L’ancien ambassadeur de France en Algérie, Bernard Bajolet, devant la justice : Une affaire qui éclabousse les renseignements français

25/01/2025 mis à jour: 15:23
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Photo : D. R.

L’ancien directeur de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Bernard Bajolet, ancien ambassadeur de France en Algérie de 2006 à 2008, sera jugé les 6 et 7 novembre devant le tribunal correctionnel de Bobigny. Il est accusé de «complicité de tentative d’extorsion» et «d’atteinte arbitraire à la liberté individuelle» dans une affaire mêlant les service de renseignements français à l’homme d’affaires franco-suisse Alain Duménil.

Cette affaire, révélée par l’AFP et largement relayée par les médias, met en lumière les pratiques controversées de la DGSE et soulève des questions sur l’utilisation des prérogatives des services de renseignement à des fins contestées.

Selon les médias français, en mars 2016, Alain Duménil, déjà impliqué dans de nombreuses affaires judiciaires, est interpellé à l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle. Alors qu’il s’apprête à embarquer pour Genève, il est conduit par deux agents de la police aux frontières dans un local de l’aéroport. Là, il est confronté à deux agents de la DGSE en civil qui se présentent comme «l’Etat».

Selon les accusations d’Alain Duménil, les agents lui demandent de rembourser 15 millions d’euros à la France. Pour appuyer leur demande, ils exhibent des photos de sa famille prises en Suisse et en Angleterre. Duménil affirme également avoir subi des menaces, ce qui l’a conduit à porter plainte.

Les agents, dont l’identité n’a jamais été révélée, disparaissent peu après l’incident. Selon l’ordonnance de la juge d’instruction, datée du 23 octobre 2024 et citée par l’AFP, Bernard Bajolet aurait validé le principe de cette intervention en connaissant les conditions coercitives dans lesquelles elle se déroulerait.

Patrimoine échappant à tout contrôle

La magistrate estime que «ces actions étaient de nature à exercer des pressions sur l’homme d’affaires, caractérisant ainsi une tentative d’extorsion». L’ancien chef de la DGSE, en poste de 2013 à 2017, avait été mis en examen en octobre 2022. Lors de son interrogatoire, il a toutefois nié avoir donné des instructions précises sur le déroulement de l’entrevue.

Selon lui, il s’agissait d’un simple «contact informel» sans intention coercitive. Cette confrontation entre la DGSE et Alain Duménil prend sa source dans un litige vieux de deux décennies. Depuis l’après-Première Guerre mondiale, la DGSE gère un patrimoine privé destiné à préserver l’indépendance de l’Etat français en cas de crise majeure.

Ce patrimoine, bien que légal, échappe à tout contrôle et a parfois été à l’origine d’opérations douteuses. Dans les années 1990, des investissements infructueux de la DGSE dans une société ont conduit à des relations financières complexes avec Alain Duménil. Ces transactions se sont soldées par une liquidation judiciaire, et Duménil a été mis en examen pour banqueroute.

La DGSE estime aujourd’hui que Duménil lui doit 15 millions d’euros, incluant des intérêts. Cette affaire dépasse le seul cadre des responsabilités de Bernard Bajolet. Selon les avocats d’Alain Duménil, William Bourdon et Nicolas Huc-Morel, ce procès est «celui de la DGSE et du dévoiement de ses missions à des fins privées».

Ils dénoncent une tentative de transformer Duménil en bouc émissaire pour les erreurs de gestion de l’agence. Ce scandale éclate alors que les relations franco-algériennes traversent une période de tensions. Xavier Driencourt, un autre ancien ambassadeur de France en Algérie 2008-2012 et 2017-2020, attise régulièrement la crise par ses déclarations polémiques.

Lui-même impliqué dans un scandale financier lié à la vente d’un terrain à El Biar (Alger) sur lequel est bâtie une villa à Réda Kouninef, figure du régime corrompu algérien, Driencourt est critiqué pour son rôle dans cette affaire pour avoir été l’auteur d’une transaction qualifiée de «frauduleuse». Bernard Bajolet, qui a également été ambassadeur en Algérie, se retrouve aujourd’hui dans une position similaire, symbolisant les failles d’une diplomatie et d’un appareil d’Etat qui peinent à maintenir une posture irréprochable.    
 

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