La diaspora algérienne, enjeux et richesse stratégique négligée (Partie 2)

27/02/2024 mis à jour: 20:03
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5. La décennie noire et le lien rompu entre la diaspora et l’Algérie.
 

Le recul des années 80 est consolidé avec la décennie noire en Algérie qui fait fuir de nombreux cadres du pays mais aussi la diaspora qui refuse de cautionner la barbarie islamiste opérée et décide de se recentrer sur la France avec un lien rompu et surtout un impossible retour au pays. 
 

Au début des années 2000, le marché pétrolier se redresse et les caisses algériennes se remplissent pour atteindre près de 200 milliards de dollars de réserves de change en 2012. L’Algérie passe du statut de débiteur à celui de créancier de la Banque mondiale. Que fera le président Bouteflika de cette baraka, cette manne providentielle, pour le pays en général et pour sa diaspora en particulier. 
 

6. Le Président Bouteflika et l’absence de projet pour la diaspora.
 

Le président Bouteflika a les moyens financiers d’un grand projet pour l’Algérie. Malheureusement, il se limitera à redistribuer la rente et à impulser une politique de grands travaux sans grands effets d’entraînement, si ce n’est l’explosion du poison corruption. Concernant sa diaspora, à l’exception de quelques colloques de façade pour donner l’illusion d’une action en profondeur, ce sera le quasi-néant. Le parachutage d’Alger des députés de l’émigration sans aucun lien profond avec la diaspora continuera à creuser et accentuer le fossé. Abdelaziz Bouteflika aura une relation tendue avec sa diaspora. D’une part parce qu’il n’a jamais eu de discours ou de projet fort dans sa direction. 
 

D’autre part, sa volonté d’opter pour un troisième mandat en 2008 par une révision constitutionnelle en supprimant le verrou de l’article 74 de la Loi fondamentale qui limitait à deux le nombre de mandats présidentiels signera une communication brisée avec sa communauté basée à l’étranger. Bouteflika faisait entrer par effraction l’Algérie dans le concert des nations non démocratiques, faisant bondir une grande part du tissu associatif et politique en Algérie, mais aussi de sa diaspora en France et à travers le monde. 
 

Après cette brève rétrospective qui confirme le décalage continu et profond entre l’Algérie et sa diaspora, il semble utile  de tenter de mieux comprendre les causes, y compris les responsabilités, mais avant cela comment se compose réellement cette diaspora en 2024.
 

7. Comment se structure cette diaspora ?

La diaspora est constituée de plusieurs composantes, une dizaine environ mais nous nous limiterons aux trois principales et à l’espace français.
 

La première génération est venue dans les années 50-60-70, avec le mythe du retour, impossible à réaliser, car leurs enfants, nés souvent sur le sol français, avaient la volonté de rester en France. Beaucoup de ces enfants se sont soit assimilés en pensant pouvoir devenir des citoyens en France à part entière. Ils sont souvent stigmatisés en banlieue parce qu’ils prônent une assimilation à tout prix sur le sol français. Avec un dilemme, celui d’être souvent renvoyé à leur triste condition d’immigrés musulmans, avec ce poison du racisme latent qui se répercute dans leur vie quotidienne. 

Cette population représente un tiers environ de la diaspora soit environ 1 million de personnes. Ensuite, il y a ceux qui ont débarqué en France récemment, soit par des mariages mixtes, soit par des visas d’études, soit au cours de la décennie noire. 

Cette population ne représente pas la réalité principale de la diaspora mais seulement une minorité qui se positionne souvent d’une manière ambivalente, soit une critique acerbe envers leur pays d’origine comme pour justifier leur exil, soit avec un zèle manifeste sur une image tronquée du pays. 

Parmi les derniers venus, certains sont de brillants citoyens animés de bonnes intentions et pouvant contribuer au développement de l’Algérie. Nous estimons leur nombre à environ un million de personnes.
 

Enfin, la troisième composante, la diaspora la plus nombreuse, estimée à près de 2 millions de personnes. Cette composante a choisi d’assumer sa double identité et en particulier son identité algérienne en étant fière de leurs parents ou grands-parents qui avaient lutté contre le joug colonial français et qui sont dans une forme de continuité idéologique, hier contre le colonialisme, aujourd’hui contre le poison racisme. C’est une grande partie de la seconde génération, troisième et quatrième génération. Cette population très patriote est en attente vis à vis de l’Algérie pour qu’elle la reconnaisse et qu’elle puisse servir au mieux les intérêts du pays. 
 

