La non écriture de l’histoire de la révolution de novembre 54 : Un reniement des chouhada ! (1re partie)

11/07/2023 mis à jour: 03:58
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Nous venons de célébrer la journée du 05 Juillet 1962, fête de la Libération, qui consacre un épisode majeur de la glorieuse Révolution de novembre 54, représenté par la victoire finale du FLN et le recouvrement de l’indépendance et de la souveraineté nationale.

Cette escale sur cet épisode glorieux de la guerre de Libération nous inspire pour esquisser la rédaction de cette modeste contribution pour exprimer un regret et clamer que la non écriture de l’histoire de la révolution de novembre 54 constitue un reniement des chouhada !

Beaucoup parmi nous connaissent les raisons, profondes ou moins évidentes, qui ont entravé, depuis l’instauration de l’Etat algérien indépendant, une écriture authentique des événements et des hauts faits d’armes qui ont parsemé les sept années et demie d’une guerre effroyable qui a meurtri le peuple algérien au triple plan matériel, physique et psychologique.

Pour le peuple algérien, les souffrances ou les pertes qu’il a subies aux plans matériel et physique se comptent en sacrifices qu’il devait consentir pour se libérer du joug colonial. L’aspect psychologique des meurtrissures qu’ont subies les enfants du peuple algérien est plus difficile à compter et encore moins à compenser.

Parmi ces meurtrissures, figure en première place, celle engendrée par l’inexistence d’un centre d’intérêt autour des événements réels qui ont parsemé le cours de la glorieuse révolution de Novembre 54 et qui aurait permis, pour le moins :

- La constitution d’archives nationales sans manipulation aucune, tant le produit revêt une valeur historique, culturelle et civilisationnelle;

- L’ouverture du champ associatif et médiatique pour permettre aux acteurs réels de relater les faits et méfaits qui ont entouré le parcours difficile de la Révolution pendant sept années et demie de souffrance et d’endurance physiques et psychologiques.

Cette lacune a engendré des séquelles plus ou moins graves qui n’ont pas manqué d’ébranler la cohésion sociale qui s’en est ressentie dés le début de la première décennie qui a suivi la célébration euphorique de l’indépendance nationale, c’est-à- dire avec l’apparition des premiers reniements et marginalisations d’authentiques révolutionnaires et aussi des premières compromissions.

Et comme la nature a horreur du vide, le reniement des authentiques révolutionnaires a encouragé les moins authentiques à se valoriser davantage.

Cela, en ce qui concerne les survivants à l’horrible guerre. S’agissant des chouhada, ceux-là ne pouvaient être reniés, du moins globalement, puisque la patrie leur a voué une reconnaissance éternelle et collective pour servir la «légitimité révolutionnaire», un leitmotiv qui imprimera à la vie politique nationale, depuis l’indépendance du pays, un système de gouvernance monolithique dominé par l’absence d’une idéologie claire et l’instauration de la pensée unique, ce qui a différé la mise en place d’un système démocratique.

On peut juste regretter qu’ils n’aient pu apporter leur propre témoignage sur les épisodes et les faits d’armes les plus saillants de la Révolution dont ils ont été, à coup sûr, les artisans de la réussite. En leur absence donc, et comme les absents ont toujours tort, les récits et surtout les écrits sur les hauts faits d’armes de la guerre de Libération ont tari au cours de la première décennie qui a suivi le recouvrement de l’indépendance, c’est-à-dire à une époque où ils pouvaient être exploités de manière judicieuse, objective et correcte par la jeune génération post-indépendance, universitaires, journalistes, écrivains et historiens, même en herbe, qui disposaient, néanmoins, d’un double atout :

- ils ont été formés à l’école de l’ancien colonisateur et pouvaient donc aisément comprendre et exploiter les documents et archives liés tant à la colonisation du pays, qu’aux épopées des premières insurrections, au parcours du mouvement national et aux prémices du déclenchement de la révolution armée de Novembre 1954.

- ils ont été formés par l’école de la révolution elle-même, directement dans le militantisme, pour les plus âgés, ou pour l’avoir vécue et observée dans le contexte de la guerre et de la fitna généralisée, pour les moins âgés parmi eux.

Si nous nous sommes permis cette dernière réflexion, c’est pour signifier notre responsabilité ou plutôt notre irresponsabilité devant l’histoire d’avoir occulté notre devoir de sacraliser les événements ainsi que les épopées du dernier siècle que notre peuple a vécu sous une occupation étrangère et dont il s’est libéré en livrant un combat gigantesque et inégal contre le dernier colonisateur et qui a été ponctué par une «Révolution libératrice» tellement caractéristique, portée par l’engagement hors du commun de tout un peuple et par les exploits tout aussi remarquables, la bravoure et l’esprit de sacrifice incommensurable de ses acteurs directs, qu’elle a fini par être consacrée comme étant l’une des révolutions les plus extraordinaires des temps modernes.

