La lutte contre l’inflation est une priorité stratégique

31/01/2022 mis à jour: 19:58
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A l’instar des autres pays à travers le monde, l’Algérie a enregistré en 2021 une remontée significative des prix à la consommation qui se poursuit en 2022. Cette dernière inquiète, à juste titre, la population fortement secouée par la pandémie et qui fait face à une baisse réelle des revenus, des pénuries affectant les produits de base et une dépréciation de la monnaie nationale, paradoxalement en présence d’une remontée des prix du pétrole. 

Cela suggère que l’inflation n’est qu’un des dommages structurels subis par l’économie nationale du fait de la mauvaise gestion du choc pétrolier de 2014 et que la pandémie a davantage aggravé (en raison de la faiblesse des plans de soutien). Cet article va apporter des éléments de réponse à trois questions importantes : (1) Quel est le comportement des prix à la consommation en Algérie non seulement en 2021 mais au cours des vingt dernières années pour disposer du recul nécessaire indispensable à une analyse de la véritable nature de cette inflation (conjoncturelle ou structurelle) ; (2) quels sont les déterminants de l’inflation et les contraintes qui pèsent sur la mesure et le contrôle de cette dernière ? et (3) quelles sont les mesures correctives pour reprendre le contrôle de l’inflation, préalable indispensable à une meilleure régulation du marché des biens et services, à une amélioration du climat social et au lancement d’un processus de réformes structurelles tant nécessaires à la refondation de l’économie du pays . 

Point 1 : L’évolution des prix à la consommation entre 2010 et 2021 et les projections à moyen terme. (1) 

Entre 2000 et 2010, le pays a fait face à une période de stabilité des prix favorisée par des importations massives de produits alimentaires et des mesures de politique monétaire destinées à absorber l’excès de liquidité généré par des flux importants de recettes pétrolières externes. L’inflation se situait en moyenne à environ 3% ; (2) La période 2010-2012 est marquée par une hausse de l’inflation qui passait de 3,9% en 2010 à 8,9 % en 2012 en raison de trois facteurs : (i) une stagnation de la croissance hors pétrole autour de 6% ; (ii) une politique budgétaire expansionniste (bond de la masse salariale de 0,5% point de pourcentage du PIB) qui a fait tripler le déficit budgétaire global de 1,3% du PIB en 2010 à 5% du PIB en 2012 ; et (iii) une hausse de la demande privée (15%) ainsi que de la demande publique (7%) ; (3) Entre 2013 et 2014, l’inflation chutait de 8,9% à 2,9%. Cette décélération s’expliqua essentiellement par un ralentissement de la croissance hors pétrole (qui chuta de 5,6% à 2,9%), contrebalançant un creusement considérable du déficit budgétaire global (qui passait de 1,5% du PIB à 8% du PIB) et une hausse de la demande privée et publique de 19% et 4,2%, respectivement ; (4) pour ce qui est des années 2015-2021, hormis 2019 et 2020, l’inflation moyenne se situait à environ 5,5% bien au-delà de la cible d’inflation de la BA, du fait d’un nouveau ralentissement de la croissance hors pétrole, de la baisse des demandes privée et publique et du creusement du déficit budgétaire global favorisé par la poursuite d’une politique budgétaire expansionniste ; et (5) pour le moyen terme, en l’absence de réorientation des politiques macroéconomiques et de réformes structurelles, l’inflation devrait s’accélérer pour passer de 6,5% à 7,7% en 2022 et demeurer en moyenne aux alentours de 10% entre 2023-2026. Du panorama statistique ci-dessus, il ressort de façon explicite que les épisodes d’inflation élevée au-delà de la cible de la BA (4%) sont fréquents, soulignant son caractère structure ; et (2) les facteurs sous-jacents incluent : (i) des chocs sur l’offre (sécheresse, volatilité des prix du pétrole qui entraînent une inflation par les coûts); (ii) des chocs sur la demande (favorisés par une politique budgétaire expansionniste, une politique monétaire accommodante, une politique de change inadéquate et une gestion macro-économique incohérente) ; et (iii) des contraintes structurelles fortement enracinées, notamment au niveau de la distribution qui est affaiblie par des pratiques frauduleuses. 

Point 2 : Les déterminants de l’inflation en Algérie

Selon plusieurs études internationales, le niveau de variation des prix intérieurs est le résultat de/des : 

