La galerie algérienne Rhizome : Commencer l’année en beauté avec Bardi

12/01/2022 mis à jour: 02:53
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Photo : D. R.

Par ses couleurs, par son dessin, par ses compositions, le peintre Bardi nous emmène ailleurs ; tour à tour dérangeant, précieux, empathique, il force les regards du quotidien à voir autrement, à le considérer. 

D’où vient un artiste si singulier ? Comment l’appréhender, lui qui échappe à toutes les catégorisations, y compris celles de l’art contemporain ? La galerie algérienne rhizome, qui a montré son travail à la foire AKAA (Also Known as Africa), a fait le choix de soutenir un artiste qui s’impose par l’originalité de ses questionnements et crée ses propres codes entre peinture, dessin et sculpture.

Une double postulation : la beauté et le grotesque

Ce qui emporte d’abord dans les tableaux de Bardi, ce sont les jeux de couleur. Précieuses, - soigneusement élaborées-, travaillées en contrastes ou en complémentaires, elles constituent la matière de sa peinture ; faisant songer aux papiers découpés de Matisse, elles emportent l’attention par le dynamisme de leur attribution : elles créent le mouvement du tableau, les perspectives, les lignes de fuite aussi bien que les surprises. 

Si l’on se réfère à un tableau récent «Bouteille à la mer», on trouve toute la manière Bardi : sens exact de la correspondance entre les couleurs, compositions en mouvement : c’est une impression de beauté harmonique, voire de recherche du sublime qui s’imposerait si les créatures du peintre étaient magnifiées. 

Mais par un retournement au sein même du tableau, à cette virtuosité chromatique, le peintre oppose des figures exécutées avec non moins de virtuosité, mais grotesques, parfois caricaturales, parfois représentations de bouffons à la manière de la commedia dell’arte, ou encore représentations de corps inaboutis ou mutilés. 

Ce qui aurait pu être une ode à l’harmonie, une nouvelle renaissance magnifiant la raison sensible est mis en tension avec d’autres forces, celles du doute, de la violence, de l’interrogation inquiète. En cela la vision de Bardi est proprement contemporaine, dans un monde où le sentiment de la beauté coexiste avec la nécessité d’une posture critique.

Peinture et dessin

Si la jubilation esthétique est portée par le jeu des couleurs, elle se combine avec le plaisir du dessin : un dessin qui en déconstruisant révèle l’humain non en gloire mais tout au contraire, dans la diversité de sa condition, debout ou, au contraire, souffrant, parfois mutilé. 

Les personnages de Bardi frappent pour deux raisons contradictoires : soit parce que le trait révèle un visage, fut-il celui du bouffon, soit parce qu’il dissimule la face et se concentre sur les lignes du corps. 

Les monstres de Bardi constituent une signature de son œuvre : repoussoirs, ils peuvent aussi susciter une bienveillance quand ils évoquent le thème du bouffon. 

Dans les œuvres exposées à AKAA, paradoxalement, l’artiste revient à un dessin classique - voire académique- qui structure la composition au même titre que les couleurs : pour autant, ce retour au modèle classique n’est pas entier, il laisse toujours une place à l’inconscient, visages absents, dissimulés. Si la construction l’emporte, il n’en demeure pas moins des zones d’ombre. 

L’évolution de l’œuvre de Bardi de ce point de vue indiquerait des renoncements à la charge grotesque, peut-être nécessaires, à condition que le peintre ne perde pas ce réseau d’intuitions souterraines qui irrigue son oeuvre.

L’art pauvre : la conscience africaine

La pauvreté des matériaux de l’art africain - souvent des matériaux de récupération - laisse place à ce qui a le plus de prix pour l’artiste Bardi : l’imagination qui fait de ces matériaux pauvres des œuvres empreintes de spiritualité. 

Car là est l’enjeu de l’art : loin de se contenter d’un art facile auquel sa virtuosité technique aurait pu donner lieu, Bardi est fasciné par la recherche de la spiritualité qui a guidé aussi bien les peintres du Tassili qui nous ont livré leurs mystérieuses peintures et gravures qu’un peintre comme Rothko qui constitue une des références de l’artiste. 

Dans la sculpture, l’artiste se confronte au défi formel qu’implique l’utilisation de matériaux pauvres : il s’agit de créer des formes qui évoquent la condition humaine, non seulement par elles-mêmes, mais aussi par leur installation. 

Comment habiter l’espace ? L’installation de Bardi gouvernant/gouverné à la galerie Rhizome présentait des personnages de face : personnages individualisés mais aussi immobilisés, ceints par des entraves externes, ils existent, échantillons d’humanités impuissantes mais présentes. 

Faut-il voir dans l’ensemble de l’exposition intitulée Stasis par l’artiste - «stasis» signifiant crise politique dans l’Antiquité grecque- une métaphore des mouvements socio-politiques ? L’engagement de l’artiste consiste à donner à réfléchir aux situations politiques sans nécessairement mettre son art au service d’une cause : la proposition artistique de Bardi est politique par elle-même et s’adresse à ce qui mobilise la pensée : la raison sensible. 

Entre détachement et engagement, suivant aussi les chemins de l’inconscient, l’œuvre de Bardi donne à voir en même temps qu’une symphonie des couleurs, la grotesque «la bête humaine» ou «la stasis». 

Profondément empathique de son époque, elle se joue des codes, les hybride, les recompose, stimulant constamment l’oeil et l’esprit du visiteur. 

Une oeuvre à ne pas manquer.

EXPOSITION : Un nouveau concept

En choisissant d’appeler Rhizome la galerie qu’elle a ouverte à Alger en novembre 2020, la jeune équipe qui en assume le fonctionnement proclamait une indépendance vis-à-vis des modèles existants: «Rhizome » dans la pensée des philosophes Deleuze et Guattari désigne une structure en évolution constante où les rapports, loin d’être hiérarchisés, sont horizontaux, ce qui implique une égalité entre les membres fondateurs mais aussi une égalité entre la jeune structure et les artistes. Comme galerie, Rhizome présente à Alger une programmation particulièrement intéressante commencée en 2021 avec l’exposition Oumlil de l’artiste Maya Benchikh El Fegoun, exposition qui s’est accompagnée de la parution d’un très beau livre d’artiste portant le même titre ; la galerie soutient aussi - avec succès - la promotion des artistes algériens à l’étranger : elle a notamment montré en 2022 Bardi et Adel Bentounsi à la foire de Paris AKAA (Also Known as Africa), foire consacrée à l’art contemporain africain. Par ailleurs, elle a aussi un rôle aussi culturel et social, organisant des conférences et offrant des formations aux différents métiers du domaine de l’art, complétant ainsi le paysage artistique algérois.

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