Et nous avons été confortés dans cette réflexion pour avoir constaté amèrement que, au moins durant les deux premières décennies qui ont suivi le recouvrement de l’indépendance du pays, les rares ouvrages consacrés à la révolution algérienne ont été édités par des journalistes-écrivains français, dont le plus célèbre reste Monsieur Yves Courrière.

Monsieur Yves Courrière, à qui nous rendons hommage à l’occasion, a beaucoup écrit sur les péripéties et les épisodes de la guerre d’Algérie sur lesquels il a recueilli certaines informations, interviews et reportages dans les maquis et auprès des responsables politico-militaires français.

Mais, il reste tout de même curieux que ce dernier ne se soit pas intéressé de près à deux épisodes qui se sont déroulés en wilaya III historique et que nous connaissons le mieux :

1- l’opération «Oiseau bleu», un complot qui a été mis en œuvre par le SDECE (services secrets français) en 1955 et qui envisageait de détacher de la rébellion du FLN plusieurs centaines de Kabyles puis de les transformer en commandos clandestins, opérant avec des tenues et des armes analogues à celles de l’ALN, et de les charger de créer un véritable «contre-maquis» en Kabylie, baptisé «Opération Oiseau bleu» ou «Force K» (K pour «Kabyle»). Ce complot s’est soldé par un cuisant échec, mieux, par un total retournement puisqu’il permit d’approvisionner le FLN en armes, en hommes et en fonds monétaires.

Cette opération, longtemps tenue au secret, est encore largement ignorée des historiens et des opinions française et algérienne. Yves Courrière se vante d’être le premier à l’avoir révélée, mais ne l’a jamais cernée de manière satisfaisante, certainement empêché, tant le revers se comptabilisait au triple plan : politico- médiatique, de la stratégie militaire et du moral des troupes en présence dans le combat.

2- L’affaire dite des «massacres de Mellouza», qui s’est déroulée au printemps 1957 dont la tentative du pouvoir colonial de l’imputer à l’ALN, le bras armé du FLN, devant les instances internationales, s’est également soldée par un cuisant échec suite à un astucieux stratagème mis en œuvre par les responsables du FLN et de l’ALN.

De même, nous devons à une ethnologue française répondant au nom de Madame Camille Lacoste Dujardin, qui est décédée ces dernières années, l’ouverture, au printemps de l’année 1992, d’un débat inédit, parce que, ouvert pour la première fois dans la capitale de notre pays depuis l’indépendance et relatif à la portée et à l’envergure de l’épisode que nous avons cité plus haut, en l’occurrence, «l’Opération Oiseau Bleu».

Au cours de la semaine où les jeunes Algériens célébraient la journée-anniversaire du 19 Mai, journée internationale de l’étudiant, le Centre culturel français avait organisé un cycle de conférences-débats portant, entre autres, sur des aspects et des épisodes de la guerre de libération nationale.

Pour débattre de l’épisode qui nous intéresse, Madame Dujardin avait intitulé son sujet comme suit : «Les erreurs des études ethnologiques en Kabylie : un cas concret : «L’opération Oiseau bleu»».

Et, lorsque la conférencière s’est rendue compte que son exposé ne traduisait pas fidèlement les péripéties, complexes il est vrai, du déroulement de cette opération à caractère de contre-espionnage, montée par les services français mais déjouée par les responsables de l’ ALN, ce que nous n’avons pas manqué de lui faire comprendre lors du débat et de lui apporter la contradiction autant que nous puissions le faire, elle s’est vite défendue de le faire sciemment mais plutôt par méconnaissance.

Et cela, Madame Dujardin allait nous le prouver quelques années après cet incident en se faisant l’auteure d’une publication dans laquelle elle est revenue sur le déroulement de l’opération «Oiseau bleu» après, semble-t-il, s’être ressourcée pour les besoins de son information et de son analyse.

C’est l’appréciation que nous en avons faite après avoir lu sa publication que nous avons pu acquérir en 1997, dans laquelle elle a fait notamment un récit admirable de «l’opération Djennad» qui a été déclenchée par les forces armées ennemies le 9 octobre 1956 au matin, en représailles contre les éléments de la «Force K» qui venaient de rejoindre le maquis avec armes et bagages sur ordre de Krim Belkacem, à l’issue du Congrès de la Soumam lors duquel il avait été décidé de mettre un terme au complot «Oiseau bleu».

