Les prix du mouton ont encore augmenté cette année pour devenir hors de portée des classes moyennes.
En fait, à plus ou moins 2500 DA le kilo, cela fait déjà bien longtemps que ce sympathique et paisible ruminant ne fait plus bouillir la marmite de la majorité des Algériens qui ont dû se rabattre, à contrecœur, sur la viande fade d’un poulet objet de toutes les spéculations.
Pourtant, l’Algérie, pays de vastes steppes et d’immenses hauts plateaux, est la patrie du mouton par excellence. Et ce depuis la plus haute Antiquité, comme le prouvent les gravures holocènes de l’Atlas saharien et tellien central, la plus connue étant celle du bélier orné et de son maître berger découverte sur le site de Bou Alem, dans les monts des Ksour.
L’élevage et le pastoralisme datent du néolithique et nos ancêtres élèvent des moutons, élevés à un rang quasiment divin, depuis cette époque lointaine où les chasseurs cueilleurs se sont sédentarisés pour devenir agriculteurs.
Entre l’Algérien et le mouton, c’est une très vieille histoire d’amour. Le mouton a toujours accompagné nos aïeux, pour les nourrir de viande et de lait, pour les vêtir de laine et de cuir et pour fertiliser leurs champs et leurs cultures de son fumier béni des dieux. Depuis l’indépendance, bon an mal an, le cheptel ovin est estimé aux alentours de 20 millions de têtes.
Pourtant, malgré cette relative abondance, le mouton est devenu un luxe réservé aux plus riches. Qu’on le veuille ou non, c’est une pan important de l’économie agropastorale qui s’affaisse et une partie de notre patrimoine culinaire qui s’en va, car une chorba ou un couscous sans viande d'agneau ou de mouton, ce n’est déjà plus l’Algérie. Mais comment diable en est-on arrivé là ?
Au-delà du fait que tout augmente dans un contexte d’inflation galopante qui entraîne sans cesse le pouvoir d’achat des Algériens vers le bas, les mêmes polémiques resurgissent à chaque fête du Sacrifice d’Abraham. On va encore accuser la sécheresse, les intermédiaires, les spéculateurs, les éleveurs, les revendeurs et que sait-on encore.
On va encore trouver des faux-fuyants pour ne pas reconnaître que la filière ovine en Algérie est complètement délaissée, abandonnée et sinistrée. Qu’elle se trouve entre les mains de gros bonnets affairistes et intermédiaires qui régulent le marché comme bon leur semble. Que l’Etat a des difficultés à stabiliser la situation. Et que, comme beaucoup de produits à forte valeur ajoutée, les moutons algériens font toujours l’objet de contrebandes par-delà les frontières.
Pendant et après l’Aïd, on va encore parler du spectacle désolant de villes algériennes transformées en écuries malodorantes, des trottoirs squattés par les revendeurs de paille au kilo, d’artisans affûtant des couteaux, des moutons qui bêlent du balcon du 8e étage au milieu des cités AADL, ensuite, le jour du sacrifice et le lendemain, on va aborder le sujet des mares de sang d’animaux sacrifiés au bas des immeubles, des milliers de peaux puantes que doivent ramasser les éboueurs et ainsi va la vie.
Ainsi, dans toute cette affaire, le mouton, cette éternelle victime sacrificielle, n’est pas toujours la bête à cornes que l’on connaît. C’est presque toujours le pauvre consommateur.