Bien que solide, l’architecture bancaire des Etats-Unis doit désormais faire face à certaines faiblesses depuis la semaine dernière qui a vu la faillite de trois établissements bancaires en quelques jours.
En dépit d’une supervision approfondie de la part de la branche californienne de la Banque centrale des Etats-Unis (FED), la Silicon Valley Bank (SVB) est devenue le plus grand prêteur américain à faire faillite au cours des dix dernières années, donnant lieu à une certaine contagion dans les secteurs technologique et financier au niveau des Etats-Unis et du reste du monde.
L’intervention des autorités américaines a été rapide et forte permettant ainsi de garantir la sûreté des dépôts et de mettre à la disposition du système bancaire un soutien massif en liquidités.
Précisons toutefois que cette crise bancaire n’est en rien comparable à la crise financière de 2008 qui avait, à l’époque, affecté le cœur du système bancaire et causé des dommages significatifs. In fine, l’échec de la SVB est d’abord un échec de la supervision ainsi que de la réglementation.
La FED a échoué en tant que superviseur bancaire. Des remparts divers sont en train d’être mis en place pour maîtriser cette crise bancaire et poursuivre en même temps la lutte contre l’inflation.
Pour ce qui est de l’Algérie, la crise bancaire américaine n’affectera pas le système financier et bancaire du pays en raison de sa faible intégration au système financier et bancaire mondial.
Toutefois, sur le plan interne, un certain nombre de risques existe, ce qui implique des mesures fortes pour renforcer la supervision des banques et la capacité de gestion des crises financières et bancaires. Discutons de tous ces points.
Genèse d’une crise de liquidité et de supervision.
Les éléments factuels. Dès le 3 mars 2023, la SVB (16e banque des États-Unis, principalement au service des entreprises et des particuliers fortunés liés au secteur de la technologie) faisait face à une ruée bancaire massive. Les clients avaient retiré leurs dépôts à un rythme qui a très vite submergé la banque. SVB n’avait pas suffisamment de liquidités pour répondre aux demandes immédiates des déposants.
Le 10 mars, le département californien de la protection financière et de l’innovation a fermé la SVB. Le 12 mars, le Département des services financiers de New York a de son côté fermé Signature Bank. Dans les deux cas, la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) a été nommée séquestre.
Les particuliers et les entreprises sont assurés par la FDIC jusqu’à $250000 par banque pour tous les actifs détenus dans une banque individuelle.
Les signes avant-coureurs. Alors que les banques américaines sont généralement bien capitalisées et possèdent des actifs de haute qualité, certains signes avant-coureurs classiques au niveau de la gestion de SVB auraient dû mettre la FED en alerte, notamment : (i) la croissance explosive des actifs; (ii) le quadruplement des actifs en quatre ans; (iii) l’hyper dépendance à l’égard des dépôts non assurés, avec près de 97% d’entre eux provenant de clients dépassant la limite de la FDIC ($250000), souvent des entreprises technologiques ; (iv) l’énorme risque créé par la hausse des taux d’intérêt : en effet, entre 2019-2021, la SVB a acheté pour plus de $100 milliards de titres adossés à des créances hypothécaires émises à des taux d’intérêt bas (sans achat de couvertures en cas de hausse de taux d’intérêt); et (v) le recours à des emprunts massifs auprès de la Federal Home Loan Bank ($20 milliards).
Par ailleurs, notons la relation entre la branche de capital-risque de SVB et la clientèle de la banque, un signal d’alarme potentiel qui aurait dû attirer l’attention des autorités de régulation.
Les facteurs explicatifs de la faillite : (1) le recours à des dépôts à court terme appartenant à la clientèle pour financer des achats d’actifs à taux fixe à très long terme; (2) une base de dépôts en baisse en raison des difficultés récentes du secteur de la technologie qui fait face à une chute de la demande ; (3) la hausse des taux d’intérêt qui a alourdi la dette des entreprises fortement endettées du secteur technologique; (4) la réduction de la marge nette d›intérêt qui représente le bénéfice que les banques réalisent en payant moins d’intérêts sur les dépôts par rapport aux intérêts facturés sur les prêts.
