Fiha oualla mafihach ?, telle est la question posée à un moment par le protagoniste de la nouvelle pièce de Mohamd Adar intitulée El bahthân el haouiya (A la recherche de l’identité) produite par la coopérative Boudour et dont la générale vient d’être présentée jeudi au théâtre régional d’Oran (TRO).
Une dimension shakespearienne caractérise de prime abord le héros (rôle campé par Fethi Chouti) de cette intrigue, dont la naissance est annoncée avec fracas et qui va connaître un destin hors du commun, malgré une tare originelle, celle de ne pas porter de nom, pour la simple raison que les deux clans formant sa famille, côté mère et côté père, ne sont pas arrivés à s’entendre. Yajouz aw la yajouz ?, est une autre question posée dans le récit pour expliquer l’origine de la mésentente mais celle-ci est connotée politiquement en renvoyant à un réel vécu en Algérie.
Ceci d’autant plus que la narration laisse entendre explicitement que notre héros est apparu lors d’une période trouble marquée par des conflits divers. Le décor est planté de façon à entretenir un sentiment de déroute en ne sachant pas s’il y a ou pas un lien avec l’Histoire. Le fait est d’autant plus accrochant, qu’en fonction de l’angle de vue qu’on adopte, même le titre peut mener à contre-pied en fonction du sens qu’on met sur le terme «El haouiya» (L’identité).
Le personnage principal qu’on a par ailleurs forcé à venir au monde n’est pas en quête de ses origines (ses parents sont bien mis en évidence sur scène), mais il est juste révolté par le fait qu’on ne lui ait pas attribué un nom.
Pour comprendre les choses, il faut d’abord les nommer. A défaut, on patauge, d’où le sentiment de déroute accentué par les décors physiques, dont principalement les deux panneaux portant l’un un grand point d’interrogation et l’autre un point d’exclamation.
Ce n’est également sans doute pas un hasard si ces signes de ponctuation sont confectionnés par des pans de journaux divers privilégiant ainsi certes l’écriture, mais élevant, en même temps, d’un cran la cacophonie ambiante.
La pièce est portée par deux comédiens qui, en tenant compte d’une scénographie figée, semblent évoluer dans un univers à deux dimensions. Quand un des comédiens quitte la scène d’un côté, l’autre fait instantanément son entrée du côté opposé.
Cet aspect de la mise en scène, répétitif et donc prédictible, évoque curieusement un aspect de la manière dont ont été conçus certains anciens jeux vidéos démocratisés durant les années 1990.
De là à voir un clin d’œil, la probabilité est très mince. Il est par contre des contraintes du monde réel qui influent sur la manière de concevoir un spectacle, y compris de théâtre.
Le second comédien (rôle confié à Redouane El Hak) interprète un personnage-prétexte tantôt assurant des répliques tantôt revêtant l’habit d’un narrateur. Notamment à Oran avec le regretté Abdelkader Alloula, cette façon de faire partager le récit entre plusieurs comédiens est bien connue et a fait les preuves de son efficacité. Mais dans la pièce qui nous intéresse, avec seulement deux comédiens, la tâche n’est pas aisée.
Les deux autres personnages pris en compte dans le récit et qui, eux, sont effectivement nommés, c’est-à-dire la mère Fettoum et le père Berragda ne sont représentés que par deux mannequins habillés et placés de part et d’autre de l’avant-scène.
Un paradoxe mais c’est sans doute lié au fait que ce soit le «marché» qui impose de réduire au minimum les éléments des troupes des coopératives professionnelles.
A défaut, dans le contexte actuel, elles ne s’en sortiraient pas. Quoi qu’il en soit, ces deux personnages figés comme des statues antiques apportent une dimension supplémentaire au spectacle qui, d’une certaine façon et au-delà de l’allégorie, pourrait tout aussi bien raconter symboliquement la naissance et le développement sinueux du théâtre algérien.
Un théâtre à la recherche d’une identité qui lui est propre, au-delà des lignes de fracture ou des positionnements et des revirements des uns et des autres.
Dans la nouvelle pièce de Mohamed Adar, les envolées lyriques et les thèmes tragiques sont entrecoupées de passages inspirés des gestuelles et expressions humoristiques populaires, sans doute nécessaires pour accrocher le public et c’était le cas lors de la générale.
Même dans le thème musical qui accompagne le récit, les fonds synthétiques sont entrecoupés de manière franche par des passages évoquant des pratiques traditionnelles comme «el gasba».
Le choix des costumes ne déroge pas à la règle avec la superposition des références passées et actuelles. Des oppositions synonymes d’hésitation permanente.