Koussaïla Alik. Docteur en linguistique amazighe : «La didactique des langues favorise le dialogue entre les cultures»

14/06/2022 mis à jour: 07:16
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Photo : D. R.

Dans cet entretien, Koussaïla Alik, docteur en linguistique amazighe et maître de conférences (HDR) au département de langue et culture amazighes de l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, aborde la question de la langue maternelle dans une société multiculturelle et multilingue.

  • Quelle est, selon vous, l’importance de la langue maternelle et la place du multilinguisme dans les apprentissages scolaires ?

Avant de discuter de l’enseignement de la langue maternelle, je voudrais d’abord préciser que le concept de langue seconde a deux principales définitions. L’une vient de la sociolinguistique anglo-saxonne, selon laquelle une deuxième langue est acquise progressivement à l’école après sa langue native.

Selon une autre interprétation, la notion de langue seconde est incluse dans la notion de langue étrangère, car il s’agit d’une langue différente de la langue maternelle, mais différenciée de celle-ci par son statut social et éventuellement juridique ou politique.

Une caractéristique générale d’une langue seconde est qu’elle est utilisée pour intégrer ses locuteurs dans un groupe majoritaire dont la langue n’est pas la leur. Alors, les langues secondes ont des aspects très divers, en fonction de leur propre situation.

Ses utilisateurs, le degré de demande de ces derniers pour une seconde langue, dépendent en revanche de la zone géographique et l’environnement sociétal dans laquelle elle est pratiquée.

Cependant, l’alternance entre la langue maternelle et la langue acquise à l’école est souvent compliquée, cela quand il s’agit d’une langue d’enseignement qui ne véhicule pas les valeurs culturelles liées à la société et à l’identité de la langue maternelle de l’enfant. Mais dans le cas où la langue acquise à l’école lui donne l’occasion de découvrir ses origines, la consolidation se réalise mutuellement.

On voit souvent dans l’histoire des planifications linguistiques, la langue seconde imposée est souvent la cause réelle des conflits linguistiques et des clivages identitaires. En outre, il est tout à fait nécessaire de se pencher aussi sur le sujet du bilinguisme dans la petite enfance et plus particulièrement sur l’intérêt d’élever des enfants dans deux langues.

Les différentes études ont été menées et ont toutes démontré qu’il y a des avantages cognitifs chez les jeunes enfants bilingues, par exemple, ils font montre d’une plus grande réflexivité mentale, de meilleures facultés d’inhibition, et cette prévalence cognitive semble se prolonger tout au long de la vie de l’enfant et plus tard de l’adulte.

La plupart des psycholinguistes et spécialistes du développement de l’enfant s’accordent à dire que le bilinguisme est un atout, car il permet aux enfants de s’adapter aux situations nouvelles et de sortir des routines de pensée et de devenir plus créatifs.

  • Pouvez-vous nous expliquer le rôle de la langue maternelle dans une démarche visant à asseoir un enseignement multilingue efficace ?

C’est une question fondamentale en rapport direct avec la planification linguistique et la place des langues maternelles dans le système éducatif.

Aussi, la promotion de la langue maternelle et sa reconnaissance officielle par l’État appuie la réussite scolaire et son intégration d’une manière approfondie, car la langue maternelle, dans son territoire natif et autochtone, est en rapport direct avec la culture et l’identité de l’apprenant, l’histoire de son patrimoine communautaire. L’enfant reçoit ainsi la seconde langue enseignée à l’école et utilisée pour accepter le pluralisme et la diversité linguistique.

Le recours à la langue seconde et à la langue étrangère pour l’évolution et l’universalisme peut aussi contribuer à promouvoir la culture et l’identité d’un groupe sans les remettre en cause ou les exclure dans les programmes et les contenus d’enseignement de la littérature, les sciences sociales et l’histoire.

Les études récentes développées par les chercheurs, en l’occurrence le professeur George Lüdi, linguiste, université Bâle (septembre 2014) ont illustré La place de la langue maternelle dans l’enseignement scolaire, en donnant des réflexions sur leur apport à la réussite de l’enseignement bi-plurilingue dans les systèmes éducatifs.

Je vous renvoie également à ce document : (Doc. 10837, 7 février 2006, Rapport Commission de la culture, de la science et de l’éducation) qui précise qu’un enseignement bilingue, axé sur la langue maternelle, constitue la base d’un succès à long terme. Les formes d’enseignement fondées sur la langue maternelle augmentent significativement les chances de réussite scolaire, voire donnent de meilleurs résultats.