Les clients de SVB étaient des entreprises et des particuliers fortunés et de surcroit des investisseurs sophistiqués qui disposaient de dépôts importants.
En demandant des rendements plus élevés à mesure que les taux d›intérêt augmentaient, la SVB a fait fuir certains d’entre eux.
Le cas d’une mauvaise gestion d’un établissement bancaire. En achetant un volume important d’obligations à long terme, la SVB avait pris un énorme pari sur le maintien de taux d’intérêt bas dans le futur. Ce pari ne s’est pas concrétisé, plongeant ainsi la banque dans une crise de liquidité profonde à la limite de la crise de solvabilité.
La pénalisation des actionnaires et les grosses pertes des détenteurs d’obligations ne sont pas un échec du système financier américain et mondial. Cette crise bancaire est celle d’une mauvaise entreprise qui a été autorisée à faire faillite.
Elle est également une faille au niveau des régulateurs des banques qui sont grandes sans être énormes mais qui peuvent poser des risques sur l’économie.
Les mesures immédiates prises par les autorités de régulation : Immédiatement après la fermeture des banques fragiles, les régulateurs fédéraux (FDIC, FED, et la Secrétaire au Trésor des États-Unis, Janet Yellen) ont approuvé des mesures fortes visant à protéger les déposants et limiter les risques directs et indirects pouvant peser sur le système financier américain.
La FED a mis des fonds supplémentaires à la disposition des institutions de dépôt éligibles par le biais d›un programme de financement à terme bancaire nouvellement créé.
La facilité fournira aux banques des liquidités supplémentaires afin d’éviter qu’elles ne vendent en période de crise les titres qu’elles détiennent, La FDIC a également pris des mesures pour protéger tous les déposants, y compris les déposants non assurés, de la SVB et de Signature Bank. Les déposants de ces dernières ont donc pu accéder à tous leurs fonds en dépôt auprès de ces banques.
La contagion immédiate :
1. A affecté des institutions en relation avec la SVB et localisées dans divers pays en Europe (Allemagne, Danemark, Grande Bretagne, Norvège, Pays Bas et Suède), en Asie (Chine, Hong Kong, Inde et Japon) et Océanie (Australie).
2. La crise bancaire a envoyé une onde de choc sur les marchés financiers affectant les actions d’autres banques. L’indice Nasdaq des actions bancaires a chuté d’un quart en une semaine, effaçant tous les gains acquis au cours des 25 années précédentes. Les actions des prêteurs régionaux ont été secouées également. Toutefois, un rebond a été enregistré depuis suite aux mesures fortes prises par les autorités américaines.
Pour le futur, que va-t-il se passer ?
Y a-t-il des risques ? Oui. En effet, les faillites de petites banques sont courantes et conduisent rarement à la contagion, mais la taille de SVB et l’interdépendance du marché financier mondial indiquent clairement que le risque de contagion ne doit pas être sous-estimé.
Notons à ce titre l’éventualité : (1) de ruées aveugles sur d’autres banques ; (2) d’un choix de la part des grands déposants institutionnels de retenir leurs fonds disponibles sur le marché des prêts à court terme (par exemple, les billets de trésorerie) en attendant une plus grande clarté du marché. Une situation qui s’est produite lors des précédentes crises financières de 1991, 2000 et 2008 ; (3) d’une contagion étrangère, notamment au Royaume-Uni étant donné la densité des opérations de SVB dans ce pays ; (4) d’une autre cascade d’échecs sur le marché opaque de la cryptographie ; et (5) d’une contagion plus large affectant les marchés financiers et l’économie réelle.
De ce fait, le ralentissement jusqu’à présent ordonné de l’économie américaine et les licenciements limités aux secteurs les plus touchés pourraient rapidement devenir désordonnés et dégénérer en une nouvelle crise financière et une profonde récession.
