Un film mettant sous les feux des projecteurs la grande diva algérienne Hasna El Becharia a été projeté mercredi dernier à l’Institut français d’Oran, en présence de la réalisatrice Sara Nacer.
D’une durée de plus d’une heure trente, ce film-documentaire a été tournée sur une période s’étalant sur toute une décennie, les premiers balbutiements du tournage ayant débuté en 2012 pour que le film sorte en salle en 2022. Etablie au Canada, Sara Nacer, qui s’occupait d’évènementiels, organisant des concerts musicaux, n’avait aucun lien avec le monde du cinéma quand, à l’été 2011, un groupe d’amis l’appellenr d’Alger pour lui proposer de collaborer avec eux dans l’organisation d’évènements musicaux durant le ramadan. C’est ainsi qu’elle a pu rencontrer, en chair et en os, Hasna El Becharia.
Un de ses amis, qui faisait l’école du cinéma de David Lynch au Etats-Unis, l’avait alors tanné pour rencontrer celle qu’on appelle «la rockeuse du désert», voulant à tout prix réaliser sa biopic. Toutefois, les hasards de l’existence ont fait qu’il dût se retirer du projet, laissant alors Sara Nacer avec une promesse qu’elle avait faite à Hasna El Becharia de raconter son histoire à travers un film.
C’est ainsi qu’en 2012, relate la réalisatrice, étant allée à Béchar rencontrer l’artiste, cette dernière lui avait fait part de son envie d’aller faire une tournée en Amérique, plus spécialement au Canada. Sara l’accompagne munie de sa caméra et c’est là que le tour de manivelle a été donné. «Il faut savoir que le tournage de ce film, c’est quelque part mon école du cinéma. J’ai tout appris de ce domaine en faisant ce film et ça m’a pris presque 10 ans». Le tournage s’est fait en dents de scie, au gré des budgets disponibles des déplacements de Hasna.
C’est alors qu’en 2017, bonne aubaine pour la réalisatrice, elle se trouve avec des archives précieuses entre ses mains, celles de l’arrivée de Hasna El Bécharia à Paris et le concert mémorable qu’elle avait donné en 1999 au Cabaret Sauvage. Se trouvant la même année en France pour interviewer Meziane et Allalou, ceux qui ont facilité les démarches de Hasna de s’établir à Paris dans les années 1990, et l’ont aidé à se faire connaître du public européen, ces derniers lui avaient annoncé la tenue, en janvier 2018, de la 20e édition du Festival femmes d’Algérie, où Hasna était bien sûr invitée.
Tourné sur trois continents et quatre pays, ce n’était pas une mince affaire que de réaliser un film de cet acabit, aussi ambitieux. Etant allée voir Sonatrach, Sara Nacer a pu obtenir de cette société un fonds grâce auquel a elle pu continuer le tournage en Algérie. «Le film a été monté pendant la pandémie. Par la suite, j’ai pris attache avec Julie Lapointe, une productrice basée à Monréal, qui a été fort intéressée par ce film a et a accepté de le produire».
C’est alors que La rockeuse du désert a pu sortir en 2022, ce qui a permis, d’une certaine manière, dit la réalisatrice, de relancer la carrière de Hasna El Becharia, lui offrant même la possibilité de faire une nouvelle tournée européenne. Sara Nacer a annoncé que la chanteuse avait même un projet d’enregistrer prochainement un nouvel album. Dans le film, Hasna El Becharia parle notamment de son enfance et du refus catégorique de son père de la laisser jouer au gumbri. Elle s’était contentée alors, pendant de longues années, de ne jouer qu’à la guitare sèche ou électrique. Pendant longtemps considéré comme un art typiquement masculin, c’est Hasna El Becharia, mue par sa seule volonté, qui a réussi le tour de force de féminiser le monde de la musique gnawa, ayant fait des émules et des disciples autant ici en Algérie qu’au Maroc ou même ailleurs.
Sara Nacer dira alors, pour l’anecdote, que dans les années 1970, les gens de Béchar avaient ce privilège, grâce à Hasna El Becharia, de pouvoir assister à des concerts féminins, complètement inderground, où guitare sèche et électrique étaient de mise. Des scènes de vie dont on a hélas, aujourd’hui, aucune archive audiovisuelle. Il faut savoir que Hasna est une pure autodidacte, ayant tout appris par elle-même, aussi bien la guitare que le gumbri. Quand Allalou et Meziane avaient pris l’initiative d’organiser leur festival d’hommage aux femmes algériennes, lui ayant demandé, en 1999, de ramener son gumbri avec elle, cette dernière avait refusé, par respect pour son père, pourtant décédé depuis longtemps, qui ne voulait pas qu’elle joue de cet instrument.
Mais la veille, avait-elle témoigné à Sara Nacer, elle avait fait un étrange rêve, pénétrant, où elle avait rêvé de son père qui lui avait donné sa bénédiction et permis de jouer de cet instrument. C’est alors qu’elle a joué, pour la première fois de sa vie en public, au gumbri, en 1999, à Paris.