Les Russes ont leur robot conversationnel et viennent de le présenter au monde avec un aplomb non dissimulé. Baptisé GigaChat, ce logiciel génératif relié à l’intelligence artificielle (IA) se veut une réplique de performance équivalente au très fameux ChatGpt américain, qui fait l’événement depuis sa mise en circulation publique en novembre dernier et le lancement de sa version 4, la plus impressionnante, il y a un mois.
D’illustres initiés dans la communauté scientifique mondiale et des opérateurs dans le domaine en ont d’ailleurs tellement pris ombrage qu’ils ont cosigné un appel à mettre sur pause, durant 6 mois, la recherche dans l’IA le temps de mettre au point des garde-fous éthiques et technologiques aux usages potentiellement dangereux de ces cerveaux non humains.
Mais cet appel à la prudence ne peut manifestement rien devant les avancées en matière de recherche fondamentale et appliquée dans le domaine de l’IA. De même que les mises économiques colossales consenties ainsi que les enjeux géopolitiques liés à la course à la suprématie numérique pèsent trop lourd pour que les décideurs politiques, de plus en plus sous l’influence des géants de la tech, puissent être émus par l’alerte au danger, quitte fondée, d’un groupe de scientifiques et de philosophes du web.
La présentation du GigaChat, produit de la firme Sber, leader russe dans les nouvelles technologies, offre une séquence de cette course au prestige mondial et au renforcement du potentiel soft power comparatif des puissances rivales. Y compris dans les mots et les formules, les développeurs de Sber, bien entendu attentifs aux orientations du Kremlin, reprennent les concepts et les caractéristiques revendiqués par OpenAi, créateur américain de ChatGpt.
Le logiciel est prétendu aussi révolutionnaire que son équivalent US et le message délivré est que la Russie, même si elle n’est pas aussi démonstrative et tapageuse que les Etats-Unis, n’en est pas moins avancée sur le sujet et que le monde doit bien le noter. Vladimir Poutine, en 2017 déjà, faisait part de sa conviction que celui qui dominera le mieux l’IA dans le futur est celui-là même qui dominera le monde. Il pensait sans doute à des usages plus économiques et militaires que le développement de chatbot, mais la compétition internationale est aussi symbolique et médiatique.
La Chine, l’autre «Empire numérique» engagé par tous ses moyens dans cette accélération de la course à la maîtrise de l’IA, et sous la pression du succès de ChatGpt, a dû prendre le risque de précipiter la présentation de son propre modèle de chatbot en mars dernier pour ne pas donner l’air d’être distancée par les Américains.
Ernie Bot, produit du géant digital chinois Baidu, a été présenté dans une version primaire et n’a pas fait sensation comme escompté. Ses concepteurs promettent de se rattraper et vite. Un exemple des enjeux financiers de la nouvelle surenchère sur les outils de l’IA, la firme Baidu a payé cash sa présentation ratée, en perdant instantanément 10% de ses valeurs boursières, pas moins de 3 milliards de dollars, selon des comptes-rendus de la presse spécialisée.
Le complexe numérique de Shenzhen, qui est pour la Chine ce qu’est la Silicon Valley pour les Etats-Unis, a de quoi surprendre demain, cela dit, et garde de bonnes longueurs d’avance dans d’autres segments de recherche et d’application dans l’industrie du raisonnement artificiel.
La production des logiciels conversationnels et les passions médiatiques qu’elle déchaîne, devenues en quelques mois un axe prioritaire dans les enjeux globaux liés aux nombreux développements stratégiques de l’IA, est la partie visible d’une guerre géopolitique sans merci pour la souveraineté et la domination numérique. Le retentissement des avancées technologiques réalisées, combiné aux tensions mondiales actuelles, la font de plus en plus se révéler au grand jour.