Jean-Paul Adam. Directeur de la politique du plaidoyer au conseiller spécial de l’Afrique à l’ONU : «Avec les événements météorologiques extrêmes, nous aurons plus de migrants climatiques»

07/12/2023 mis à jour: 08:11
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Photo : D. R.

Rencontré à la 28e Conférence des parties sur les changements climatiques (COP-28), qui a bouclé hier sa cinquième journée, Jean-Paul Adam, directeur de la politique du plaidoyer au conseiller spécial de l’Afrique à l’ONU, reconnaît, dans cet entretien, les particularités de la situation dans la région du Maghreb qui subit durement les conséquences du réchauffement climatique mais regrette de ne pouvoir mettre en place un mécanisme d’aide spécifique. Il souhaite que ces pays puissent bénéficier du fonds des «pertes et dommages», mis en œuvre lors de cette conférence.

  • Face aux urgences climatiques, qu’attendez-vous de la COP28 ?

C’est déjà un pas que les mécanismes d’adaptation à cette situation d’urgence soient établis et qu’ils soient au moins en partie financés, avec le fonds des pertes et dommages mis en place. C’est mieux que rien. Il reste à définir d’une manière inclusive comment les pays auront accès à ce fonds. Pour l’instant, des conditions sont établies de manière qu'il soit réservé aux pays les moins avancés.

Selon les conditions actuelles, beaucoup de pays, notamment en Afrique du Nord, n’auront pas accès à ce fonds. Nous devons aussi savoir quelle sera la capacité de ces fonds. Si cela reste à cette première enveloppe, nous sommes alors très loin de répondre aux besoins africains. C’est utile aussi de connaître le montant des fonds climatiques qui seront dégagés pour l’année prochaine.

Pour l’instant, ces informations ne sont toujours pas disponibles. Les aspects techniques autour des pertes et dommages sont aussi très importants à décortiquer.

  • Certains Etats regrettent que les contributions de ce fonds des «pertes et dommages» destinés aux pays vulnérables se fassent sur la base du volontariat… Qu’en pensez-vous ?

Il est toujours intéressant de dire que lors de cette 28e Conférence, un grand pas en avant a été franchi. Le mécanisme est mis en place, mais il faut reconnaître que les 400 millions de dollars annoncés sont une somme symbolique, car les besoins et les défis climatiques à relever dans les pays africains sont immenses.

Les études récentes démontrent que le continent a besoin annuellement de 300 milliards de dollars pour cerner les mesures d’adaptation. Ce franchement de seuil est un progrès pour l’Afrique, mais il faut admettre en même temps que la tâche est énorme.

Pour être positif, je dois dire que si nous réussirons à mobiliser les investissements nécessaires, nous aurons une accélération non seulement dans la production agricole, un segment très important en Afrique, mais aussi sur la croissance économique. L’Afrique peut changer la donne de croissance en question en favorisant et ciblant ce secteur. Un environnement propice peut être créé.

  • Quels sont les mécanismes mis en place pour que les gouvernements et populations en bénéficient ?

Les points de départ que nous aimerions développés sur le continent sont d’abord les stratégies d’adaptation à travers l’agriculture. Il faut mettre des systèmes d’alerte précoce facilement disponibles pour les agriculteurs. Il faut aussi avoir un accès aux technologies appropriées afin avoir des investissements dans l’agriculture résiliente.

Il est aussi important d’adopter un financement nécessaire aux petites et moyennes entreprises avec des garanties pour réduire les risques. C’est d’ailleurs le plus grand obstacle en Afrique, comparativement aux pays développés. Des fonds d’assurance doivent être mis en place.

  • Beaucoup de négociations et de discussions se concentrent sur les pays subsahariens, alors que l’Afrique du Nord, le Maghreb en particulier, est aussi et durement frappée par les conséquences désastreuses du bouleversement climatique. A quoi peut-on s’attendre lors de cette conférence ?

La région a des spécificités particulières que l’Union africaine doit prendre en considération. Néanmoins, les capacités actuelles pour le continent africain sont limitées et la possibilité d’agir avec cette spécificité sous-régionale n’est pas vraiment adaptée. On aurait souhaité intervenir avec des stratégies pointues par rapport aux données de cette région.

La région du Maghreb est aussi affectée par la situation climatique au Sahel. Des effets plus prononcés dans cette région sont enregistrés. Il existe aussi dans cette région l’aspect de la migration qui affecte plusieurs populations.

Des solutions particulières à des problèmes particuliers ? Principalement, c’est ce qu’il faut mais c’est loin d’être le cas. L’Union africaine et ses partenaires essayent d’établir des mécanismes, mais des financements font défaut.

C’est la situation la plus difficile pour l’heure. En plus, les rapports récents de l’Organisation mondiale pour la météorologie évoquent l’impact climatique désastreux et très prononcé sur le continent, mais avec un impact encore très fort dans la région du Sahel et de l’Afrique du Nord.

  • Plus de 300 000 déplacements liés à des catastrophes naturelle au Moyen-Orient et en Afrique du Nord sont enregistrés justement par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) en 2023. Comment peut-on aider les migrants qui ont été forcés de quitter leurs pays et qui exigent aujourd’hui un statut particulier, mais aussi les gouvernements qui reçoivent ces flux migratoires ?

Nous avons observé que lors des dernières inondations en Afrique du Nord, cela a ramené directement une vague de migrants vers l’Europe. Nous estimons qu’avec ces cycles de sécheresse et d’inondations et d’autres désastres naturels et événements météorologiques extrêmes, nous aurons plus de migrants climatiques, forcés de quitter leurs régions.

Malheureusement, cela n’est pas reconnu dans le contexte international. La question commence timidement à être évoquée, mais les vraies solutions, c’est de bâtir la résilience au niveau local et de créer un environnement économique durable qui permette de renforcer les capacités des familles à subvenir à leurs besoins quotidiens.

C’est d’ailleurs le maillon faible du continent. Cette possibilité de réagir face à la crise climatique ne permet pas aux différents pays de faire face aux problèmes immédiats. Cette question n’est malheureusement pas à l’ordre du jour et est loin d’être parmi les priorités des décideurs. 


 


 

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