Il convient d’être particulièrement attentif au cas de langues régionales parlées, exclusivement dans un pays à langue officielle, différente, ou parlées dans plus d’un pays, mais sans être langue officielle dans aucun d’eux, ainsi que dans le cas de langues déterritorialisées ou de la diaspora. Un soutien important par les systèmes éducatifs peut être la condition même de la survie de ces langues.

Des études récentes ont démontré que les idées selon lesquelles chaque langue est liée à une culture particulière et que le bilinguisme finit par exclure des deux cultures à la fois sont fausses. L’idée que le bilinguisme ou le plurilinguisme est une charge pour les élèves est, elle aussi, fausse, il s’agit plutôt d’un atout.

  • Que préconisez-vous comme méthode et moyens adéquats pour l’acquisition des compétences linguistiques chez l’apprenant ?

Il est important de noter que l’enseignement/ apprentissage d’une langue (maternelle ou seconde) doit avoir pour objectif principal, autre celui d’amener l’apprenant à avoir des compétences linguistiques, l’acquisition des compétences culturelles (qui visent à développer la compréhension de la diversité dans un pays), sans oublier la compétence discursive, la fonction principale du dialogue n’est pas l’entente, mais la compréhension mutuelle, et enfin on peut parler de la compétence du vivre ensemble dans une société multiculturelle et multilingue.

C’est dans ce sens que les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) doivent être utilisées dans la didactique des langues pour promouvoir la diversité culturelle et favoriser le dialogue des cultures ainsi que le respect des identités dans un seul pays.

  • Comment évaluez-vous aujourd’hui l’enseignement de la langue amazighe ?

En fait, les autorités de l’époque n’avaient pas réfléchi, en premier lieu, au statut de son enseignement d’une façon globale, comme étant une langue régionale, nationale ou officielle et n’avaient pas défini sa territorialité.

Sa place dans l’école algérienne, comme langue maternelle, seconde ou étrangère, en comparaison avec les autres langues enseignées, l’arabe, le français et l’anglais, dont le statut n’avait pas été défini non plus. En plus, l’enseignement de tamazight est cerné dans un cadre facultatif et limité à quelques wilayas, bien que son statut de langue «nationale» et « officielle » ait été reconnu.

Alors, il est temps de chercher une démarche qui mettrait la langue mère Tamazight (communément appelées dialectes, variétés ou langues maternelles) sur le même pied d’égalité avec d’autres langues secondes.

Que chacune prenne sa place en milieu scolaire et universitaire suivant l’environnement linguistique naturel ; en même temps, il faudrait donner les moyens adéquats aux apprenants pour qu’ils puissent accéder à toutes les variétés (chaoui, mozabite, kabyle, touareg) dans un enseignement complémentaire, cela en vue de s’enrichir mutuellement.

L’une des perspectives qui reste encore à développer est celle qui s’inscrit dans le domaine de l’informatique, son but est de mieux fixer les normes orthographiques sur Windows, tout en se référant aux différentes variétés.

La question de l’aménagement orthographique est toujours à l’ordre du jour dans les milieux universitaires, c’est la reconnaissance officielle de cet alphabet latin pour une écriture moderne et standardisée de tamazight qui permettrait sa normalisation du point de vue linguistique et académique.

De ce fait, l’émergence d’une norme écrite pour la langue tamazight s’explique par d’autres facteurs : elle peut apparaître sous l’égide de l’intervention de l’État par promulgation d’une loi.

Comme elle peut être marquée par la qualité de sa production littéraire, en s’appuyant sur le rôle des médias pour la diffusion des standards. S’agissant de sa diversité interne, de sa territorialité dans les espaces berbérophones et de sa place dans les milieux arabophones, un regard critique doit lui être consacré pour situer les causes réelles qui empêchent son éventuelle généralisation sur le territoire national.

Donc, une réforme de l’enseignement de tamazight en particulier et de l’enseignement des langues en général doit adopter une démarche éclairée afin de prendre en compte les questions liées aux stratégies de normalisation et de politique éducative, comme le souligne Matthieu Ricard, 2019 : « Nous avons besoin d’un fil d’Ariane qui nous permet de retrouver notre chemin dans ce dédale de préoccupations graves et complexes.» 

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