Entre les assimilationnistes, les partisans d’une intégration active avec un lien fort avec le pays d’origine et les derniers venus, la principale composante est la seconde catégorie et c’est en son sein que l’Algérie doit puiser les compétences car elle est la plus nombreuse mais surtout la plus fidèle à l’idéal révolutionnaire de nos chouada. Cependant, beaucoup de ressentiments et de critiques à l’égard de l’Algérie persistent. Pourquoi l’Algérie n’a-t-elle pas su construire un beau et grand projet avec le potentiel dont elle dispose en particulier avec sa diaspora ? La question des responsabilités se pose. 
 

8.  à qui la faute ? 

Du côté des autorités algériennes la frustration et la faiblesse chronique  de la diaspora s’expliquent parce qu’elle n’a pas su s’organiser avec une élite souvent défaillante. Pour la diaspora, c’est la faute à l’Algérie qui n’a pas su considérer comme une ressource stratégique ses nationaux résidents à l’étranger, les négligeant et les instrumentalisant à chaque élection présidentielle. 

L’exemple de ces députés de l’immigration, parachutés d’Alger, alors qu’ils ne sont pas des enfants de la diaspora au sens propre du terme, ne connaissant ni leur histoire ni leurs aspirations, ne fait que renforcer l’inertie et l’amertume à l’égard de l’Algérie. 

Chacun se renvoyant la responsabilité, nous allons tenter de mieux comprendre les véritables enjeux. 
 

9. Un énorme potentiel délaissé, de faibles résultats et un bilan médiocre. 

Le constat est effectivement alarmant et, au moins sur ce point, les autorités algériennes et la diaspora sont d’accord.
 

Cependant, soyons précis, comment se matérialise cet échec de la communauté nationale à l’étranger.

A/ Une diaspora de près de 6 millions de personnes qui n’existe pas.

Le premier critère : son inexistence dans les pays d’accueil et ce bien  qu’elle constitue une population nombreuse, pour exemple, près de 6 millions de personnes en France, selon le président Tebboune. Très peu fédérée, cette diaspora ne peut défendre ses droits de manière efficiente en particulier dans le monde de l’éducation, le monde culturel et cultuel.
 

B/ Une diaspora qui n’existe pas dans l’espace politique.  

Depuis près de 30 ans, la seconde génération a les moyens de voter mais ne le fait pas comme si elle était piégée dans son histoire et en particulier dans ses traumatismes identitaires. Ces binationaux ne votent pas dans leurs grandes majorités alors qu’ils pourraient aisément le faire et peser d’une manière puissante sur la scène politique française. Surtout quand on connaît les faibles écarts entre candidats lors des élections nationales où quelques milliers de voix permettent souvent de faire basculer la victoire. 
 

C/ Une diaspora victime du poison français, la triple peine : colonisé, islamiste et antisémite. 

Aujourd’hui, la majorité des musulmans de France, dont les Algériens constituent la majorité, subit une triple peine sans pouvoir véritablement réagir comme s’ils avaient été fracturés par la foudre. La première peine est d’être toujours considérés comme étrangers et un peu inférieurs dans le regard de l’autre car enfants de la colonisation, toujours un peu indigènes de la république. Ensuite, le fait d’être musulman aujourd’hui dans la cité française se confronte à l’image séculaire de cette religion qui est maltraitée depuis au moins mille ans, comme dernière religion du livre révélé. 
 

Enfin, ces musulmans, surtout les Algériens, sont souvent les supposés porteurs du nouvel anti sémitisme français faisant de cette population la cible privilégiée du poison français. Alors que l’on aurait pu croire que le système les aurait protégés un peu plus du fait d’un racisme démultiplié à leur encontre.
 

Pour les citoyens originaires des autres pays du Maghreb, sur cette question du nouvel antisémitisme, la sentence serait moins lourde. Le Maroc ayant normalisé ses relations avec Israël et la Tunisie négocie, d’une manière secrète depuis longtemps, une éventuelle normalisation avec Israël. Par ailleurs, dans ces deux pays, une communauté juive est toujours présente. L’Algérie, dernier pays du front de la fermeté contre Israël mais aussi la diaspora la plus nombreuse, serait dans le viseur de beaucoup de lobbyistes en France. Cette diaspora serait-elle incomprise par le pays d’accueil, la France, mais aussi le pays d’origine, l’Algérie.
 