Durant cette opération qui a duré cinq jours pleins, du 9 au 13 octobre, une dure bataille a mis aux prises les deux forces en présence sur le site dit «Agouni Ouzedhoudh» (Plateau de la Palombe) dont elle a pris le nom : «la bataille d’Agouni Ouzedhoudh» qui est restée méconnue du commun des mortels.

A l’issue de cette bataille titanesque, au cours de laquelle les éléments de la «force K» avaient perdu une centaine de leurs compagnons d’armes et du complot, qui mettait un terme à l’opération «Oiseau bleu», Krim Belkacem s’est fait un plaisir d’écrire avec ironie au gouverneur général, représentant de l’Etat français, Robert Lacoste : «Vous pouvez vous leurrer Monsieur Lacoste à considérer la question algérienne comme une simple chimère. Vous êtes loin de la réalité et incompétent tout à la fois ! 

La question algérienne demande, pour être appréhendée, une connaissance parfaite du peuple algérien et ce peuple nous le connaissons parce que c’est nous-mêmes. 

Ainsi, vous a-t-il manqué une seule chose pour réaliser cette pièce théâtrale que vous avez élaborée : il vous a manqué la connaissance du théâtre et des acteurs avant de mettre en œuvre votre pièce. Or, il se trouve que le théâtre c’est notre propre pays et les acteurs ce sont nous-mêmes.

Vous avez cru introduire, avec la «Force K», un cheval de Troie au sein de la Révolution. En fait, vous venez d’équiper en armes et munitions des moudjahidine authentiques du FLN ! Et comment comptez vous induire en erreur vos semblables et les convaincre de croire à votre rêve fou ? Avez-vous considéré que nous serions à ce point léthargiques et crédules au point de ne pas nous rendre compte de ce que vous réalisiez ? Et voilà la vérité qui vous illuminera !

Puisse-t-elle vous faire comprendre finalement ce qu’est l’essence de notre Révolution ainsi que le machiavélisme vain de vos procédés. Il est certain que vous tirerez suffisamment la leçon de cet événement et c’est une leçon qui mérite bien les centaines d’armes que vous venez de nous offrir gracieusement.

Soyez certain que nous apprécierons ce cadeau à sa juste valeur et que nous œuvrerons à en faire le meilleur usage qui soit au profit de l’intérêt national.

Et puisse le peuple français, dont les enfants meurent tous les jours, apprécier votre œuvre à son tour et vous demander des comptes qu’il vous sera difficile de présenter et de défendre après que vous l’avez trompé par votre assurance préfabriquée et, après tout, ces détails ne nous intéressent guère.

En ce qui nous concerne, nous estimons que la preuve est suffisante que la Kabylie (la Wilaya III) sera un exemple pour les autres régions combattantes du pays et nous sommes assurés que toute opération de ‘‘pacification’’ est vouée à l’échec, quelle que soit la région du pays où elle serait initiée.

Et si le gouvernement français souhaitait un jour trouver une solution à la question algérienne, il n’aura qu’à choisir une autre voie» (fin du texte du tract).

En tout état de cause, nous saluons chez Madame Dujardin, la perspicacité ainsi que l’honnêteté intellectuelle dont elle a fait preuve dans sa tentative, à travers sa publication, de s’expliquer et d’expliquer à qui veut le comprendre, les raisons qui sont à l’origine de l’échec retentissant, pour ses instigateurs, d’une opération de contre-espionnage montée à la hâte dans le contexte d’une guerre de libération où les motivations et les convictions dans chaque camp sont difficiles à apprécier dans leur juste mesure.

Du côté algérien, Djoudi Attoumi affirme dans son dernier ouvrage qu’il a intitulé «Chroniques des années de guerre en wilaya III» que «ce complot a fait l’objet de quelques publications, sans pour autant l’avoir cerné de manière satisfaisante».

(Lui-même consacre trois pages à ce complot qu’il résume dans son dernier ouvrage que nous venons de citer).

Il a, par contre, consacré, dans le même ouvrage, tout un chapitre qu’il a intitulé : «Le devoir de vérité sur le massacre de Melouza» pour nous relater «l’affaire Melouza» au sujet de laquelle nous avons été satisfait de découvrir, pour la première fois, une écriture riche et objective des péripéties qui ont entouré les massacres de Béni-Illemane, d’une part et de Melouza, d’autre part. Deux épisodes, donc, que beaucoup d’auteurs ont rassemblé, selon un subjectivisme évident, dans une seule «affaire Melouza».

Ces constats étant faits, il nous faut admettre que nous nous sommes rendus coupables du délit de non écriture de l’histoire de la révolution de novembre 54 et de reniement de nos chouhada !

Et c’est cela qui a ouvert la voie à toutes les manipulations, parce que, et nous le répétons, la nature a horreur du vide. à suivre

Par Mehlal Ali, Un fils de chahid

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