L’agriculture saharienne à In Salah en plein essor : Nadjem Toukhtoukh, un défenseur acharné de la culture du palmier et du blé zembou

05/11/2023 mis à jour: 06:58
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Mohamed Nadjem Toukhtoukh, 40 ans, magistère en sociologie du savoir, adore partager ses expérimentations agricoles avec les autres. Il  prône une agriculture oasienne moderne et raisonnée autour du palmier dattier et des semences paysannes locales qu’il produit lui-même et propose à la vente chaque samedi. 

Dans son étal au marché hebdomadaire d’In Salah, et via les réseaux sociaux, il donne rendez-vous aux agriculteurs et amateurs de jardinage pour leur proposer des semences authentiques du tidikelt, mais aussi du henné, du moringa, du quinoa et bien d’autres produits de sa palmeraie. 

Ses objectifs : donner un nouveau souffle à la culture oasienne avec le plus grand nombre de jeunes de sa région, constituer un collectif ancré dans le terroir tidikeltien, moderniser et labelliser les primeurs de dattes et de blé et diffuser le savoir-faire ancestral pour lutter contre les changements climatiques. 

Mohammed appelle ses concitoyens à investir dans la palmeraie et défendre les semences paysannes de la région afin de favoriser une relance de la biodiversité et assurer une autonomie à leurs familles. «J’ai passé énormément de temps à observer et mimer mon père et mes oncles, et je participais avec mes frères et mes cousins au travail depuis les premiers coups de pelle.

 Donc j’ai pu, avec le temps, comprendre les failles et réfléchir à des solutions pour motiver les autres à s’intéresser à la revivification de la palmeraie», dit -il. «La voie vers le changement passe à travers la capitalisation des expériences de nos parents et l’usage des nouveaux moyens de communication.» 
 

Transformer l’oasis en projet économique durable

C’est à travers les réseaux sociaux que Mohamed raconte sa vie quotidienne dans les champs de l’oasis d’El Maleh. Un fil rouge dans ses publications qui lui attire chaque jour des dizaines de nouveaux abonnés, la datte locale, le blé zembou dans tous ses états et les différentes semences et produits récoltés à Sahla Gharbiya, une plaine qui porte bien son nom et dont s’inspire Mohamed pour transmettre son message. Raconter ses histoires est la chose la plus puissante que fait Mohamed pour faire connaitre sa cause. «J’ai initié une campagne de sensibilisation focalisée sur la datte agaz, parce que j’ai constaté une ignorance totale et une méconnaissance des dattes d’In Salah au nord du pays ; ce sont pourtant les primeurs de dattes les plus précoces d’Algérie, un label à lui seul. 

Les gens sont très curieux et assoiffés des moindres détails», explique-t-il, surtout concernant le début de la saison de cueillette, des questions du genre est-il vrai que les dattes mûrissent en juin à In Salah ? Les variétés importantes trouvées à Ain Salah sont-elles des variétés qui concurrencent les multiples dattes d’El Oued et sont-elles bonnes pour la commercialisation et le stockage ? Et d’ajouter : «J’ai donc commencé, il y a deux ans, à présenter nos dattes locales en me concentrant sur la variété agaz, qui est pratique pour le stockage et la commercialisation et qui résiste au transport.» Ayant constaté que la majorité de ses abonnés sur les réseaux sociaux et les pages d’In Salah voulait voir et gouter ses dattes, un circuit de vente a été constitué dans les gares routières, d’où l’envoi vers les villes du Nord a vite été instauré. 

Il existe actuellement, un groupe de commerçants qui commercialisent exclusivement Agaz à Adrar, Ghardaïa, Ouargla, Béchar et Tamanrasset, fait-il savoir. L’objectif national de la campagne est atteint et beaucoup de consommateurs savent à présent qu’ils peuvent manger des dattes algériennes fraîches à partir du 5 juin jusqu’à fin octobre sachant que certaines variétés peuvent être retardées jusqu’à  fin novembre. Selon Mohamed, la demande augmente, ce qui encourage les agriculteurs à planter davantage de palmiers, motive les marchands de dattes et surtout incite les jeunes à investir le monde de la phœniciculture. 

De petits projets ont été lancés dans le domaine de la transformation et la conservation des dattes locales avec de belles initiatives familiales touchant à la conservation, la commercialisation et la transformation des dattes, ainsi, de belles opportunités d’emploi ont été créées grâce à cette campagne. Mohammed a lui-même expérimenté l’e-commerce avec l’avènement des boîtes de livraison express. «J’ai constaté une énorme demande de produits locaux et de nombreuses commandes, sans le refus des agences de messagerie de livrer les dattes par crainte de détérioration, les dattes seraient facilement parvenues aux 58 wilayas, car tous les Algériens sont désireux de goûter les produits de la terre d’In Salah. C’est une aubaine». 
 