Toutefois, les remparts pour maîtriser la crise sont en place
1. Le système bancaire américain est et reste solide : Il dispose de capitaux et de liquidités importantes au niveau de tous les compartiments du système. Notons également les actions en cours : (I) un suivi attentif de la part des régulateurs de l’évolution des marchés financiers et de l’ensemble du système financier ; (ii) une communication active visant à rassurer les citoyens américains sur la solidité du système financier ; (iii) le lancement par la FED d’une investigation interne sur son incapacité à prévenir les faillites, notamment en présence de signes avant-coureurs de la crise mentionnés ci-dessus ; et (iv) le renforcement de la gouvernance de la FED.
Cette dernière a continuellement été chargée de plus de responsabilités en tant que décideur de la politique monétaire, régulateur bancaire, prêteur de dernier ressort, opérateur et régulateur de système de paiement, producteur de recherche et de statistiques économiques, etc. Les législateurs sont en train de réfléchir à une révision fondamentale du rôle de la banque centrale.
2. La coordination internationale se met en place : Le communiqué des régulateurs internationaux précise : «La Banque du Canada, la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon, la Banque centrale européenne, la Réserve fédérale et la Banque nationale suisse ont d’annoncer ce lundi 20 mars une action coordonnée visant à améliorer la fourniture de liquidités via les accords permanents de swap de liquidités en dollars américains, y compris une augmentation de la fréquence des opérations à échéance de 7 jours (d’hebdomadaire à quotidienne), opération devant se poursuivre au moins jusqu’à la fin avril.
Le réseau de lignes de swap entre ces banques centrales est un ensemble de facilités permanentes disponibles et sert de filet de sécurité important pour atténuer les tensions sur les marchés de financement mondiaux, contribuant ainsi à atténuer les effets de ces tensions sur l’offre de crédit aux ménages et aux entreprises ».
3. La lutte contre l’inflation se remet en place : La FED doit poursuivre la lutte contre l’inflation (bien que la hausse des prix des obligations allégera la pression sur les bilans des banques). Maintenant que les dépôts sont sûrs et que le système bancaire dispose d’un soutien massif en liquidités, il est peu probable que la crise ralentisse l’économie américaine de façon significative.
De plus, il n’appartient pas à la politique monétaire de protéger les profits des prêteurs. Un autre élément à noter est le fait que les marchés financiers sont désormais en phase avec le cycle de resserrement de la FED.
L’une des caractéristiques de cette phase est que les marchés travaillent soudainement avec la FED plutôt que contre elle dans la lutte contre l’inflation qui s’avère plus enracinée que prévu, ce qui signifie que les taux d’intérêt devront continuer à augmenter plus que prévu.
Ce message a été renforcé par les données publiées le 14 mars montrant que les prix à la consommation sous-jacents avaient de nouveau augmenté plus rapidement que prévu.
Le cas de l’Algérie : La faillite de trois banques de taille moyenne aux Etats-Unis remet sur le devant de la scène le besoin de disposer d’un cadre de supervision rigoureux qu’il faut appliquer sans complaisance et d’une forte capacité de gestion des risques bancaires. Deux outils fondamentaux qui permettront de préserver l’intégrité du système bancaire de l’Algérie qui fait face à des risques en termes de crédit, de liquidité, de change, de gouvernance et du fait de la dominance du pétrole.
Face a cela, la feuille de route devrait inclure : (1) le renforcement de l’indépendance des autorités de surveillance financière ; (2) le renforcement de la gestion de la liquidité ; (3) le développement de la finance inclusive et des paiements numériques ; (4) le renforcement du cadre réglementaire, notamment sur les contrôles internes de la gouvernance bancaire et les personnes politiquement exposées ; (5) une meilleure gestion du risque de crédit ; (6) la mise en place d’un couloir intermédiaire autour duquel devraient être limitées les fluctuations des taux interbancaire ; (7) un meilleur marché monétaire ; et (8) un cadre de gestion de crise devrait être mis en place et les mécanismes de surveillance du risque systémique redémarrés.
Une meilleure gouvernance d’entreprise, conjuguée à une réforme des programmes de subventions et une meilleure surveillance du risque de crédit contribueraient à renforcer les performances des banques. Toutes ces préoccupations sont incluses dans le nouveau projet de LMC. Reste la bonne application de cette dernière, ce qui implique des réformes structurelles importantes.