La normalisation, lamentable pari perdu

24/10/2023 mis à jour: 00:51
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Bien délicate est la position des pays ayant cédé à la tentation de normaliser les relations diplomatiques avec Israël. Depuis le déclenchement de l’escalade militaire en Palestine et la barbarie sans limite des attaques israéliennes sur Ghaza, les gouvernements arabes, ayant signé les accords d’Abraham avec Tel-Aviv, affichent profils bas devant des opinions nationales ouvertement hostiles au marché de dupes contracté avec Israël. 
 

Le président égyptien, qui s’apprête à briguer un autre mandat à la tête du pays, en sait quelque chose. Recevant le chancelier allemand, Olaf Scholz, au Caire, le 18 octobre, Abdel Fattah Al Sissi a eu beaucoup de difficultés à jouer l’équilibre entre sa position de  «normalisé» et le devoir de solidarité avec une population de Ghaza soumise à un siège moyenâgeux et un massacre collectif revendiqué par le «partenaire» israélien. «Déplacer les populations vers le Sinaï ne peut pas être la solution. Si les populations sont déplacées, la résistance le sera aussi. 

Les actes terroristes s’organiseront à partir du Sinaï, et Israël pourra revendiquer son droit à se défendre… L’Egypte est un grand pays qui a investi dans la paix depuis très longtemps, et c’est ce capital qui sera perdu si le plan de déplacement massif est appliqué», a laborieusement plaidé le président égyptien lors d’une conférence de presse conjointe avec son hôte.

 Il répondait, en l’occurrence, à une question relative aux intentions prêtées à Tel-Aviv de forcer les Ghazaouis à quitter leur territoire vers le sud, dessein sur lequel Tel-Aviv n’a pas pensé utile de consulter Le Caire. Jugée trop molle et trop en deçà d’exprimer un peu de la colère qui couve dans la rue égyptienne, la réponse vaut au Raïs une vague d’indignation d’une rare violence sur les réseaux sociaux dans le pays, malgré la chape de plomb imposée par le gouvernement. 
 

La boucherie de l’hôpital d’Al Ahli à Ghaza, la nuit du 17 octobre, est venue en rajouter au profond embarras ressenti au niveau institutionnel, aussi bien en Egypte que dans d’autres pays dont les gouvernements sont prêts à s’associer à des processus diplomatiques basés sur une condamnation formelle du Hamas, telle que conditionnée par Washington et Tel-Aviv. 

Prévu le 18 octobre à Amman, le sommet quadripartite, devant réunir le président américain, Joe Biden, avec le souverain hachémite, Abdallah II, Al Sissi et Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, a dû ainsi être annulé à la dernière minute sur demande des dirigeants arabes en signe de deuil et de protestation contre les massacres qui se poursuivaient dans l’enclave palestinienne. Il y a aussi que le maintien de la rencontre dans une atmosphère de choc et de consternation généralisée, avec un Biden assumant plus que jamais le rôle de parrain politique et militaire d’Israël, ne serait certainement pas passé sans conséquences politiques internes pour les trois dirigeants. 

Le Maroc, qui, depuis la fin 2020, se jette dans les bras de l’Etat hébreu et intensifie la cadence de la normalisation avec Tel-Aviv, n’est pas logé à meilleure enseigne. Les grandes manifestations de soutien à la cause palestinienne, qui ont secoué le week-end dernier la capitale Rabat et d’autres régions du royaume, ont été aussi celles de la dénonciation massive de la normalisation aventureuse conduite au pas de charge par Mohammed VI. 

Cette démarcation publique de la rue est telle, que le Palais a dû se fendre d’une déclaration s’élevant contre le massacre de civils pour ne pas trop dangereusement se retrouver en contradiction avec l’indignation populaire. L’attitude des autorités israéliennes, braquées exclusivement sur leurs parrains, partenaires et soutiens occidentaux, est l’autre humiliation infligée aux adeptes de la normalisation dans la sphère arabe. 

Tel-Aviv agit et revendique ouvertement de le faire selon ce que préconisent ses cabinets politiques et militaires sans égard aucun à ses engagements diplomatiques dans le cadre des accords bilatéraux avec les pays concernés. Bien plus, la normalisation semble avoir renforcé sa conviction que la cause palestinienne n’est plus l’affaire que de quelques millions de Palestiniens qu’il faut bombarder, affamer et chasser de ce qui leur reste comme territoire.

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