  1. Facteurs macroéconomiques : (i) la masse monétaire et les prix des biens importés sont les moteurs de l’inflation à court terme tandis que la masse monétaire et le PIB réel non pétrolier sont de loin les facteurs-clés à la base des variations de prix à long terme ; et (ii) les estimations tirées de ces études font ressortir les élasticités ci-après : (a) une augmentation de 1% de la masse monétaire entraîne une hausse de 0,3% du niveau général des prix ; (b) une remontée de 1% de la production réelle hors hydrocarbures entraîne une baisse de 0,2% du niveau général des prix ; (c) une augmentation de 1% des prix importés contribue à une augmentation de 0,2% des prix intérieurs ; (d) une dépréciation de 1% du taux de change effectif nominal a un effet limité de 0,1% sur les prix intérieurs. L’impact à long terme est encore plus faible. En conséquence, le recours aux subventions ou à la levée de tarifs commerciaux est préférable (d’autant que le tarif moyen pondéré est de 8,85% en Algérie plaçant le pays à la 47e place sur 180 pays) pour contrer l’augmentation du prix des produits de base importés déclenchée par la dépréciation du taux de change ; et (e) une augmentation de 1% du prix international du baril de pétrole a un impact limité de 0,04% sur les prix intérieurs à long terme, illustrant ainsi les subventions significatives des prix des produits pétroliers en Algérie ;
  2. Facteurs structurels : notamment : (i) un excès de demande pérenne dans de nombreux secteurs produisant des biens composant le panier de l’IPC ; et (ii) la nature des circuits de distribution et leur capacité à résister aux faiblesses en termes de concurrence et de lutte contre les pratiques commerciales illicites et déloyales et la concentration. Utiles pour formuler des politiques inflationnistes.
  3. La politique budgétaire expansionniste : depuis 2016, les déficits primaires hors pétrole sont en moyenne de 26,3% du PIB hors pétrole (pour une norme de 10% suivant la théorie du revenu permanent). Des finances publiques insoutenables placent l’économie sous stress ce qui génère en retour de façon structurelle de l’inflation qui pénalise les citoyens et les travailleurs. La création monétaire actuelle (qui finance les déficits du budget, les entreprises publiques en difficulté et le Fonds national des investissements) soutient artificiellement une hausse de la demande publique qui excède de loin la capacité de l’économie à produire, laquelle devient alors une machine à créer de l’inflation. 
    4. La politique monétaire accommodante : orientée essentiellement sur le financement du déficit du budget (avec notamment la mise en place en juin 2021 du programme spécial de refinancement), ce qui a affaibli l’indépendance de la BA et la rend impuissante à maintenir la stabilité des prix à 4 %. 

Point 3 : Les contraintes pesant sur une bonne mesure de l’inflation ainsi que son contrôle

  1. Des subventions et un régime des prix et des marges réglementés qui répriment une partie de l’inflation et affaiblit, au vu des chocs de l’offre, les circuits de distribution (ce qui favorise les pénuries, la contrebande, la facturation frauduleuse et autres abus) et complique les politiques anti-inflationnistes. 
  2. L’absence de cadre budgétaire et monétaire crédibles : (y compris une BA indépendante) pour restaurer la viabilité des finances publiques et lutter contre l’accélération de l’inflation et ancrer les anticipations inflationnistes. 
  3. Des instruments de mesure de l’inflation obsolètes et inadéquats. L’IPC d’Alger et l’IPC national ne sont ni un indice du coût de la vie, ni un indice de la variation du budget de consommation et encore moins une variation des prix pour une période donnée. Son champ d’application est limité au calcul de la variation des prix entre la période de référence et la période courante. De plus, notons l’absence de anticipations de l’inflation qui prive les autorités d’un outil de projection macroéconomique. 
  4. Une sous-évaluation de l’inflation d’environ 2 points de pourcentage. L’IPC actuel ne capte pas un certain nombre de facteurs (qualité des produits, substitutions, nouveaux biens) ce qui entraîne une surestimation d’au moins 0,5% au vu de la pondération actuelle. Simultanément, d’autres éléments tendent à sous-estimer l’inflation (contrôles de prix de 26% des produits alimentaires qui représentent 43% du panier ; qualité et faiblesses du traitement des données ; la sous-évaluation du dinar de près de 30% sous-estiment en moyenne l’inflation d’au moins 3,5 points. En net, l’inflation est sous-estimée d’environ 3 points. En conséquence, baser une politique monétaire sur un point d’ancrage erroné peut conduire à des erreurs et complique la lutte contre l’inflation notamment en période de récession.

Point 4 : Comment reprendre le contrôle de l’inflation ? (1) 

Le mix macroéconomique pour agir sur la demande globale : dans ce domaine, la lutte contre l’inflation exigera une combinaison de politiques monétaire et budgétaire, y compris : (i) La maîtrise des dépenses publiques courantes (notamment de la masse salariale) et une nouvelle structure de financement du déficit moins inflationniste ; et (ii) le resserrement de la politique monétaire en augmentant le taux d’intérêt (ou en agissant si besoin sur le taux de change) pour réduire et contenir les pressions inflationnistes ; (2) Les actions structurelles pour favoriser l’offre globale : Pour faire face aux distorsions de l’offre, il est important d’améliorer la qualité du facteur travail (santé, éducation, formation...) et mobiliser le capital tout en renforçant son rendement pour favoriser la croissance du PIB réel ; (3) Les actions structurelles pour améliorer le réseau de distribution dont l’efficience est cruciale pour stabiliser les prix à la consommation : Il est souhaitable de prendre des mesures en faveur : (i) du développement des infrastructures de stockage et les marchés régionaux et améliorer la disponibilité de produits frais, sous-composant déterminant de l’IPC ; (ii) de l’élimination des positions de monopole des intermédiaires dans les circuits de distribution ; (iii) da la stimulation de la concurrence ; et (iv) de l’encouragement des investissements directs étrangers : (4) Les actions pour renforcer l’efficience du canal de transmission et agir sur la stabilité des prix : les réformes devront viser à : (i) améliorer la gestion des liquidités ; (ii) améliorer la stérilisation de la liquidité bancaire dans un contexte de monétisation du déficit budgétaire en mettant en vente des titres de créance au lieu de recevoir des dépôts, ce qui permettrait également des opérations de pension entre banques ; et (iii) réduire l’écart entre les marchés officiel et parallèle des changes par le biais de mesures à court terme, dont la diversification de l’offre de devises sur le marché interbancaire, une plus grande rationalisation des règles régissant les opérations de change et le relèvement des plafonds sur les voyages à l’étranger ; et (5) Les actions pour améliorer la mesure de l’inflation : (i) unifier les IPC (Alger et national), revoir la couverture pour l’actualiser et assurer son optimisation, changer les poids des sous-indices pour refléter les nouvelles habitudes de consommation des ménages et changer l’année de base. 

Par Abdelrahmi Bessaha
 Expert international en macroéconomie

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