D/ Une diaspora incomprise, ma yaabounach, mat habounach. 

La diaspora algérienne est souvent meurtrie car elle a la conviction d’un sentiment profond d’indifférence de l’Algérie à son égard et ce constat persiste malgré les quelques discours récurrents depuis 60 ans. Concrètement rien ou presque rien n’a été opéré à sa destination depuis de trop nombreuses années générant une rancœur démultipliée. Avec le sentiment de ne pas être aimé par le pays d’accueil mais aussi par le pays d’origine, Ma Ya abounach, «ils ne nous aiment pas» Mat habounach, «vous ne nous aimez pas», une forme de double peine créant un malaise identitaire profond avec de nombreuses frustrations.
 

La première, la tristesse et le gâchis opérés par l’Algérie qui n’a pas su mettre en œuvre un grand projet à l’égard de sa diaspora sinon quelques mesurettes sans réel effet d’entraînement. 
 

E/ Une Diaspora instrumentalisée, ces bounty qui neutralisent la vitalité de la diaspora.
 

Nous sommes si faibles, car nos intellectuels et les relais d’opinions, en France n’ont pas fait le travail nécessaire pour transmettre des repères refusant ce modèle assimilationniste qui veut gommer notre identité profonde. Cette élite franco-algérienne est stigmatisée en banlieue, considérée comme les «bounty de la république». 
 

Ils sont suspectés d’être corrompus, en prônant le modèle assimilationniste pour défendre leurs intérêts personnels, et se hisser contre leurs frères et sœurs qui subissent le poison racisme, souvent suspectés d’antisémites car antisionistes. Ces «bounty» ont choisi de se fondre dans le système en gommant leurs spécificités, et de ne pas être solidaires de la masse, en particulier cette masse qui subit en profondeur le poison racisme.
 

Pire, en France, cette communauté forte de près de 5 ou 6 millions de personnes est terriblement sous représentée et faible, car elle est quasi inexistante dans les centres de décision, y compris politiques. Cette élite est incapable de se fédérer pour lutter contre l’islamophobie qu’elle subit et qui s’est aggravée au fil des ans. Cette diaspora est souvent suspectée d’être porteuse de l’antisémitisme français pour mieux la neutraliser dans son engagement en faveur de la cause palestinienne. 

Cette élite maghrébine, et en particulier algérienne, est dans ces moments tristement tragiques face au poison racisme quasi absente, à quelques très rares exceptions.
Le silence de Zinedine Zidane, Isabelle Adjani, Rachid Arhab et tous les autres vis-à-vis du poison français est assourdissant. 
 

Dans cette communauté algérienne, le travail n’a pas été accompli par les personnes qui semblaient vouloir les représenter. Ces personnes issues du champ politique, associatif ou relais d’opinion en tous genres ont souvent été utilisées comme bras armé pour maintenir un statu quo et empêcher la prise de conscience des enjeux réels par la majorité de la diaspora. 

La mission de ces «bounty» est de canaliser les énergies et vanter le modèle assimilationniste tout en sachant au fond d’eux-mêmes que le poison gangrène de l’intérieur la société. 
 

Dans la communauté algérienne de France, souvent, lorsqu’un de ses membres réussit, tout est fait pour le noircir, poussant certains à se démarquer de leurs origines algériennes. Comme si l’effet miroir agissait d’une manière violente remettant en cause le parcours de l’autre, ce qu’on appelle chez nous le «hassd» qui est une forme de haine envieuse de l’autre. En réalité, c’est une haine de soi, une haine de ne pas avoir pu être ou faire comme l’autre. La réponse psychologique est à creuser.
 

Cet élitisme est fainéant, égoïste, incapable de se mettre à la disposition des autres, fermant la porte derrière lui, comme si les petits frères étaient orphelins, oubliant son origine et le chemin parcouru par ses parents.  (A suivre)
 

 

Par le Pr Seddik Larkèche , Universitaire et écrivain franco-algérien



 

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