Les tensions entre Alger et Paris n’ont cessé de s’exacerber ces derniers mois, jusqu’à faire craindre une rupture diplomatique définitive. Les médias internationaux voient cela d’un œil distancié, égrenant une somme de griefs accumulés de part et d’autre, entre querelles mémorielles, divergences stratégiques et crispations politiques.
Ce regard extérieur permet de décrypter cette escalade sous un autre prisme.
Le journal turc The Pinnacle Gazette souligne ainsi le poids du passé colonial dans l'actuelle défiance entre Paris et Alger. «Derrière ces tensions immédiates, les échos du passé continuent d’affecter profondément les relations franco-algériennes.
L’héritage des 132 ans de domination coloniale française en Algérie, ainsi que la brutalité de la guerre d’indépendance qui s’est achevée en 1962 pèsent encore lourdement. Ces griefs historiques continuent d’assombrir les relations contemporaines, et leur prise en compte semble essentielle à tout progrès futur.»
Le journal rappelle même les propos de Macron questionnant l’existence de l’Algérie avant la colonisation. «L’Algérie persiste dans sa quête d’une reconnaissance des souffrances du passé. Le président Tebboune exige un ''respect total de l’Etat algérien'' avant toute normalisation des relations diplomatiques, cherchant un geste de contrition de la part de la France pour les atrocités coloniales», écrit le journal, qui précise que «le climat politique français montre une résistance marquée à de telles démarches. En particulier au sein des factions d’extrême droite, il existe peu d’appétit pour toute forme de repentance».
«Les racines des tensions profondes»
Le journal a également cité l’épineux dossier de l’affaire Sansal ainsi que le refus d’accepter des ressortissants expulsés de France.
«Ces éléments historiques et géopolitiques s’entrelacent pour illustrer la complexité des relations entre l’Algérie et la France. Chaque nation semble prisonnière de son propre récit : l’Algérie reste centrée sur des revendications mémorielles, tandis que la France rechigne à faire des concessions.
Les deux parties paraissent enfermées dans des contraintes internes et internationales, rendant la réconciliation de plus en plus improbable», estime le journal, qui semble penser qu’il y a «peu de volonté, de part et d’autre, d’engager un dialogue sincère pour redéfinir cette relation de manière dynamique».
Un article du think thank américain Atlantic Council, portant le titre «Les racines des tensions récentes entre l'Algérie et la France sont plus profondes qu'il n'y paraît», met en lumière la portée politique des tensions actuelles. «Les divergences entre les deux pays, tant sur le plan bilatéral que sur les questions régionales, se sont creusées.
En juillet dernier, la France a signalé pour la première fois qu’elle reconnaîtrait un plan d’autonomie du Sahara occidental sous souveraineté marocaine, suscitant une vive indignation et une condamnation officielle de l’Algérie, qui a qualifié cette décision d’''inattendue, mal jugée et contre-productive''.»
Tout en rappelant les différents épisodes qui ont mené à la crise, le centre d’études considère que celle-ci «dépasse les tensions récentes et les différends liés au Sahara occidental et au Maroc». «Son origine semble beaucoup plus profonde, liée à l’échec des deux pays à définir un véritable processus de réconciliation postcoloniale et au refus persistant de la France d’engager une relecture critique de son rôle en Algérie».
Pour illustrer leurs propos, les auteurs de l’article citent l’exemple du système éducatif français qui présente encore la période coloniale comme ayant eu des effets positifs en plus de ses conséquences négatives. «L’incapacité de la France et de l’Algérie à engager un dialogue constructif sur le fond de leurs relations bilatérales rend improbable un apaisement rapide de la crise actuelle, analyse-t-on.
La crainte d’un isolement international croissant en Algérie, combinée aux tensions internes de la politique française, risque d’aggraver les incompréhensions entre les deux pays.» Et de conclure : «Si elles ne sont pas maîtrisées, ces tensions pourraient conduire à une rupture irréversible des relations, rappelant les récentes ruptures diplomatiques de la France avec ses anciens alliés de la région du Sahel.»
El Pais, en Espagne, souligne quant à lui que «la crise franco-algérienne reflète les recompositions diplomatiques en cours en Méditerranée, avec une France qui tente de se repositionner face à l'influence grandissante de puissances comme la Turquie et la Russie en Afrique du Nord».
Le quotidien espagnol a abordé les répercussions économiques des tensions diplomatiques, en particulier sur les accords énergétiques entre l'Algérie et l'Europe. El País souligne que l'Algérie est un fournisseur clé de gaz pour l'Europe, et que la détérioration des relations avec la France pourrait avoir des conséquences sur la sécurité énergétique du continent.