 

E-commerce et réseaux sociaux 

Face à la réticence de certaines sociétés de messagerie à livrer des dattes fraîches, l’engouement des grossistes et des commerçants est grandissant, d’après Mohamed, surtout pour les produits à maturation précoce, ce qui a poussé de nombreux agriculteurs à étendre les surfaces cultivées pour assurer une production précoce très demandée sur le marché national. Administrateur le matin et agriculteur et chef d’exploitation le soir, il cultive ses cinq hectares de palmeraie auxquels il consacre la majeure partie de son temps, en dehors des heures ouvrables de la journée où il exerce au centre culturel d’In Salah. Titulaire d’un magistère en sociologie du savoir, Mohamed tire profit du savoir-faire de son père qui est membre d’une association active constituée de dix-neuf membres qui étaient tous voisins et avaient des liens familiaux, exploitant cinq hectares chacun depuis 1998 dans un périmètre agricole créé en 1995 dans le cadre du programme d’accession à la propriété agricole APFA. 

L’abondance du périmètre d’El Maleh lui a valu l’affluence de jeunes agriculteurs attirés par cette zone agricole fertile bien positionnée par rapport aux villages environnant et au chef-lieu de la daïra d’In Salah devenue une wilaya entre temps. Mohamed explique que son père avait bénéficié d’un soutien de l’Etat pour la mise en valeur du premier hectare, le reste de la superficie a été planté sur les fonds propres de la famille avec pour objectif celui de planter des palmiers dattiers avec un panel variétal répondant aux critères de consommation locale et d’autres destinés à la vente sous la forme de dattes séchées dans le cadre des échanges commerciaux avec les pays frontaliers et le Soudan. Ainsi, agaz, la reine des dattes du Tidikelt prédomine dans la palmeraie familiale des Toukhtoukh, suivie de tinassar, taqarboucht, tagaza, ghars et hartan.

Ces variétés sont les plus prisées avec une bonne valeur marchande sur le marché algérien et à l’étranger. Certaines sont commercialisées fraîches, d’autres sont commercialisées molles, tandis que d'autres sont transformées ou encore séchées. D’après Mohamed, ses conversations et interactions avec des agriculteurs séniors lui ont permis de répertorier plus de 240 variétés de dattes dans les oasis d’In Salah, dont certaines n’ont pas de nom connu. 

Depuis la création de l’Association des agriculteurs d’El Malleh, son président organise la collecte des primeurs de dattes sur demande préalable des marchands de dattes de Ghardaïa, le reste est écoulé par les agriculteurs sur le marché local. Les dattes séchées sont également collectées et suivent trois destinations, les dattes tinassar, destinées aux commerçants du Sahel et des pays africains, le gros du panel variétal est quant à lui écoulé à Adrar notamment les variétés rouges prisées là-bas ainsi que les dattes mixtes et les variétés communes qui sont souvent proposées aux grossistes de dattes venant d’Adrar.

 

 

Les raisons d’un combat  

Les aspirations de Mohamed pour l’agriculture à In Salah sont nombreuses, il se bat pour un retour en force à la culture du palmier et le blé zembou. Premier objectif assigné, la labellisation d’une production agricole authentique s’inscrivant à l’avant-saison au niveau national, voire international, d’où sa valeur ajoutée. «Nous sommes impatients d’investir dans le domaine du palmier dattier local, et nous voulons nous concentrer sur lui en particulier ; nous aspirons à créer de nouvelles zones agricoles, des zones adaptées à l’agriculture et équipées en électricité, car la plupart des zones actuellement disponibles sont réservées et exploitées». Mohamed affirme qu’il existe de nombreux dossiers déposés par des jeunes auprès de la mairie et des services agricoles en attente d’étude, qui savent qu’In Salah est le pays des palmiers et du blé de terroir et veulent le maintenir.

 Il espère que son action, qui donne un exemple concret de réussite, apportera des solutions positives aux problèmes liés à l’abandon de l’ancienne palmeraie et la déperdition du savoir-faire en amplifiant les connaissances anciennes dans le maintien de la biodiversité oasienne et la lutte douce et engagée contre le changement climatique. 

Les raisons de son combat, un amour indéfectible de la terre et une conviction par rapport à la valeur de ce que les agriculteurs d’In Salah portent entre leurs mains un trésor caché. S’intéresser à l'agriculture de manière réfléchie et organisée et bénéficier d’orientations et de formations agricoles est, selon lui, la réponse idoine à la négligence de l’ancienne palmeraie d’In Salah et la focalisation sur d’autres cultures qui n’a pas réussi à anéantir la production dont la qualité reste acceptable, mais qui gagnerait, selon les spécialistes, à profiter des méthodes et techniques modernes. 

Les anciennes connaissances et pratiques liées au partage de l’eau dans le Tidikelt et le Gourara, l’ingénieuse foggara, est en effet un savoir-faire reconnu par l’Unesco. L’idée serait de le protéger afin de préserver l’agriculture locale, le mode de vie et restaurer l’écosystème oasien vulnérable à In Salah. 

Pendant de longues années, des cimetières de palmiers étaient visibles autour d’In Salah ou les communautés locales semblaient avoir besoin des lumières d’un chercheur en sociologie du savoir pour appliquer ses connaissances scientifiques à la réalité locale, documenter les progrès via les réseaux sociaux et faire des primeurs d’In Salah un projet de label agricole national et pourquoi pas international. 

 

Reportage réalisé par   Houria Alioua 

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