale des bâtiments et des espaces extérieurs (hauteurs, façades, toitures, limites entre les espaces privés, espaces collectifs et espaces publics, circulations) surtout dans des lotissements où des immeubles à plusieurs étages poussent comme des champignons sans aucune perspective de viabilisation.
L’évolution est faite sans aucune véritable stratégie d’urbanisation dans la mesure où la grande partie des extensions est réalisée de manière spontanée sans aucun accompagnement d’équipements élémentaires. Sans aucun suivi régulier et permanent.
Il y a même des immeubles construits sans raccordement au réseau d’assainissement, ce qui présente une menace pour la santé des riverains. «Des réserves foncières publiques construites, des trottoirs squattés, des immeubles inachevés...
Pratiquement, aucune zone d’habitat, aucun quartier, aucune cité et aucune zone d’extension urbaine n’est épargnée par ce phénomène. Les autorités doivent faire respecter les lois de la République», fulmine un citoyen habitant au lotissement Bouzar, à la Nouvelle Ville de Tizi Ouzou.
On parle souvent d’un dysfonctionnement dans l’application des instruments d’urbanisme, mais des responsables estiment que certains PDAU et POS ont été réalisés sans tenir compte des spécificités de la ville et des perspectives de croissance des agglomérations et des grands centres urbains.
L’absence de contrôle a engendré, en quelques années seulement, un désordre urbanistique et architectural sans précédent. La forte concentration dans ce lotissement a créé une «bidonvilisation» des quartiers.
La congestion du centre-ville s’aggrave
Le centre-ville de la capitale du Djurdjura est aussi saturé. La grande mobilité des citoyens le rend très étouffant. Les programmes débloqués par l’Etat pour l’amélioration urbaine n’ont pas vraiment contribué à la réhabilitation de l’image de plusieurs cités.
Ces opérations n’ont pas eu l’effet escompté. Plus de 1500 milliards de centimes ont été dépensés dans des projets d’aménagement du chef-lieu de wilaya, ces dix dernières années. Le constat est lamentable quand on voit aujourd’hui la situation qui affecte pratiquement tous les maillons de l’aménagement et de la construction.
«Le chef-lieu de wilaya concentre toute la gamme de fonctions urbaines : économique, administrative, politique, universitaire, culturelle ; elle a une place parmi les villes moyennes : son aire d’influence représente un poids démographique remarquable.
Elle souffre de plusieurs carences, comme la congestion du centre-ville et l’engorgement au niveau des principaux carrefours de la ville, comme l’absence quasi totale d’une signalisation horizontale et verticale adéquate, concentration des édifices publics et des infrastructures sociales au centre-ville. Tizi Ouzou est marquée par une intense mobilité quotidienne.
L’extension récente de la ville des Genêts a rendu les déplacements difficiles», a fait remarquer l’enseignante universitaire Akkache-Maacha Dehbia qui préconise, entre autres, la construction de parkings hors centre-ville pour désengorger le chef-lieu de wilaya. Il est vrai que des projets de ce genre avaient été annoncés, il y a des années, par des responsables locaux, mais leur concrétisation demeure toujours chimérique.
La construction d’un grand parking de 1500 places d’une tour d’affaires de 30 étages, d’une hauteur de 150 m, prévus au niveau de la capitale du Djurdjura est devenue utopique.
Et pourtant, d’anciens walis n’avaient pas cessé d’évoquer, à chaque occasion, ces programmes tout en promettant monts et merveilles. «Il y a le projet d’un train urbain qui reliera Oued Aïssi à Draâ Ben Khedda via le centre-ville», avait même déclaré, à maintes reprises, en 2012, le wali de l’époque.
Des promesses exagérées et trompeuses. Mais pas seulement. Aussi, même si des efforts ont été faits dans ce secteur, le problème de la collecte des déchets freine considérablement le développement de la ville. Tizi Ouzou dispose d’un seul CET (centre d’enfouissement technique) de Oued Falli, qui est saturé.
Il va prochainement connaître le lancement des travaux pour son extension, annonce-t-on. Il est important de savoir que ce CET constitue le réceptacle des déchets ménagers de 27 communes, avec plus de 400 tonnes/jour.
Sur ce volet, Dr Nadia Dorbane de la faculté d’économie de l’UMMTO estime : «L’évolution démographique, la croissance urbaine mal maîtrisée et les mutations des modes de vie, dans les pays en développement, sont sources de nombreux défis environnementaux. C’est dans ce contexte qu’est inscrit le concept des villes durables qui ambitionnent d’apporter des solutions viables aux besoins croissants des milieux urbains et aux défis qu’ils posent.»
Absence de solutions viables dans la gestion des déchets
«Dans cette optique, la problématique consiste à trouver un équilibre entre la croissance urbaine et la protection de l’environnement en faisant appel à des solutions urbanistiques innovantes, appropriées et durables», a-t-elle expliqué, tout en soulignant que la gestion des déchets est un excellent indicateur des relations qu’entretiennent les villes avec leur environnement naturel.
Le ramassage des ordures demeure toujours un problème majeur auquel sont confrontées les collectivités. Farida Ferkoul, maître de conférences à l’Ecole supérieure de commerce de Koléa, plaide pour une économie circulaire, pour une durabilité des ressources.
Elle précise, en outre, que toutes les villes algériennes connaissent un processus d’urbanisation accéléré provoqué par la forte croissance démographique et les bouleversements économiques, sociaux et politiques.
Selon elle, ces derniers ont un impact direct sur l’augmentation constante du volume des déchets ménagers produits quotidiennement. «Ces problèmes, communs à toutes les villes algériennes, se caractérisent par une urbanisation non maîtrisée.
Aujourd’hui, les moyens matériels et humains des services publics n’arrivent pas à prendre en charge de manière efficace la gestion (transport, collecte, élimination...) des déchets dont la quantité quotidienne produite par habitant est d’environ 0,80 kg/personne/jour», a-t-elle relevé.
Le Dr Arezki Akerkar, enseignant à l’université Abderrahmane Mira de Béjaïa, estime que la coopération décentralisée dans le domaine de l’hygiène peut propulser des dynamiques d’amélioration urbaine et sociale dans les villes.
Il cite le cas spécifique du partenariat franco-algérien, entre les villes de Mulhouse et d’El Khroub. «Cette coopération dégage des perspectives qui montreraient les potentialités créatrices de ce processus collectif qui se construit sur la base de négociation de transactions sociales entre ces acteurs, dans une démarche réflexive qui combine la prise de distance et la prise de conscience des compétences sur les territoires», précise le même chercheur. Par ailleurs, l’emploi est également un facteur fondamental dans les stratégies de gestion en milieu urbain.
Le Dr Mohammed Kheznadji, maître de conférences à l’UMMTO, explique, pour sa part, que l’emploi est une question essentielle pour le développement socio-économique des villes.
Il s’agit, en effet, de l’un des facteurs des flux vers les villes, surtout lorsqu’on sait que plusieurs communes de Tizi Ouzou sont déshéritées, elles ne présentent pas de perspective d’insertion professionnelle. «La ville offre une multitude d’opportunités d’emploi, mais présente également des défis en termes de concurrence, de diversité des emplois et de conditions de travail.
Les défis majeurs liés à l’emploi dans les milieux urbains sont nombreux, nous pouvons citer le chômage urbain, les inégalités socioéconomiques, la répartition spatiale de l’emploi, l’emploi informel, l’employabilité, la transition numérique, la migration liée au travail…», a-t-il fait remarquer.
En somme, revoir de fond en comble tous les aspects liés à l’urbanisation du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou s’avère inéluctable pour en faire une ville durable et désirable.